Petits combats contre l'oubli - L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006

 

un centre d'accueil de jour

24 heures avec

Dessiner, c'est lutter. À l'Étimoë, les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer mobilisent leurs capacités et leurs souvenirs pour retarder l'évolution de la démence sénile.

Il est 9 h 30, l'Étimoë s'éveille. Les premières personnes arrivent au centre d'accueil thérapeutique de jour. Certaines viennent seules, d'autres accompagnées par un proche. D'autres encore, plus dépendantes, sont avec un accompagnateur professionnel. « Nous avons construit notre projet de vie et de soins pour des personnes qui n'auraient pas à effectuer plus d'une demi-heure de trajet, précise Maïté Buet, la directrice de l'établissement. Le transport peut être anxiogène s'il est trop long. » Les accueils thérapeutiques de jour restent encore peu connus des professionnels de santé ou des services sociaux. Ils sont destinés à accueillir des personnes dites désorientées ou souffrant de la maladie d'Alzheimer. La plupart de ces établissements sont rattachés à une maison de retraite ; les autres ont été créés par des communes ou des associations. En 2003, le ministère des Affaires sociales et de la solidarité en a recensé environ 1 100 sur l'Hexagone - un nombre estimé insuffisant. L'Étimoë est l'un des huit en activité à Paris, où l'on compte à peine 150 places. Trois autres établissements devraient ouvrir en 2007(1).

« Période d'essai »

« L'idée de ce lieu a germé à partir de l'expérience du centre social de gérontologie de la Fondation Croix St-Simon, dans le XXe arrondissement(2), explique Maïté Buet. Beaucoup de familles désabusées venaient nous faire part de leur détresse et des difficultés éprouvées à s'occuper d'un parent atteint de la maladie d'Alzheimer. » L'équipe de direction a travaillé pendant deux ans pour concevoir l'établissement, tant au niveau de son aménagement, des formalités administratives qu'à celui de la mission envisagée.

Le local a été conçu de manière à ressembler à un environnement domestique. D'un côté, la cuisine et la salle à manger. De l'autre, un grand espace de vie où trônent un vieux piano et des tables modulables selon les besoins. Ce matin, une vingtaine de patients sont présents autour de la petite collation servie avant que ne débutent les activités. Certains y viennent deux jours, d'autres trois. Ce sont ainsi quelque 45 personnes qui fréquentent le centre chaque semaine, avec une moyenne de 1 nouveau patient admis tous les sept jours. « Lorsque nous avons ouvert, seules 5 personnes fréquentaient l'accueil, reprend Maïté Buet. Au bout de deux ans d'existence, nous atteindrons notre limite, c'est-à- dire 25 personnes par jour. » Un temps d'adaptation est en effet nécessaire à chaque nouvel arrivant, dont il faut prendre soin de manière individuelle.

« Nous rencontrons aussi les familles, précise Maïté Buet. Une période d'essai est d'ailleurs habituellement observée pour chaque nouvelle entrée. Et nous insistons pour que ce choix soit bénéfique à la personne, et pas seulement une manière pour la famille de trouver du répit. »

« Situation d'échec »

Dans son bureau, Laurence Verjans, ergothérapeute et coordinatrice du centre, reçoit justement une famille venue se renseigner sur l'accueil éventuel d'un proche. « Dans le cas de la maladie d'Alzheimer, note Laurence, nous savons que les familles ont du mal à faire face. Souvent, elles se sentent en situation d'échec ou ont du mal à accepter d'être aidées. Alors, notre mission est de les soutenir et de préparer l'admission. » La famille et l'entourage sont associés au projet. Toutes les décisions sont prises ensemble. « Par exemple, je me rends au domicile des personnes accueillies afin de tester leurs capacités dans la vie quotidienne. Ou je suggère des aménagements, dans les toilettes ou la salle de bains. »

« On bouge la tête, on lève les genoux... » encourage Héliette, aide médico-psychologique (AMP). Assis en cercle sur des chaises, les patients exécutent quelques exercices d'éveil corporel à base d'assouplissements et d'étirements qui sollicitent leurs capacités motrices. « A... E... I... » Toutes les voyelles sont égrenées en choeur. Un exercice respiratoire aussi ludique qu'efficace qui conclut la séance avant de poursuivre par quelques jeux de balle, une partie de croquet ou un parcours d'obstacles. Il s'agit de mettre à l'épreuve d'autres facultés : l'équilibre, les réflexes, l'orientation dans l'espace.

Puis le groupe d'aînés se scinde afin de rejoindre des ateliers thérapeutiques de 5 ou 6 personnes. Ils sont animés par les AMP de l'établissement, parfois accompagnées par la psychologue ou l'ergothérapeute. La mémoire et la logique sont mises à contribution, pendant que d'autres dessinent ou cousent.

Retrouver confiance

Quelques-uns apprennent aussi à écrire un texte sur ordinateur. « Ces ateliers de stimulation permettent aux personnes de maintenir leurs capacités cognitives ou d'en ralentir la perte », précise Laurence Verjans. On adapte les activités aux patients accueillis. « Les AMP prennent le temps qu'il faut avec chaque personne, reprend la coordinatrice du centre. Il est important de ne pas les mettre en situation d'échec pour qu'elles retrouvent confiance en elles. Mais ce sont aussi des moments privilégiés pour communiquer avec ses voisins ! »

Envie de « faire »

En fin de matinée, quelques patients sortent accompagnés pour se rendre au marché et chez le boulanger. Au centre, chacun participe aux tâches ménagères : courses, couvert, balayage, etc. L'objectif : leur permettre de préserver, de stimuler, voire de recouvrer certaines facultés et une envie de « faire ». « La vie quotidienne est un élément de repère pour tout individu, insiste Laurence Verjans. Pouvoir solliciter la personne dans sa vie sociale, la confronter à l'extérieur, échanger avec les gens dans la rue... C'est ça, la spécificité du centre. Certains ici n'ont plus rien fait d'eux-mêmes depuis longtemps, parce qu'ils ne sortaient plus de chez eux. »

Après le repas, pendant que quelques-uns se reposent dans une salle annexe, d'autres se retrouvent au salon pour partager le café. Héliette se lance dans une revue de presse. Elle a soigneusement choisi dans un quotidien quelques sujets qui permettront de lancer la discussion. « Bien sûr, nous évitons tout ce qui pourrait être traumatisant. On préfère les sujets légers, ou qui font appel à la mémoire. »

Laurence Verjans a aussi introduit la musicothérapie dans l'établissement. Trois ou quatre personnes, qui ont une sensibilité musicale avérée, participent régulièrement à cet atelier fermé : une phase de relaxation sur fond de musique, suivie d'un discours et d'une mise en recherche (remontée de l'affect), un dialogue avec la thérapeute... « À travers cet atelier, les personnes essaient de trouver du bien-être et du repos. »

À nouveau, les groupes se forment autour des tables. Ici on joue au Scrabble, là on confectionne des marionnettes, pendant qu'en cuisine, des dames préparent une pâtisserie. « Je suis atteinte par la maladie d'Alzheimer depuis sept ans, raconte Éliane, 79 ans, qui fréquente le centre depuis son ouverture. Suite à une hospitalisation à l'hôpital Rothschild, on m'a indiqué l'existence de ce lieu. Depuis mon arrivée, ma vie s'est améliorée. Je peux à nouveau sortir seule pour faire mes courses. J'ai retrouvé mon autonomie. Et ici, j'apprécie les relations avec les autres gens. C'est comme un club d'amis... »

« Souffler »

« Pourtant, insiste Maïté Buet, il s'agit bien d'un accueil thérapeutique, avec une équipe pluridisciplinaire ! Nous n'employons jamais ce terme, ni entre nous ni avec les familles et les personnes, mais si l'idée de "club" peut les rassurer... »

Autour de la table, dans le salon, c'est l'heure du goûter, ultime instant de partage avant le retour à la maison. Il est bientôt 17 h 30. Claude vient récupérer son mari. « Il passe trois journées par semaine au centre. Depuis avril dernier, il a retrouvé quelques repères, il est plus calme. Mais surtout, cela me permet de souffler. Parce que si on ne prend pas garde, on est submergé par la maladie de l'autre. Là, je peux à nouveau sortir, avoir une vie sociale et m'occuper de moi. Et le soir, je suis très heureuse de le retrouver. »

Question de coût

Le coût journalier (de 16 à 59 euros par jour selon les ressources) peut être comparé avec celui d'une aide à domicile (17 euros de l'heure) qui ne s'occupe, elle, que de l'entretien. Sans doute plus cher qu'une journée en résidence pour personnes âgées, mais ici, la personne continue à vivre dans son domicile. Et, comme le souligne Maïté Buet : « Tant qu'on vit chez soi, on est dans la vie ! ».

1- Le centre d'accueil de jour des Francs-Bourgeois (Paris, IVe), permettant d'accueillir 60 personnes, vient d'être inauguré. Deux autres ouvriront avant le début 2008 à Paris dans le XIIe et le XIXe.

2- L'Étimoë : 27, rue de Fontarabie, Paris.

Tél. : 01 43 73 31 76

Fondation Croix St-Simon : 125, rue d'Avron, Paris. Tél. : 01 44 64 20 15

Association des directeurs des centres d'accueil de jour thérapeutiques parisiens : Marie-Laure Martin (01 43 06 43 12) ou Catherine Piot (06 20 64 76 81).