Suicide, le mal de l'âge - L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006

 

société

Dossier

Les aînés sont plus nombreux que les ados à mettre fin à leurs jours. Un phénomène encore occulté, voire accepté.

Les suicidés ne sont pas toujours ceux qu'on croit. Alors que les actions de prévention ciblent essentiellement les adolescents, les seniors sont plus nombreux qu'eux à choisir de mettre fin à leurs jours : 3 536 personnes de plus de 60 ans se sont donné la mort en 2003, selon le CépiDc-Inserm, soit un tiers des suicides répertoriés. Un chiffre certainement sous-évalué : on estime le taux de sous-déclaration des suicides à 20 %. Les suicides masqués sont aussi fréquents avec l'âge, les pathologies physiques cachant la souffrance psychique.

Un âge rejeté

Alors que la prévention du suicide est une priorité de santé publique depuis 1998, le phénomène reste tabou chez les personnes âgées. Un constat souligné par les 8es journées nationales pour la prévention du suicide de février 2004.

« La réalité du phénomène est masquée car le suicide est souvent assimilé à l'euthanasie, note le Michel Dubout, professeur de médecine légale et président de l'Union nationale pour la prévention du suicide (UNPS). Pourtant, le suicide est davantage l'expression d'un mal-être, qui n'est pas inéluctable avec le vieillissement. » Ainsi, les suicides réalisés en pleine conscience, ou « suicides philosophiques », restent très marginaux même chez les personnes âgées. Cela tient aussi à la représentation collective de la vieillesse. Serait-il normal d'être triste en prenant de l'âge ? Plus une personne vieillit, plus on souligne son droit au suicide, un droit qui n'est pourtant jamais invoqué pour un adolescent. Et les soignants ne sont pas exempts de ce type d'approche. Une étude américaine a révélé que face à la description d'un même cas clinique, les médecins généralistes proposent une prise en charge moins importante lorsque la personne est âgée. Dans une société qui stigmatise la dépendance, les personnes âgées sont parfois perçues comme inutiles, voire encombrantes.

Effet de génération

Le sociologue Émile Durkheim a été le premier à affirmer - en 1897 - que le suicide est un fait social. Pour lui, la société engendre le suicide et cette donnée augmente avec l'âge. Son analyse a depuis été affinée et actualisée : le suicide ne progresse pas toujours avec l'âge. Ainsi, ce sont les adultes qui se suicident le plus en France aujourd'hui. Le suicide des personnes âgées a diminué de 15 % en dix ans. Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) d'août 2002, le taux de suicide des personnes âgées varie énormément depuis vingt ans, ce qui signifie que les variables économiques et sociales ne sont pas les seuls facteurs explicatifs. Il faut aussi compter avec l'effet de génération, selon la sociologue Josiane Andrian. Au même âge, les personnes issues de générations différentes ne se suicident pas dans les mêmes proportions. Qu'en sera-t-il donc en 2010, quand les enfants nés en 1945 atteindront 65 ans ? Des générations où une plus grande tendance au suicide a été observée vont atteindre les âges où les comportements suicidaires se renforcent, du moins chez les hommes. Si l'effet de génération perdure, on peut s'attendre à une hausse mécanique de la mortalité par suicide, selon une étude la Drees. Cependant, la prédiction en la matière reste difficile.

Variables économiques

Le sociologue Louis Chauvel précise que les variations de taux de suicide dans une même tranche d'âge, à des époques différentes, résultent de la rencontre entre un âge de la vie et certains faits socio-économiques. Les générations nées avant 1910, qui ont eu entre 85 et 89 ans en 1995, ont un taux de suicide élevé. Souvent originaires du monde rural, leur carrière a été interrompue par la crise économique de 1930 et la guerre de 1939-1945. Ainsi, à l'âge de la vieillesse, leur patrimoine est plus restreint et leur âge perçu comme un handicap. En revanche, les enfants de l'entre-deux-guerres ont déroulé leur carrière au cours des Trente glorieuses et disposent d'une retraite relativement correcte. Ils en ont 65 ans en 1995, et leur taux de suicide s'infléchit. Chaque génération, en fonction de son vécu social, a ses propres représentations et valeurs. Les enfants du baby boom, qui auront 60 ans et plus à partir de 2010, ont connu le chômage et la crise pendant leur vie active, et leurs descendants n'ont pu remplir leur espoir d'atteindre un meilleur niveau de vie qu'elles. Mais peut-être d'autres variables socio-économiques viendront-elles contrebalancer ces tendances, car les facteurs du suicide sont nombreux et intriqués.

Veufs « orphelins »

Les travaux de Josiane Andrian ont souligné la vulnérabilité des hommes veufs de plus de 80 ans. À tous les âges de la vie, les hommes se suicident davantage que les femmes. Cela tient sans doute au rôle social encore attribué à chacun. Les hommes tissent des liens hors de la cellule familiale, tandis que les femmes sont davantage dépendantes des liens familiaux. Ainsi, lors du passage à la retraite, la rupture est moins difficile pour les femmes que pour les hommes. La mort du conjoint est également insupportable pour certains, surtout les hommes. Ils se suicident sept fois plus que les veuves au-delà de 75 ans. Et le risque le plus élevé se situe durant la première année suivant le décès. Pour Josiane Andrian, la disparition de la compagne rend le veuf « orphelin » et le confronte à sa propre mort. « La solitude n'est absolument pas supportée par les hommes âgés », note le docteur Gilbert Ferrey, géronto-psychiatre au CH d'Eaubonne. Selon certaines études, 25 % des personnes âgées n'ont plus d'amis, et elles sont un tiers à rencontrer moins de trois parents par mois. « À cet âge de la vie, le carnet d'adresses ressemble souvent à un monument aux morts », souligne Jean-Louis Terra, psychiatre au CH le Vinatier (Rhône). Et « même très entourée, une personne âgée peut avoir le sentiment d'être seule », précise Vincent Camus, psychiatre au CH de Tours. L'isolement géographique accroît aussi le risque suicidaire. Ainsi, la mortalité par suicide est plus importante dans les zones rurales, notamment dans le nord-ouest de la France. Josiane Andrian constatait en revanche une moindre mortalité par suicide dans le sud-ouest, où trois générations cohabitent parfois sous le même toit.

La crise du grand âge

Certains spécialistes assimilent la vieillesse à une crise, comparable à la crise d'adolescence. Physiquement, elle est marquée par la perte de certaines facultés et par l'apparition de maladies spécifiques. C'est aussi l'âge du passage à la retraite ou de l'entrée en institution, des ruptures qui entraînent parfois une perte totale des repères. La grande dépendance sociale s'accroît, qu'elle soit affective ou financière, à l'égard de ses propres enfants, ou physique, à l'égard des soignants ou intervenants à domicile. Certains ont l'impression de mourir plusieurs fois, socialement puis physiquement. Mais le sentiment de solitude n'est pas le seul facteur du suicide.

Face à cette approche, plusieurs spécialistes - surtout aux États-Unis - étudient les conditions d'un vieillissement réussi, ou sucessful aging. Être capable de préparer sa retraite, avoir des projets, surveiller sa santé et être à même de demander de l'aide : autant de facteurs protecteurs pour prévenir le risque suicidaire. La fréquence des décès par suicide est plus forte dans les milieux sociaux les moins favorisés et chez les agriculteurs, plus faible en haut de la hiérarchie sociale. Les classes sociales élevées sont davantage préparées à prendre leur santé physique et psychique en charge. Améliorer l'intégration des personnes âgées dans le tissu social peut aussi prévenir les risques suicidaires. La mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie ou la création des centres locaux d'information et de coordination (Clic) s'inscrivent dans cette optique. Les associations d'entraide et de soutien, les clubs de troisième âge et les réseaux d'intervenants professionnels à domicile (services d'aide ménagère, de soins et de portage de repas à domicile) contribuent aussi à rompre l'isolement.

La dépression est le premier facteur de risque. 80 % des gestes suicidaires surviennent dans un contexte de dépression chez les sujets âgés. Elle représente une pathologie à part entière et n'est pas la conséquence de l'âge. Pourtant, près de 60 % des syndromes dépressifs ne sont pas diagnostiqués ou pris en charge, car la dépression prend parfois des figures atypiques chez les personnes âgées et reste masquée. Elle peut se manifester par des modifications du comportement : moindre attention vestimentaire, augmentation de la consommation d'alcool, dons d'objets chers, altération de l'écriture... Autant de changements difficiles à identifier. Ce syndrome de glissement est considéré comme un équivalent suicidaire : la personne se laisse aller vers la mort, en arrêtant ses traitements, en refusant de s'alimenter... Vincent Camus, professeur de psychiatrie au CHRU de Tours précise également que « l'abus de substances comme l'alcool, les troubles de la personnalité ou encore les personnalités impulsives ou borderline sont des facteurs de passage à l'acte suicidaire ». Le dernier plan Santé mentale 2005-2008 a ainsi pour objectifs de mieux repérer les pathologies psychiatriques et d'améliorer leur prise en charge, un rôle qui repose essentiellement sur les intervenants de première ligne.

Le rôle du généraliste

Les médecins généralistes sont les premiers concernés, en raison de la relation instaurée avec les patients. Les aides-soignantes ou les infirmières sont aussi à même de remarquer certains changements. Ainsi, 75 % des personnes âgées qui commettent un suicide ont consulté leur médecin dans le mois précédant leur mort, et 40 % dans la semaine qui précède. « Mais les généralistes sont isolés dans leur exercice, remarque Matthieu Lustman, médecin généraliste et sociologue, membre de l'UNPS. Les réseaux sont difficiles à mettre en oeuvre et la coopération entre généralistes et psychiatres est compliquée. Par ailleurs, la prise en charge des personnes âgées prend beaucoup de temps. » Des difficultés auxquelles il faut ajouter la crise démographique médicale et la question de la formation des généralistes. Ainsi, certains psychotropes prescrits - comme les benzodiazépines - peuvent générer des idées suicidaires.

Repérer la crise

Pour l'instant, peu d'actions concrètes ont été mises en place pour réduire l'accès aux moyens de suicide. Délivrer des doses de médicaments au comprimé près paraît difficile. La prévention passe surtout par la formation des intervenants au repérage et à la prise en charge de la crise suicidaire, tels qu'établis par la conférence de consensus menée sous l'égide de la Fédération française de psychiatrie et de l'Anaes en octobre 2000. Ce repérage est d'autant plus important que les personnes âgées n'expriment pas leur mal-être bruyamment. Et surtout, le ratio tentative de suicide/suicide avéré chez la personne âgée est proche de 1 pour les hommes. Sans doute les personnes âgées sont-elles plus déterminées. Il n'est pas rare que leur suicide ait lieu le matin, après qu'elles aient rangé leur appartement. Le geste létal est aussi commis sur un corps moins résistant. Il y a donc urgence à repérer la crise suicidaire, qui dure environ 6 à 8 semaines. Parfois, il suffit de peu de moyens. Ainsi une étude menée au début des années 90 à Padoue, en Italie, auprès de plus de 12 000 patients âgés, a démontré l'efficacité du contact téléphonique. Abonnées à un service de télé-assistance, les personnes âgées envoient un signal d'alerte lorsqu'elles se sentent en danger. Des écoutants spécialisés les appellent aussi deux fois par jour et évaluent leur humeur. Les scores de dépression des patients se sont améliorés et un seul suicide a été enregistré. L'association « Loire prévention suicide » a mis en place une action s'inspirant de cette étude (voir encadré p. 7).

Être direct

« Il ne faut pas craindre de poser directement la question du suicide en consultation ou en visite à domicile, souligne Jean-Louis Terra, psychiatre et initiateur de la formation de formateurs en matière de repérage de la crise suicidaire. En parler n'encourage pas le passage à l'acte, contrairement à une idée préconçue. » L'expert préconise donc que l'intervenant de première ligne (en ville, à domicile ou aux urgences) aille au bout du questionnaire : « J'ai remarqué que vous étiez profondément triste en ce moment. Vous arrive-t-il parfois de souffrir au point de penser à vous tuer ? [...] Êtes-vous allé plus loin ? Si oui, qu'est-ce qui vous a arrêté ? » Jean-Louis Terra appelle cela « "emprunter le couloir de la mort" pour savoir exactement où la personne en est et rechercher "les pensées velcro" », celles qui retiennent le passage à l'acte. « Il faut les aider à utiliser leurs ressources résiduelles », estime le Pr Vincent Camus. La formation permet aussi d'être plus à l'aise, notamment via des mises en situation, pour intervenir en cas de crise.

L'intervention de crise comporte huit étapes, dans le but de diminuer la souffrance psychique. Les personnes sont davantage décidées à arrêter leur souffrance qu'à vouloir absolument mourir. Il faut nouer un contact rapide avec elles, puis explorer leurs émotions et leurs sensations. Vient ensuite l'évaluation « risque urgence dangerosité » (RUD). Le « risque » est la probabilité de décéder par suicide dans les deux ans en fonction des facteurs de risques et de protection. Un homme âgé récemment veuf, fâché avec ses enfants, présentant cinq symptômes de dépression, est à risque élevé de suicide, mais le fait qu'il soit entouré d'amis peut diminuer le risque. L'urgence suicidaire, dimension strictement clinique, est la probabilité de décéder dans les quarante-huit heures. Son évaluation se fonde sur le degré de progression de la crise suicidaire : idées, intention, programmation et mise en oeuvre. La dangerosité tient à la létalité du moyen envisagé et à son accessibilité. Ainsi, le train est mortel dans 92 % des cas, mais il est plus ou moins accessible selon les lieux de résidence. La pendaison est fatale dans 70 % des cas et l'accessibilité plus aisée. Le calme d'une personne âgée auparavant anxieuse ou déprimée est très trompeur. « Les personnes ayant décidé de mourir vont souvent mieux, note Jean-Louis Terra. Leur décision les apaise. » Après l'évaluation du RUD, il faut tenter de retrouver le facteur qui a augmenté brutalement la détresse, puis aider les personnes à s'adapter. « De petites solutions peuvent être suggérées, comme écrire à sa fille avec qui on s'est fâché ou un voisin », témoigne le Pr Terra. Il faut également briser l'isolement. Cela peut passer par une hospitalisation ou par la présence d'un proche. Mettre la personne en sécurité quant aux moyens létaux est aussi primordial. Il peut s'agir de ne laisser que la dose de médicaments du soir, en proposant de revenir le lendemain. « De nombreuses personnes changent d'avis pendant le geste suicidaire, observe Jean-Louis Terra, il suffit parfois de quarante secondes. » Enfin, un autre rendez-vous ou un relais doit être prévu. Cela permet au suicidant de prendre de la distance. « Auparavant, il est nécessaire de déminer l'agenda personnel du patient, conseille le Pr Terra. Avant une fin d'hospitalisation, il faut prévenir le patient que sa boîte aux lettres sera pleine de factures, ou de mauvaises nouvelles. »

Moins de moyens

Si les psychothérapies sont trop rarement proposées à un patient âgé suicidaire, le traitement de la dépression consiste à délivrer des psychotropes de dernière génération ou, dans certains cas, un traitement par électroconvulsivothérapie (voir encadré p. 8). Les personnes suicidaires de plus de 55 ans sont moins hospitalisées que les autres tranches d'âge, selon la Drees. La crise suicidaire n'est pas toujours dépistée. Rares sont aussi les équipes prêtes à s'engager dans une psychothérapie pour une personne âgée. Pourtant, associée à des soins du corps, celle-ci peut alléger la difficulté à vivre. « Il est plus facile de mobiliser une équipe psychiatrique pour une personne jeune plutôt qu'âgée », note Matthieu Lustman. Il a mené une enquête sociologique pour l'Anaes en 2003 sur l'évolution de la prise en charge. « Le suicide est sans doute perçu comme plus légitime avec l'âge. » La question du coût/bénéfice de l'intervention est aussi tacitement posée. En outre, les unités de psycho-gériatrie sont souvent centrées sur les vieilles personnes souffrant de troubles démentiels. Quant l'hospitalisation a lieu suite à une tentative de suicide ou une crise suicidaire, le séjour est de courte durée. « Cela est illogique, car la crise suicidaire dure plusieurs semaines », note Jean-Louis Terra. Certains privilégient néanmoins cette option afin de ne pas couper le patient de son univers et de ne pas accentuer une perte de repères. De fait, l'avenir de la prise en charge des personnes âgées va peser davantage sur les soignants des centres médico-psychologiques et sur les intervenants à domicile. Les infirmières seront sans doute de plus en plus amenées à jouer un rôle en matière de prévention.

Si la prise en charge des suicidants âgés reste à améliorer, le suivi est un terrain encore quasi-vierge. Matthieu Lustman a comparé le devenir des patients de tous âges après leur passage dans quatre services hospitaliers différents : un service d'urgence de grande ville, un service d'urgence de province avec une unité médico-psychologique, une unité spécialisée de prise en charge des jeunes et une équipe d'intervention à domicile. « À ma grande surprise, j'ai constaté que les trois premiers services rencontrent des difficultés analogues à construire une alliance thérapeutique qui influence à long terme le suivi des patients. Par ailleurs, en interrogeant les patients, j'ai remarqué que les services étaient davantage pensés en fonction des soignants. Ainsi les patients se sentent moins isolés dans un service d'urgence débordé que dans un service trop bien organisé. » L'équipe d'intervention à domicile est très interventionniste dans un premier temps. Puis elle prend le temps d'accompagner le patient dans son retour vers l'autonomie. L'équipe s'appuie sur les thérapies avec la famille ; l'alliance n'est plus une alliance avec le patient mais avec l'ensemble du groupe familial.

Autonomie ou intrusion ?

Dans son étude, Matthieu Lustman constate que chaque service est plus ou moins interventionniste. Ainsi, dans les CHU, l'hospitalisation est imposée au patient. En revanche, il est invité à faire lui- même les démarches de suivi, et seule une psychothérapie familiale est proposée. Dans le dispositif de l'équipe d'intervention à domicile, qui prône la psychothérapie systémique, le travail psychologique est imposé - en douceur - à toute la famille. Les nombreux écueils de la prévention sont d'ailleurs issus de l'interrogation des intervenants concernant leurs interventions. Jusqu'où sont-ils légitimes pour intervenir ? Comment trouver l'équilibre entre la nécessaire intervention pour protéger le patient et le respect de son autonomie ? « En étudiant les différentes modalités de prise en charge, j'en ai souligné le paradoxe », note Matthieu Lustman. Le suicide n'est pas considéré comme un véritable choix autonome et nécessite donc une intervention. Mais en même temps, il est demandé au patient de prendre en charge sa thérapie. « Il me semble que le suicide reflète bien le type de malaise de notre société, observe le Dr Lustman, où on nous ordonne d'être libre sans que l'on ait de mode d'emploi. D'où un difficile équilibre : faire de la prévention tout en n'oubliant pas de respecter la part la plus grande possible de liberté du patient. »

points de vue

SUICIDE ET EUTHANASIE

Michel Dubout, psychiatre et professeur de médecine légale au CHU de St-Étienne, président de l'Union nationale pour la prévention du suicide.

« Suicide et euthanasie sont souvent confondus. Or les Français les plus favorables à l'euthanasie ont en général un âge peu avancé. Par ailleurs si certaines personnes âgées choisissent vraiment de mourir, la grande majorité est dans une grande ambivalence. Le suicide est davantage un symptôme de mal-être et de souffrance. La mort représente l'espoir de ne plus souffrir. »

Jean-Louis Terra, psychiatre au CH Le Vinatier

« La crise suicidaire et la demande d'euthanasie sont deux processus différents. La crise correspond à une urgence. La personne ne peut plus supporter les minutes et les heures qui suivent. Ses émotions sont envahissantes au point d'altérer la cognition, et le besoin d'en finir semble immédiat. La demande d'euthanasie se situe dans une perspective à plus long terme. La personne n'est pas en crise mais anticipe ce qu'elle ne pourra supporter. »

initiative

LE RÉSEAU ÉQUILIBRE DE LOIRE PRÉVENTION SUICIDE

Les membres du réseau ont été formés au repérage des risques suicidaires et le grand public du département régulièrement sensibilisé à la problématique du suicide des personnes âgées. Depuis 2003, un numéro de téléphone(1) est à leur disposition pour signaler les personnes en danger. « Il faut agir vite quand le suicide est planifié car les personnes âgées commettent des actes souvent radicaux », précise Jacques Laporte, psychologue et vice-président de Loire prévention suicide. L'urgence de la demande est évaluée et donne suite au besoin à l'intervention d'une psychologue auprès de la personne âgée. « Nous allons au devant de la demande et il est rare qu'une proposition d'aide soit refusée », note Jacques Laporte. Puis une visite à domicile est programmée et une alliance thérapeutique établie. Quand la crise suicidaire est passée, des mesures de suivi sont mises en place avec les partenaires professionnels et la famille du patient. Le réseau reçoit en moyenne 60 appels par an, et s'est fixé comme objectif d'assurer 50 suivis annuels et de diminuer de 10 % le nombre de suicides des personnes âgées.

1- Réseau Équilibre de Loire prévention suicide : 04 77 21 72 12

thérapie

LES ÉLECTROCHOCS

La thérapie par électrochocs - ou ECT, ou encore électronarcose - conserve l'image d'une pratique barbare, immortalisée par le roman Vol au-dessus d'un nid de coucous. Autrefois employée trop systématiquement et sans anesthésie, la technique est désormais reconnue car elle améliore les symptômes mélancoliques et dépressifs dans plus de 80 % des cas, contre 50 % pour les antidépresseurs. « C'est une des premières indications lorsque le risque suicidaire est majeur chez le sujet âgé, ou lors d'un syndrome de glissement », estime Thierry Gallarda, praticien hospitalier responsable du Centre d'évaluation des troubles psychiques et du vieillissement au Centre hospitalier de Sainte-Anne. En général, le patient suit une cure d'ECT, suivie d'un traitement de consolidation une à deux fois par an. Les risques sont liés à l'anesthésie et au bilan cardio-vasculaire du patient. Des pertes de mémoire sont parfois enregistrées comme effets secondaires. « Les rémissions peuvent être spectaculaires, note Thierry Gallarda, mais le décalage entre l'efficacité du traitement et son image encore négative dans certains centres ne permet pas à tous les patients qui en auraient besoin d'y avoir accès. »

Contacts

> Union nationale pour la prévention du suicide

Tél. : 01 40 20 43 04

Internet : http://www.infosuicide.org.

> Suicide Écoute Tél. : 01 45 39 40 00

> SOS Suicide Phoenix France

Tél. : 01 40 44 46 45

> Vivre son deuil Tél. : 01 42 38 08 08

Bibliographie

> Acteurs et chercheurs en suicidologie, sous la direction de Françoise Facy et Michel Debout, Paris, Éditions EDK, 2006.

> Suicide, l'envers de notre monde, Christian Baudelot et Roger Establet, Paris, Seuil, 2006.

> La conduite de l'entretien psychiatrique, l'art de la compréhension, Shawn Christopher Shea, Elsevier, 2005.

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