« Toujours évaluer la douleur » - L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 222 du 01/12/2006

 

Pratique

Questions à

La douleur n'est pas assez souvent prise en charge en gériatrie. Pourtant, les outils existent, tout comme les traitements, même si des progrès restent à faire.

Où en est la prise en charge de la douleur chez les personnes âgées en France ?

Du chemin a été fait, mais il en reste à parcourir... Les adultes qui peuvent faire savoir qu'ils ont mal profitent des méthodes d'auto-évaluation de la douleur et d'un traitement plus raisonné. Les personnes âgées auto-évaluent mieux leur douleur à l'aide de l'échelle verbale simple (EVS) qu'avec l'échelle visuelle analogique (EVA), beaucoup plus employée chez les plus jeunes. Mais les médecins sont toujours plus frileux pour traiter la douleur des personnes âgées : leur souci premier est d'éviter les effets secondaires éventuels des antalgiques. C'est une méconnaissance du vieillissement normal et pathologique. Si l'on tient compte des modifications pharmacologiques liées à l'âge, on peut utiliser les mêmes antalgiques que chez les plus jeunes. Or, il existe encore des réticences pour prescrire les morphiniques et les autres opioïdes forts du palier 3. Et pour les personnes âgées atteintes de troubles des fonctions cognitives, on constate une sous-évaluation et un sous-traitement encore plus marqués.

A-t-on fait des progrès ?

Oui, dans la connaissance des mécanismes physio-pathologiques, avec une meilleure prise en charge des douleurs neuropathiques et mixtes (nociceptives et neuropathiques), si fréquentes en gériatrie. Oui, dans l'évaluation, grâce à l'hétéro-évaluation, avec notamment l'échelle Doloplus, créée en 1992, première échelle de ce type validée en 1999. Elle permet de démasquer la douleur chronique derrière ses présentations particulièrement trompeuses en gériatrie. Une autre échelle d'hétéro-évaluation, l'échelle ECPA, permet d'évaluer la douleur récurrente, notamment lors des soins. De même dans le traitement, notamment dans celui des douleurs mixtes, l'arsenal thérapeutique est plus étendu et mieux toléré (par exemple le Lyrica® pour les douleurs neuropathiques, mieux supporté que le Neurontin®). Par ailleurs, l'arrivée de nouveaux opioïdes et de nouvelles formes d'administration permet d'élargir leur usage avec une meilleure tolérance. Y compris dans les douleurs non cancéreuses. Les patchs sont certes utiles, mais souvent trop ou mal utilisés. Il faut respecter les indications et les équivalences avec la morphine. Le patch faiblement dosé, qui est sorti récemment, peut favoriser un meilleur usage.

Quelles sont les raisons des insuffisances ?

Les équipes sont bien formées à l'évaluation et au traitement, mais il y a un hiatus entre la formation et le terrain ! Elles connaissent l'échelle Doloplus, mais elles ne l'appliquent pas. Pourtant, l'utilisation d'une échelle ne peut que faire gagner du temps - aux malades et aux soignants - et non en faire perdre... Quand on ne surveille pas la température ou la pression artérielle, dans un service, c'est une faute, mais ce n'est pas le cas pour la douleur ! Il n'y a pas encore d'évaluation systématique. Pourtant, une échelle, c'est une mesure objective et un outil de communication infirmières-médecins efficace, pour reconnaître la douleur, mettre en route les traitements, les évaluer...

On peut donc faire des progrès, par la formation continue, avec des infirmières référentes douleur dans les services, et en évaluant systématiquement la douleur dans les dossiers, au même titre que la température ou la pression artérielle. À domicile, un médecin ou une infirmière, même seuls, peuvent évaluer la douleur avec une échelle. C'est toujours mieux qu'une simple estimation !

Que peut-on attendre de la recherche ?

Une meilleure reconnaissance de la douleur aiguë chez une personne âgée qui présente des troubles de la communication verbale. Lorsqu'une personne âgée démente arrive aux urgences et crie, on ne sait pas si elle a peur, mal ou si elle est énervée. C'est pourquoi le collectif qui a validé l'échelle Doloplus travaille à la mise au point d'une échelle d'évaluation de la douleur aiguë. L'échelle Algoplus devrait être validée fin 2007. Par ailleurs, 28 pays nous ont contactés au sujet de l'échelle Doloplus, qui devrait être validée en 7 langues ce mois-ci.

Il faut aussi développer les techniques de prise en charge non médicamenteuses de la douleur. Un malade soulagé est un malade debout qui se mobilise ! À condition, bien sûr, que les antalgiques soient bien dosés, et en tenant compte des modifications du métabolisme des médicaments liées à l'âge.

Bernard Wary Chef du service régional de soins palliatifs, C.H.R. de Metz-Thionville

De formation gériatrique, il s'intéresse à la douleur des personnes âgées, notamment à sa reconnaissance et à son évaluation chez celles qui ont des troubles de la communication verbale. S'inspirant des travaux du Dr Annie Gauvain-Piquard chez le jeune enfant, il a élaboré l'échelle Doloplus. Il dirige également la consultation de la douleur chronique de son hôpital.