Trois Logis pour se reconstruire - L'Infirmière Magazine n° 223 du 01/01/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 223 du 01/01/2007

 

Adolescence

Du côté des associations

À Poitiers, une unité d'hospitalisation originale accueille depuis plus de vingt ans des jeunes en grande souffrance. Un lieu de vie où l'on prend le temps du soin.

C'est un petit pavillon anonyme, dans une rue calme, à la périphérie du centre-ville de Poitiers. Ou plutôt, trois petites maisons accolées. À peine si l'on remarque, au-dessus de la porte d'entrée, une plaque indiquant les « Trois Logis ». Le symbole de l'hôpital Henri-Laborit a disparu, effacé par quelque jeune occupant du lieu. Trop stigmatisant. Pourtant, s'il est géographiquement distinct de sa structure-mère, le foyer thérapeutique des Trois Logis est bien une unité d'hospitalisation de psychiatrie à temps plein, destinée aux adolescents. Des jeunes de 12 à 18 ans qui, lorsqu'ils arrivent, vont très mal, même s'ils ne sont pas en phase aigüe : troubles graves de la personnalité, anorexies mentales, troubles dépressifs ou du comportement plus ou moins associés à des difficultés scolaires... Les pathologies sont graves.

Dans les petites chambres à deux lits, certains couvrent les murs de dessins, photos et posters. D'autres chambres demeurent nues. « Nous avons la prétention, en y mettant le temps, d'infléchir une trajectoire développementale, de former des personnalités », indique le Dr Verrier, pédopsychiatre responsable des Trois Logis. « Et surtout, grâce à un meilleur fonctionnement psychique, moins entravé par des conflits incessants, de restituer aux jeunes une liberté de soi, un plaisir à penser et à vivre. Mais pour effectuer ce travail en profondeur, il faut se faire du temps un allié. » Trois ans sont généralement nécessaires pour effectuer ce travail de soin quotidien. L'équipe soignante, composée d'un cadre de santé, de dix infirmiers, d'un aide-soignant, d'une ASH et de deux ASH veilleurs de nuit, en plus du pédopsychiatre et d'une psychologue, se relaie en permanence auprès des jeunes.

Dans la petite cuisine, deux infirmières parlent avec le cadre de santé, Walter Zanetti, des événements de la veille : l'alcoolisation de deux jeunes dans un centre commercial, qui s'est terminée aux urgences. Provocations, fugues, phases de crise : l'équipe soignante, expérimentée - le doyen des infirmiers a connu l'ouverture des Trois Logis, en 1974 - a l'habitude de ces aléas. Mais, loin de les banaliser, elle compte sur son mode de fonctionnement pour, à long terme, apaiser les choses. Considérée comme une entité autonome, l'équipe propose à l'adolescent un cadre stable et une structure identificatoire.

« promotion de la vie »

L'équipe rythme le séjour par des moments forts : le temps scolaire, les repas, le coucher, la réunion du lundi soir, moment d'échange entre adolescents et soignants, ou les séjours thérapeutiques. « Les Trois Logis, c'est un lieu de vie, où l'on fait la promotion de la vie, résume Walter Zanetti. En développant tout ce qu'il y a de vivant en lui, dans la quotidienneté, on accompagne l'adolescent vers l'extérieur. L'objectif est de le réintroduire, petit à petit, dans le milieu social. » Même si les jeunes ne le quittent jamais tout à fait, car le maintien d'une scolarité ou d'une formation pré-professionnelle est l'une des conditions d'admission. Ce matin-là, d'ailleurs, le salon des Trois Logis - fauteuils, bibliothèque emplie de livres et de jeux de société, télévision et lecteur DVD, baby-foot et jeu de fléchettes - est vide. Les adolescents sont au collège ou au lycée. « La dimension pédagogique a une valeur capitale dans le projet de soins, explique Walter Zanetti. La scolarité, dans notre foyer, est investie comme un facteur d'une certaine réussite. »

absorber l'angoisse

Dès son arrivée au foyer, chaque jeune a un infirmier référent, garant du soin et porteur de l'histoire de l'adolescent. Il collabore avec l'équipe enseignante de l'établissement scolaire et multiplie les échanges afin d'instaurer un climat de compréhension et de confiance mutuelle. Il sert aussi de médiateur dans la relation entre l'adolescent et sa famille. Car, pour les jeunes qui séjournent aux Trois Logis, être séparés des parents constitue une indication thérapeutique à part entière. « On leur propose de prendre un peu de distance avec leur famille, indique Walter Zanetti. Il ne s'agit pas de couper les liens, mais de les rendre plus souples, moins douloureux. » « On ne raie pas les parents, précise le Pr Daniel Marcelli, chef de service à l'hôpital Henri-Laborit, on introduit un espace de respiration entre eux et leur adolescent. Cette prise de distance apaise et permet de faire un travail psychologique. »

C'est le moment du repas thérapeutique, pris avec deux infirmières : « Ils déballent tout, leurs angoisses, leurs récriminations, et les soignants mangent, absorbent tout cela. » On rit, on s'invective, on règle ses comptes. On parle de l'actualité, la sienne ou celle du monde. Avant de s'envoler vers d'autres activités, à l'extérieur.

Foyer urbain des Trois Logis

6, allée de la Vervolière

86 000 Poitiers

Tél. : 05 49 61 11 91

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