Le Phénicien, un hôtel très particulier - L'Infirmière Magazine n° 223 du 01/01/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 223 du 01/01/2007

 

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L'établissement n'accueille pas de voyageurs, mais des schizophrènes en voie de réinsertion. Située à l'extérieur de l'hôpital psychiatrique de Nantes, l'unité veut être une étape sur le chemin de l'autonomie.

«Après 10 h du matin, les occupants doivent être partis ». Karine Latouche, infirmière, est ferme sur les règles de la maison. Installé à Orvault (Loire-Atlantique) dans les locaux d'un ancien hôtel, le Phénicien n'a pas bouleversé son rythme en changeant d'affectation. Ici, les personnes de passage ne restent que la nuit.

Au tableau de la réception, les clefs des 19 chambres individuelles sont suspendues. En revanche, le service de chambre est limité, les petits déjeuners sont distribués pour la semaine. Et en guise de clients, le Phénicien accueille désormais des jeunes schizophrènes stabilisés.

rupture

Si l'organisation du Phénicien est calquée sur celle d'un hôtel, c'est qu'elle permet un travail thérapeutique. Unité située depuis deux ans à l'extérieur de l'hôpital psychiatrique de St-Jacques, à Nantes, le Phénicien est destiné à des patients qui sortent d'une longue période d'hospitalisation à temps plein, et, dans une bien moindre proportion, à des personnes qui quittent une structure de postcure. Unique en France, cet hôtel veut être une étape vers une autonomie recouvrée, voire nouvelle pour certains. « Ici, ils ne sont plus à St-Jacques, explique Claude Jolly, psychiatre responsable de l'unité. On est là dans des temps tout à fait différents. L'hôtel étant fermé la journée, ils doivent commencer à organiser leur vie. À nous de les accompagner pour qu'ils parviennent à gagner en autonomie et à s'affranchir de la dépendance à l'institution qui s'est créée. » Un vaste chantier : beaucoup sont en situation de rupture sociale ou familiale.

donner du sens

Chaque matin, à partir de 7 h, les 19 pensionnaires de l'hôtel le Phénicien descendent prendre leur petit déjeuner dans la salle commune du rez-de-chaussée. Le duo infirmier qui va officier la première partie de la journée vient de prendre son service. Karine Latouche et Annick Le Moigne sont deux des 14 soignantes à se relayer. Avant d'accueillir les pensionnaires, c'est le temps des transmissions et de la lecture du dossier individuel. Un travail de liaison essentiel pour ajuster au besoin la prise en charge, susciter un entretien avec un patient, articuler l'accompagnement avec les autres intervenants, principalement l'hôpital de jour, où la majorité des résidents sont accueillis quand le Phénicien ferme ses portes, entre 10 h et 17 h.

Il faut veiller à ce que le projet personnel du patient soit toujours en ligne de mire. « À nous de donner du sens, même à ce qui nous paraît être de petites choses, quand eux sont très déstructurés, précise Annick Le Moigne, 56 ans, en poste au Phénicien depuis un mois, mais en secteur psychiatrique depuis 16 ans. Par exemple, tout ce qui a trait à l'hygiène, au rangement, n'est pas évident pour eux. C'est très difficile de leur faire mettre des vêtements propres. » Même chose pour les tâches qui leur incombent : l'organisation logistique des repas et le ménage de leur chambre le samedi matin. « Ça, ils n'aiment pas, observe Karine Latouche, 39 ans, diplômée en 2003 et à temps plein au Phénicien depuis mars dernier. Nous devons être derrière eux, les pister ! On en a pour la matinée. Mais ça fait partie du soin. »

pas de soin technique

L'équipe soignante est dévolue à cet accompagnement psychologique. Aucun soin technique n'est dispensé dans l'enceinte de l'hôtel. « Même pour une petite blessure, on les invite à contacter un médecin généraliste, explique Karine Latouche. Ça doit leur apprendre à se prendre en charge. Même les injections que beaucoup ont, car il leur est difficile de suivre leur traitement oral, se font au centre médico-psychologique qui les suit. »

lieu de passage

Une fois que tous les patients sont levés, au prix parfois de plusieurs allers-retours pour les « stimuler », les soignants les aident à organiser le planning de leur journée. L'activité principale de chacun est déjà définie. La plupart vont se rendre en hôpital de jour, de 9 h à 16 h. Les autres se répartissent entre les centres d'aide par le travail, un centre d'activité thérapeutique à temps partiel, une formation ou un emploi.

D'autres obligations remplissent leur quotidien : une ordonnance à apporter à la pharmacie, un logement à chercher. À charge pour les infirmières de le leur rappeler. Car le Phénicien, dont l'admission est décidée après une évaluation préalable, ne peut être qu'un passage.

L'entrée dans cette unité, pour les trois mois du séjour dont la durée est renouvelable une fois, crée généralement une dynamique après les mois passés à l'hôpital. Un élan qu'il va falloir mettre à profit pour dessiner avec le patient l'étape suivante. Les infirmières ont là encore un rôle essentiel. Pendant l'absence des résidents en journée, elles vont être en contact avec le réseau constitué par l'équipe pour suivre leur progression. Certaines sont aussi référentes sur un des thèmes cruciaux pour la réinsertion des patients : le logement, l'emploi ou les activités socioculturelles.

« Moi, je travaille sur l'axe logement, explique Karine Latouche. Je collecte toutes les informations qui tournent autour de ce sujet puis je démarche tout ce qui me paraît être une piste. » Le marché du logement étant particulièrement tendu sur l'agglomération nantaise, aucune idée n'est délaissée. Ainsi, dernièrement, la jeune infirmière a pu rencontrer un responsable de l'association St-Vincent-de-Paul qui gère un foyer d'hébergement. Reste à voir le type de logement qui pourrait être une solution pour un patient.

En parallèle, deux fois par semaine, les infirmières consultent les annonces sur Internet avec le résident. « Si besoin, on peut l'accompagner pour téléphoner et visiter le logement », précise Karine Latouche. Parfois, les recherches aboutissent. Karine s'apprête justement à aider une patiente à meubler son nouvel appartement.

Au-delà de l'activité matérielle, il faudra surtout rester aux côtés de ces personnes. « Certains patients mènent à bien leur projet, souligne Annick Le Moigne. Et puis, au dernier moment, ils décompensent. Sortir complètement du cadre institutionnel leur devient alors impossible. Dans ce cas, on alterne une nuit dans leur nouveau domicile et une nuit au Phénicien. » Les appartements thérapeutiques peuvent être également une alternative, avant le grand saut vers l'autonomie.

Contact : Hôtel le Phénicien

4 bis, boulevard Robert Chasteland

44 700 Orvault

Tél. : 02 40 84 63 66

zoom

Éviter l'hôpital

En plus des infirmières, l'équipe comprend deux médecins, une psychologue, une assistante sociale et une secrétaire médicale. L'entrée du patient se fait sur indication des secteurs de psychiatrie (le Phénicien est intersectoriel), des foyers de postcure ou des médecins libéraux. Outre les 70 à 80 % de patients schizophrènes, l'unité reçoit des personnes ayant des problèmes d'alcool, de dépression, bipolaires... « Toute pathologie qui peut entraîner des problèmes d'insertion », insiste Claude Jolly, le responsable du Phénicien. Les patients ont en général entre 18 et 40 ans.

L'hôtel thérapeutique a ouvert ses portes en 1999. Jusqu'en octobre 2004, il était situé dans l'enceinte de l'hôpital psychiatrique de St-Jacques. Il a été fondé suite à la création de pôles en 1998 par le CHU de Nantes et à la transformation de lits temps plein en temps partiel. Le concept a été imaginé suite à la mission Massé, qui avait montré qu'une catégorie de patients - ceux qui se désinsérent de leur milieu familial ou de leur lieu d'habitation - était délaissée par les structures d'accueil. « Quand ces personnes vont mieux d'un point de vue psychiatrique, on s'aperçoit qu'on doit les garder faute de logement », résume Claude Jolly. Sans le Phénicien, la plupart des patients seraient à l'hôpital. Un sort qui serait également réservé à ceux qui n'ont plus besoin que de soins séquentiels.