Toucher la corde sensible - L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006

 

Évelyne Saint-Marc

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Évelyne Saint-Marc ne soigne pas, elle communique. Unique infirmière en accompagnement haptonomique en France, sa pratique consiste avant tout à humaniser la relation avec le malade ou la femme enceinte, et à casser l'isolement créé par la douleur.

« Ma situation est exceptionnelle, prévient d'emblée Évelyne Saint-Marc, infirmière en accompagnement haptonomique à l'hôpital gériatrique Vaugirard, à Paris. J'en ai bien conscience. » Son poste est en effet le seul de ce genre à exister en France, même si les praticiens de l'haptonomie(1) ne sont pas rares, le plus souvent médecins ou sages-femmes. Cette « science de l'affectivité », comme l'a intitulée Frans Veldman, son inventeur néerlandais, est en effet surtout répandue en obstétrique, dans le domaine de la préparation à la naissance, où elle se veut capable d'initier une relation affective réciproque entre les parents et l'enfant. Et ce n'est pas là sa seule application : psychothérapie, soins aux malades hospitalisés, prise en charge des infirmités et accompagnement des personnes âgées et des mourants sont également possibles par l'haptonomie. Cette science toujours en cours d'élaboration aurait même montré son utilité dans les domaines de l'éducation et de l'assistance sociale.

malades insécurisés

Installée dans l'étroit bureau qu'elle partage avec sa collègue spécialisée dans le soin des plaies, Évelyne revient sur le parcours qui l'a menée jusqu'ici. Les mots sont réfléchis, la voix est douce mais ferme, l'ambiance sereine. Elle a éprouvé l'envie de se former après la lecture d'un article dans la presse professionnelle en 1992. « J'étais déjà initiée à la relation d'aide et cet article sur l'haptonomie a fait écho en moi. Je voulais évoluer dans la relation au patient, m'améliorer et développer des facultés qui m'habitent et me semblaient sous-développées. » À l'époque, Evelyne travaille en endocrinologie, à l'hôpital Cochin. Durant ses gardes nocturnes, elle a constaté combien les patients atteints de maladies graves ou chroniques sont insécurisés, quelle que soit la qualité de l'environnement médical.

« Je sentais que l'haptonomie pourrait leur apporter un "plus", permettre au patient de vivre autrement le soin. J'ai donc débuté une formation fin 1993, sur mes jours de repos. »

parkinsonien

Il faut dire qu'à l'époque, l'haptonomie n'est pas très connue en France. Le parcours de qualification est long et personnel, il comporte aussi un travail sur soi-même à l'instar d'une formation à la psychanalyse et est difficilement intégrable aux plans de formations d'un service.

En 1998, son certificat d'accompagnement en haptosynésie en poche, Évelyne Saint-Marc élabore un projet d'accompagnement par l'haptonomie de patients atteints de maladies chroniques. « Je l'ai évidemment proposé à Cochin, où je travaillais. Je me suis également tournée vers des maisons de retraite. Partout, le budget faisait défaut. » Entre temps, la jeune diplômée accepte deux missions, et passe six mois dans un institut psychiatrique de la MGEN, puis huit dans une maison de retraite spécialisée. Mais n'ayant pas été engagée pour appliquer son projet d'accompagnement, il était difficile pour elle de mettre en pratique ses récents apprentissages. « J'ai intégré mes nouvelles compétences au soin, se rappelle Évelyne. Une fois seulement, j'ai pu offrir une séance à un patient parkinsonien. L'aide soignante qui s'est occupée de lui juste après m'a demandé ce que j'avais bien pu lui faire : il ne tremblait plus. »

une science de « l'être »

Finalement, c'est en 2005 que le projet d'Évelyne se concrétise. « Le directeur des soins infirmiers de Vaugirard, à qui j'avais présenté mon projet lorsqu'il travaillait à l'Hôtel-Dieu, m'a contactée pour me proposer d'intégrer le service. » Ses débuts dans la nouvelle équipe ne sont pas évidents. « Je ne peux pas expliquer techniquement ce que je fais. L'haptonomie, c'est de "l'être", pas du "faire". Certains peuvent ne pas comprendre. » Il est vrai qu'il est particulièrement difficile de décrire ce qu'est l'haptonomie. Le vocabulaire de base suffit à rebuter plus d'un curieux. Comment expliquer en quelques mots ce qu'est le "contact psycho-tactile affectivo-confirmant", qu'utilise Évelyne lors d'une rencontre avec un patient ? Beaucoup dans le service ont demandé à assister à une séance. Mais l'infirmière ne peut pas donner suite : « Il n'y a rien à voir. Je ne vais pas poser ma main quelque part et demander au patient de visualiser le soleil couchant. C'est beaucoup plus subtil, c'est quelque-chose que l'on ressent. » Alors Évelyne propose plutôt des séances de découverte. « Une amie formée en haptonomie est venue à l'hôpital rencontrer les volontaires. Je ne l'ai pas fait moi-même car le vécu d'une séance d'haptonomie peut être très intime. »

« un temps de rencontre »

Côté patients, Évelyne intervient surtout auprès de ceux qui sont admis en long séjour. « En rééducation fonctionnelle, les personnes sont déjà très sollicitées. Moi je me dirige vers ceux auprès desquels il y a moins d'intervenants. » La séance est proposée sans prescription médicale, mais souvent à l'issue d'une réunion d'unité multidisciplinaire. « Je vais généralement vers des patients qui sont repliés sur eux-mêmes, insécurisés, passifs... Je me présente à eux comme une infirmière qui ne vient pas leur donner un soin mais leur offrir un temps de rencontre qui passe par le contact tactile. »

« intimité »

La dimension d'interaction est capitale : il ne s'agit pas d'une visite au patient. « Je sollicite ses capacités relationnelles pour que la personne s'ouvre, se désidentifie de sa maladie et accepte les soins dans un climat de confiance. » La séance peut durer de 10 à 25 minutes, pendant lesquelles l'infirmière est seule avec le malade. Évelyne dispose ainsi d'un petit panneau qu'elle peut accrocher à la porte de la chambre pour éviter que la séance ne soit perturbée. « C'est un moment d'intimité particulier que l'équipe respecte. » D'autant que l'intérêt de sa présence auprès des patients n'a pas tardé à se faire sentir. Comment en effet ne pas remarquer cette patiente en état d'incurie qui accepte finalement de se doucher, ce monsieur qui parle à nouveau alors qu'on avait oublié le son de sa voix ou cette dame qui accepte enfin le lever avec plaisir. « Après, cela peut durer ou pas, mais ce qui compte en gériatrie c'est le vécu de l'instant présent. »

Bien sûr, avec ce poste transversal, Évelyne reste à part dans l'équipe infirmière, et se refuse même à reconnaître une relation privilégiée avec le patient. « Ce que je vis avec lui peut-être vécu par d'autres au travers d'un soin ou d'une toilette. Simplement, je ne suis plus dans la performance et je dispose de davantage de temps et d'autonomie. »

1- du grec haptein (joindre, toucher) et nomos (la règle, la loi).

moments clés

- 1982 : diplôme d'État.

- 1993 : séminaire d'initiation à l'haptonomie.

- 1998 : certificat d'accomplissement en haptosynésie.

- 2005 : arrivée à l'hôpital Vaugirard en tant qu'infirmière en accompagnement haptonomique.