Le soin de l'extrême - L'Infirmière Magazine n° 223 du 01/01/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 223 du 01/01/2007

 

l'hôpital de l'ouest guyanais

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Au centre hospitalier de Saint-Laurent du Maroni, le service de médecine interne est confronté à des situations dramatiques dues à la violence, au sida et aux maladies tropicales. Dans cette zone frontalière du Surinam, les soignants se heurtent à des barrières culturelles et linguistiques.

U ne journée comme une autre au centre hospitalier de l'ouest guyanais. Jean-Loup Daigre, chef du service de médecine interne, débute sa visite quotidienne. Pendant ce temps, l'unité s'apprête à accueillir trois nouveaux patients séropositifs. Une jeune femme SDF et toxicomane, bien connue du service, entre dans la salle des internes. « C'est la reine ! s'exclame le docteur Valéry Nasser. Elle est dans un état pitoyable, c'est incroyable ! » La jeune femme est couverte de plaies, manifestement très affaiblie. Elle réclame des suppléments nutritionnels. « Arrête ton baratin, s'écrie le docteur Valéry Nasser. Ceux qu'on t'a donnés hier, tu les as vendus pour te payer ta dose ! Allez, il faut que tu ailles au centre médico-psychologique. »

patients démunis

Situé en plein centre de l'ancien hôpital pénitencier, dont certains bâtiments sont encore utilisés, l'hôpital de Saint-Laurent du Maroni, à la frontière avec le Surinam, a été construit en 1994 sur l'initiative de Bernard Kouchner et Franck Joly, pour pallier au manque de moyens de l'ouest guyanais. Ce service de médecine polyvalent « accueille toutes les pathologies qui ne sont pas chirurgicales, pédiatriques et gynécologiques », précise le Dr Andry Randrianjohany. Le gastro-entérologue Jean-Loup Daigre voit passer ici une population dont la santé ne cesse de s'aggraver. « Nous avons le tout venant, explique-t-il. Je suis assisté par quatre autres praticiens qui ont tous une qualification en médecine interne, avec une spécialité liée à cette région équatoriale. » Andry Randrianjohany et Élodie Chauvet sont infectiologues, Valery Nasser oncologue et spécialiste du sida, et Caroline Poteau, interne en médecine générale, est venue conforter sa spécialité en médecine tropicale. Avec vingt lits, ce n'est pas le service le plus important, mais le plus représentatif. Dans cette unité, on retrouve des pathologies infectieuses tropicales et parasitaires, et beaucoup de VIH, avec un taux de prévalence 10 fois supérieur à celui de la métropole.

Très démunis, les patients arrivent le plus souvent avec un sida déclaré, puis cumulent les pathologies comme le paludisme et l'histoplasmose, des maladies présentes dans le bassin amazonien. Sans compter la violence liée au milieu de l'orpaillage : on retrouve souvent des blessures par arme à feu ou par arme blanche, conséquentes aux règlements de comptes entre chercheurs d'or. « Nous devons voir un dixième de cette réalité, confie Marie-Thérèse Gandemer, infirmière dans cette unité depuis deux ans. Nous avons une population très pauvre où beaucoup de clandestins arrivent ici à bout de souffle, en quête de soins. »

Les patients du CH Franck-Joly sont essentiellement Guyanais, Guyaniens (ressortissants du Guyana, l'ex-Guyane britannique), Haïtiens, Brésiliens, Surinamais, Chinois, Hmongs (ethnie du Laos, en partie expatriée), métropolitains, Créoles, Amérindiens et Bushinengés. Cette dernière communauté, composée de descendants d'esclaves rebelles, échappés des plantations de l'ex-Guyane hollandaise (le Surinam), s'est réappropriée le Maroni depuis plusieurs siècles. Ce sont « les seigneurs du fleuve », comme on les nomme ici, répartis en plusieurs ethnies : Aluku, Saramaca, Paramaka et Djuka, vivant entre la Guyane et le Surinam.

polygamie et sida

« Ici, le drame, c'est le sida, témoigne une infirmière. C'est dans leur culture d'avoir plusieurs épouses, mais ils ne se protègent pas et n'ont pas conscience de la gravité de la maladie. » Mais le virus n'est pas le seul problème sanitaire de la région. Une nourriture pas assez variée, souvent assortie de grosses quantités de gibier cuisiné avec trop de sel, ainsi que le manque d'activités physiques, sont responsables de nombreux accidents vasculaires cérébraux. « Les Bushinengués mettent du bouillon en cube à toutes les sauces », explique Andry Randrianjohany. Le diabète lié à la mauvaise alimentation et le sida font des ravages. « Nous avons des patients qui arrivent à un stade très avancé de la maladie. En charge de travail et en charge émotionnelle, pour le personnel soignant, c'est parfois très difficile », raconte le docteur Andry Randrianjohany.

Si l'annonce d'un diagnostic est complexe, le suivi des patients l'est encore plus. Beaucoup ne viennent pas aux rendez-vous mensuels fixés par les praticiens hospitaliers. Sans parler des traitements, tout simplement abandonnés, ou mélangés avec des médecines traditionnelles, sources de nombreuses interactions. « Les gens cessent les prises médicamenteuses, et arrivent deux mois après aux urgences avec une insuffisance rénale aiguë, explique Andry Randrianjohany. On les sauve in extremis ; on leur explique à nouveau, puis on ne les revoit plus . On imagine qu'ils meurent du sida dans leur village ou en forêt. C'est dramatique ! » Pour les tribus Bushinengués, convaincues de l'issue fatale de la maladie, le sida est un facteur d'exclusion de la communauté. « Ils pensent que toute maladie grave est due à un sort ! » explique une infirmière.

La barrière culturelle et linguistique est souvent la principale source des problèmes pour faire comprendre la nécessité de se faire soigner. Dans le service, personne ne parle couramment le portugais. Mis à part quelques mots pour s'exprimer avec les patients originaires du Brésil, l'équipe soignante doit utiliser un petit manuel pour communiquer. Ils ont aussi appris les rudiments du taki taki (le langage bushinengué) et de l'amérindien. Sur les deux infirmières guyanaises, l'une est amérindienne et l'autre bushinenguée.

formation à cayenne

Issue de la communauté des Alukus, Jocelyne Adoissi a grandi à Saint-Laurent du Maroni. Elle a été formée à l'école d'infirmières du CH Andrée-Rosemon de Cayenne. « Je suis allée là-bas, puis j'ai choisi de revenir travailler à Saint-Laurent du Maroni, car il y a une incompréhension entre la culture bushinenguée et le monde médical », explique la jeune femme. Elle est un élement précieux pour ce service, qui comporte jusqu'à 35 % de patients séropositifs. « Il faut leur faire comprendre que c'est une vraie maladie et qu'il est nécessaire de se faire soigner, explique-t-elle. Mais on ne peut pas occulter leurs croyances ! Mettre un préservatif, c'est dur ! C'est culturel et c'est leur virilité qui est atteinte... » L'une des toutes dernières infirmières arrivées dans l'unité est Marie-Laure Biswana. Cette Amérindienne, de l'ethnie des Arawaks du côté de sa mère, travaille ici depuis quelques mois. Elle aussi a également effectué ses études à l'école d'infirmières du CH Andrée-Rosemon, après un long parcours semé d'embûches. « Le travail est intéressant, mais les services de médecine interne ont la réputation d'être difficiles en Guyane », souligne la jeune femme. Sous la moiteur équatoriale, la réalité de certaines situations rend parfois difficile l'exercice des professions de santé. « Le turn over est important », admet un cadre de santé. Certains profitent de l'opportunité d'un poste en Guyane pour visiter l'Amérique du Sud. Dans les rues de cette ancienne commune pénitentiaire du camp de la Transportation, trois jeunes infirmières, vêtues comme des touristes en goguette, viennent tout juste de débarquer de la métropole. Toutes les trois ont trouvé un poste au sein de l'hôpital. Combien de temps resteront-elles ?

en savoir plus

L'Ifsi de Cayenne s'est constitué au début des années 1950. Depuis 2001, la formation dure 132 semaines et réunit 150 étudiants répartis sur trois promotions. Les étudiants viennent de Guyane, mais également des Antilles françaises.

Les cours classiques de formation sont aussi complétés par une connaissance des pathologies tropicales rencontrées en Guyane. La pluriéthnicité et le multiculturalisme sont également pris en compte dans l'approche des soins délivrés aux patients, un élément indispensable au regard des différentes populations de la Guyane.

- Contact :

1, avenue d'Estrées, BP 6006, 97306 Cayenne Cedex.

Tél : 05 94 28 96 42. Fax : 05 94 28 71 38

Internet : http://www.ch-ouestguyane.fr.