À visage découvert - L'Infirmière Magazine n° 224 du 01/02/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 224 du 01/02/2007

 

alopécie

Reportage

Atteintes de pelade, ces femmes ont perdu leurs cheveux, leurs poils, et souvent aussi leurs cils et sourcils. Chaque jour, l'alopécie les pousse à réinventer leur féminité.

C'était en juillet 2004 : Céline, comédienne et maquilleuse, n'a même pas 40 ans, quand elle commence à perdre ses cheveux, par plaques entières. Petit à petit, celles-ci s'étendent, jusqu'au mois de janvier où elle n'a plus aucun poil ni cheveu sur le corps. « J'ai su très vite que j'allais devenir chauve. Quelque part dans ma tête, c'était comme si je lâchais prise. J'ai toujours beaucoup joué l'alchimiste avec mon image extérieure. Aujourd'hui les masques sont à bas, il n'y a plus de barrière ni de protection pour montrer ma vérité. Montrer une fragilité, une féminité. »

Hasard douloureux

Céline souffre de pelade décalvante. C'est la phase extrême de l'alopécie, une maladie qui touche 1,7% des individus(1), soit plus de 1 million de personnes en France, sans distinction d'âge ou de sexe. Elle peut se déclencher à la suite d'un choc émotionnel, sur un terrain favorisé par l'hérédité, mais aussi sans raison apparente. « Le premier réflexe des patients est de chercher une cause, constate le Dr Philippe Assouly, dermatologue, spécialiste du cuir chevelu au centre Sabouraud de l'hôpital Saint-Louis, à Paris. Ils se demandent ce qu'ils ont fait de mal, ou ce qui a bien pu leur arriver dans le passé. Mais le facteur déclenchant peut être environnemental, une conjonction de plusieurs facteurs, ou même le pur hasard. » Dur à encaisser, le hasard, quand il empêche de se regarder dans la glace.

La détresse psychologique des patients est d'autant plus aiguë que, si la médecine ne peut déterminer la cause de la pelade, elle ne connaît pas non plus de remède efficace, notamment dans les formes étendues de la maladie. La pelade évoluant par épisodes, la chute des cheveux et des poils corporels alterne avec des repousses partielles, avec parfois dix ans d'écart. En l'absence de traitement actif sur l'évolution générale, le médecin va établir une stratégie thérapeutique avec son patient. Environ 10% des pelades universelles repoussent toutes seules dans les six mois. Pour les autres patients, à chaque épisode, différents traitements sont envisageables. Certains d'entre eux signent une lettre d'information, compte tenu des effets secondaires envisageables. Autant d'incertitudes qui suscitent l'angoisse, et reculent, chez les femmes, la phase de reconquête de la féminité.

Signal d'urgence

Céline, elle, a interprété la maladie comme un signal d'urgence à révéler les non-dits dans sa famille. Aujourd'hui, elle est mariée et a un petit garçon de 1 an. Elle associe son alopécie à une libération psychologique qui a changé sa vie. « Je suis plus heureuse aujourd'hui sans mes cheveux qu'il y a 4 ans, parce que j'ai enfin pu dire ce que j'avais à dire. »

Alice(2) pense aussi que la chute de ses cheveux est liée à ce qui s'est passé dans sa vie. « Encore des bâtons dans les roues », dit-elle en évoquant sa pelade décalvante. Âgée d'une vingtaine d'années, elle a déjà surmonté un angiome facial qui lui a valu huit opérations de chirurgie esthétique entre 5 ans et 15 ans et la dépression qui a suivi le décès de son père. La jeune femme ne supporte pas cette nouvelle épreuve, un sujet totalement tabou dans la maison où elle vit. Depuis trois ans, elle ne se regarde jamais dans un miroir sans sa perruque. Même son ami n'a pas le droit de la voir tête nue. « Si j'enlevais ma chevelure ou le bonnet que je porte le soir, j'aurais l'impression d'enlever ma personnalité. On se sent inférieure... C'est un côté de moi que je ne veux pas montrer. J'ai envie qu'on me considère comme avant. Je ne veux pas me sentir différente, et surtout je veux rester féminine. »

L'alopécie a également rythmé la vie de Bétia, modéliste de 54 ans, touchée par intermittence depuis l'âge de 10 ans. À 20 ans, elle aime provoquer avec sa tête nue. Plus tard, elle se résout à porter un bandeau, puis une perruque depuis une quinzaine d'année. « Pas pour être belle, mais pour être comme tout le monde ». Aujourd'hui, Bétia met une perruque comme on met un collier ou une montre, et joue parfois les stars américaines avec une chevelure blonde. « Il m'arrive de le dire autour de moi, à l'instinct, selon le contexte. Mais je sens parfois une agression ou une curiosité malsaine. Certains ne sont pas prêts à entendre, d'autres sont effrayés. Même dans la famille, ça dérange. Il y a des normes physiques. Mes filles sont gênées par le regard des autres, mes petites filles préfèrent que je n'arrive pas avec des modèles de perruques différents, pour ne pas que ça se voie. »

L'alopécie en héritage

« La couleur de mes cheveux, tu t'en souviens ? » Clothilde, 12 ans, interroge sa mère, qui se rappelle d'un châtain clair. Coiffées toutes les deux d'un foulard, mère et fille ont hérité de la pelade, qui touchait déjà la grand-mère de Nathalie. À l'enfance et à l'adolescence, Nathalie avait déjà eu plusieurs épisodes. Mais lorsque son mari la quitte, elle perd tous ses cheveux, ainsi que ses cils et ses sourcils. Pour retrouver son image d'avant, elle porte une perruque quelques années. Puis elle se décide à « affronter plutôt que fuir », et adopte le foulard. « C'est le temps qui m'a permis de récupérer ma confiance. Je vois que les gens viennent vers moi, que je ne fais pas peur, que j'ai des compliments... » Une expérience qu'elle partage avec sa fille, qui a la certitude d'être comprise. Clothilde a 6 ans quand elle commence à perdre ses sourcils, puis ses cheveux. Les traitements fonctionnent un temps, puis deviennent inefficaces. « Quand ils n'ont plus marché, j'ai été très triste. Puis je me suis dit que c'était comme ça ». Et au psychologue qu'elle rencontre, elle explique qu'elle ne voulait tout simplement pas laisser sa maman toute seule sans cheveux.

1- Selon une étude américaine effectuée de 1975 à 1989. Safavi K.H., Muller S.A., Moshell A.N., Melton R.J. Incidence of alopecia areata in Olmsted county, Minnesota, 19975 through 1989. Mayo Clin Proc 1995 ; 70:628-33.

2- Le prénom a été modifié.