Un enfer pour quelques kilos en trop - L'Infirmière Magazine n° 223 du 01/01/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 223 du 01/01/2007

 

Vous

Vécu

De 13 à 23 ans, j'ai souffert de boulimie. Je l'ai toujours caché, jusqu'à ce que la maladie me rattrape. Quand je pense à cette époque, j'ai l'impression d'avoir été une autre tant mon quotidien a changé depuis que j'en suis sortie. Avec des périodes d'accalmie, j'ai souffert de cette maladie que je trouvais honteuse, sans réellement en prendre conscience. Elle faisait partie de moi, mais je l'occultais. J'étais la seule à le savoir, c'était mon secret.

spirale

J'étais littéralement obsédée par le fait de manger. Je ne pensais qu'à la nourriture, toujours. Jour et nuit. Au point qu'il m'est arrivé de me relever en pleine nuit pour manger, ou plutôt, faire une crise. Il m'arrivait d'en faire jusqu'à cinq ou six par jour, voire davantage, et je ne voulais surtout pas les compter. Et puis comme une crise en entraîne une autre... Mon quotidien est devenu infernal. Chaque matin, je me disais : « Allez, aujourd'hui, ça va aller, pas de crise. » Inexorablement, au bout de quelques heures, je me retrouvais dans la même situation : celle d'avoir envie de me « vider » pour me purifier. J'avais pu m'engouffrer un pot de mayonnaise, une plaquette de beurre, de la pâte à tarte crue en plus de tout ce qui traînait dans mes placards : sauce froide, sucre, confiture... Comme possédée, je dévorais tout ce qui me passait sous la main. Et je finissais aux toilettes.

Après une courte période d'anorexie, j'avais en effet trouvé plus « simple » d'être boulimique et de me faire vomir. Je l'ai fait des centaines de fois. Il fallait que je me débarrasse de tout ça, pour surtout ne pas grossir, et garder la face.

Tout est parti d'un banal régime d'adolescente. J'avais 14 ans et 5 kilos en trop. Très vite, je suis tombée dans cette spirale infernale. Pour n'en sortir qu'une décennie plus tard.

« éponge »

Un jour, ne pouvant plus supporter les crises incessantes et leurs conséquences (mes dents se déchaussaient, mais, surtout, il m'arrivait de vomir du sang), je ne sais pas ce qui s'est passé, j'ai « pété un plomb ». Ce que j'avais si bien réussi à dissimuler m'a sauté en pleine figure : j'étais malade, je souffrais de boulimie. Je me suis documentée, j'ai pris rendez-vous chez un psy, et le long processus de guérison a commencé.

J'avais déjà consulté un psychologue quelques années auparavant, mais nous étions passés à côté de la thérapie. Je ne parvenais pas à me livrer, ne lui avais même pas parlé de la boulimie, que je n'acceptais pas à l'époque. Mon rapport avec le second spécialiste que j'ai rencontré fut différent. Il m'a tout d'abord proposé de faire connaissance pendant quelques séances avant d'entreprendre, ou non, une thérapie. J'ai apprécié sa démarche. Au bout de quelques mois, il a décelé chez moi une hypersensibilité et une faculté à absorber les angoisses des autres, à ne pas savoir me protéger. Il utilisait l'image de l'éponge. Je me suis reconnue à travers ces mots. Combien de fois avais-je été mal au point d'avoir le sentiment de ressentir les souffrances de mes proches ! Il m'a fallu apprendre à me connaître, et à me construire. Des séances d'hypnose éveillée m'ont beaucoup aidée.

Non, tout cela n'était pas entièrement de ma faute. Je n'en étais pas responsable et des centaines d'autres personnes enduraient le même calvaire. J'ai ressenti le besoin de le dire à ma famille et à mes amis. Et à un spécialiste, qui m'a beaucoup aidée.

Ma boulimie n'était qu'un symptôme de mon manque de confiance, mais surtout de mon manque de connaissance de moi-même. Je n'avais pas de problème apparent : une famille aimante et aisée, des amis nombreux et chaleureux, une belle réussite scolaire, une vie amoureuse satisfaisante... Mais j'ai toujours tenté d'atteindre la perfection. Celle qui n'existe pas, après laquelle on peut toujours courir, en vain. Celle des magazines et des mannequins qui me faisaient tant rêver. Mon seul défaut était ces 5 petits kilos en trop et je voulais m'en défaire.

Si aujourd'hui la boulimie fait partie de mon passé, je suis vigilante, j'essaie de manger sainement pour essayer de rattraper le temps perdu et je souhaite dire haut et fort qu'il n'y a pas de honte à être boulimique, aussi terrible et « sale » que cette maladie puisse paraître. Et, surtout, qu'on peut en guérir.

Valérie, 25 ans