Les enfants cachés de la Roumanie - L'Infirmière Magazine n° 223 du 01/01/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 223 du 01/01/2007

 

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Reportage

Elles s'appellent Cristina, Elena ou Stefania et ont été abandonnées à la naissance. Face aux victimes de la politique nataliste de Ceausescu, Bucarest est en panne de solutions satisfaisantes.

Cristina, Elena et Stefania sont des petites Roumaines chanceuses. Il y a encore 17 ans, date de la mort de Ceausescu, elles auraient échoué dans les orphelinats-mouroirs où végétaient 120 000 enfants, abandonnés et maltraités.

Cristina, qui a fêté ses 4 ans, et Elena, âgée de 4 mois, sont aujourd'hui élevées par Lili, une assistante maternelle modèle. Choyée, intégrée dans sa famille d'accueil, Elena connaît, sinon l'amour d'une mère, la tendresse d'une « nounou », chez qui elle devrait rester jusqu'à ses 18 ans. Cristina joue au ballon et partage les jeux sur l'ordinateur avec le fils de sa famille d'accueil. Stefania, elle, a été adoptée par une famille roumaine, et sa nouvelle maman, Iuliana, ne la quitte guère des yeux, sous le regard attendri de son grand frère.

Mais ils ne sont que quelques milliers à connaître ce bonheur. Certes, la Roumanie s'est engagée, pour faciliter son entrée dans l'Union européenne, ce mois-ci, à respecter la déclaration universelle des droits de l'enfant, c'est-à-dire à fermer les orphelinats sordides, véritables univers concentrationnaires, à améliorer les structures d'accueil, et surtout à mener une politique préventive face à l'abandon d'enfants, une plaie chronique en Roumanie.

Cinq enfants minimum

Mais les engagements pris sont loin d'être atteints. La prévention n'est guère une priorité et l'État cherche surtout à cacher les chiffres véritables de l'abandon, dans le but de donner le change à l'opinion publique internationale et à Bruxelles. Les mouroirs ferment et moins de 30 000 enfants vivent aujourd'hui dans ces orphelinats, contre 100 000 en 1997. Le nombre d'abandons, lui, reste élevé : 9 000 en 2004, dont 4 000 nouveaux-nés. Ils seraient un tiers à ne pas avoir de papiers d'identité.

Comment la Roumanie en est-elle arrivée là ? La paupérisation extrême - 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté - et la politique nataliste du « Conducator » sont largement en cause. Sous le régime de Ceausescu, avorter était interdit - les médecins enfreignant cette loi risquaient 25 ans de prison et la peine de mort en cas de récidive - et chaque Roumaine était tenue d'avoir au moins cinq enfants, quitte à les laisser en orphelinat. Pas de contraception possible, visite obligatoire chez le « gynéco » à l'appui. D'où une pratique courante de l'abandon. Les petites victimes de la politique nataliste s'entassaient alors dans des crèches surpeuplées, puis dans des foyers mouroirs, des « écoles spéciales », voire des asiles psychiatriques. « Tout un peuple est condamné à naître à travers le corps meurtri des femmes », écrit la poétesse Ana Blandiana au milieu des années 80.

Le passage à la démocratie a mis fin à ces pratiques autoritaires. Depuis 1996, quelques efforts sont menés. En 1997, un jeune médecin, Cristian Tabacaru, fort de son expérience au sein de l'ONG Sera (Solidarité enfants roumains abandonnés), obtient pendant six mois le secrétariat d'État à la protection de l'enfance et fait sauter quelques blocages. Les orphelinats sont alors placés sous la responsabilité de « directions de protection de l'enfant », au sein des départements. Cette décentralisation permet une gestion plus proche du terrain.

Mesures inefficaces

Mais les mentalités et la situation économique n'évoluent guère. Les mères font toujours face à la pauvreté, à la malnutrition, à l'absence de soins et de médicaments, et aux tabous qui pèsent sur la sexualité et la contraception. Quant au planning familial, il est quasi-inexistant. Ainsi, la mortalité infantile et celle des mères à l'accouchement reste une des plus élevée d'Europe. Certaines familles n'ont toujours pas d'autre choix que d'abandonner le petit dernier.

La Roumanie n'a pas pris le mal à la racine : peu de prévention, des mesures inefficaces. En interdisant l'adoption par des parents étrangers en 2000 - au motif de lutter contre le trafic d'enfants, qui favoriserait l'abandon - le gouvernement a amplifié le phénomène.

La fermeture des orphelinats n'a pas non plus résolu le problème. Que sont devenus les enfants qui y étaient placés ? Qui s'occupe désormais des enfants abandonnés chaque année ? Le placement en institution des enfants de moins de 2 ans est interdit. Le gouvernement a donc dû expérimenter d'autres pistes.

Certains enfants ont été réintégrés dans leur famille biologique. Une solution peu satisfaisante : souvent non désirés, abandonnés par des parents trop pauvres, ils sont parfois maltraités et viennent grossir le flot des enfants des rues.

D'autres sont placés en « assistance maternelle », comme Cristina et Elena. Ils seraient 15 000 à 20 000 à être aujourd'hui sous leur garde. Cette profession, récente, bien rémunérée - 340 euros par mois -, attire les candidates. Les petits abandonnés bénéficient ainsi en principe de l'équilibre d'une famille. Mais les assistantes maternelles ne sont pas (ou peu) formées. Les cas de maltraitance sont nombreux et l'enfant se retrouve seul dès qu'il atteint 18 ans.

Cache-misère

Certains, comme Stefania, ont eu la chance d'être adoptés par une famille roumaine. Un phénomène qui se développe petit à petit - 1422 petits ont trouvé une nouvelle famille en 2005 - et permet de suppléer à l'adoption internationale.

Mais la plupart des enfants restent dans les maternités et les services pédiatriques qui ne sont ni équipés, ni formés pour les accueillir. Des orphelinats qui n'en portent pas le nom et qui ont un seul mérite aux yeux des pouvoirs publics roumains : faire baisser les chiffres officiels.

À lire : les enfants du diable, Jean-Louis Courtinat et Arielle Thédrel, Nathan-Delpire, 2001.