Le sida n'aura pas gain de cause - L'Infirmière Magazine n° 224 du 01/02/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 224 du 01/02/2007

 

Vous

Vécu

Je m'appelle Abder, j'ai 39 ans, suis fonctionnaire et séropositif depuis seize ans. Ce que je ne veux pas, c'est qu'on me colle une étiquette. « Séropositif », ce n'est pas une carte de visite. Le regard des autres ? Je m'en méfie. Directement concerné par la maladie, je n'ai pas envie de susciter de la pitié, surtout pas. Quand j'annonce ma séropositivité, j'aimerais qu'elle soit acceptée comme une pathologie parmi d'autres, sans jugement. Souvent, une des premières questions, c'est « comment tu l'as attrapé ? » Cela ne se demande pas. Je pense toutefois que les mentalités évoluent. Avant, avoir le sida, c'était être soit gay, soit toxico. Maintenant, on parle davantage du sida dans les familles. C'est une autre prise de conscience de la maladie, cela avance. Et puis, les autres changent surtout de comportement quand ils sont concernés par la maladie. Au départ, des membres de ma famille me montraient du doigt. Mais certains se sont retrouvés dans la même situation et adoptent aujourd'hui un comportement différent. Cela n'arrive pas qu'aux autres...

Au début des années 90, mon test HIV s'est révélé positif. Pour moi, c'était comme si tout s'écroulait. On se croit toujours à l'abri. Je ne savais pas dans quelle optique j'étais. Peut-être aussi nous fait-on culpabiliser...

malades ou cobayes ?

Je ne voulais pas me réveiller, j'avais du mal à l'accepter. Certains ne l'acceptent d'ailleurs jamais, d'autres à plus ou moins long terme. C'est un gros travail d'arriver à en parler. Au début, j'ai dû apprendre à connaître la maladie. À l'annonce de ma séropositivité, je pensais inévitablement à la mort. Cela fait toujours peur.

Dans mon entourage, beaucoup de gens n'ont pas survécu à la maladie. La génération juste avant la mienne n'a malheureusement pas pu bénéficier de la trithérapie et des seringues en vente libre. Mon médecin de l'époque, un généraliste, m'a prescrit du Zerit® et du Videx®, qui ne sont plus vendus aujourd'hui. Au niveau du virus, ils donnaient les résultats escomptés. Mais on ne s'était pas assez penché sur les effets secondaires, peut-être par manque de recul. J'en ai pris pendant 10 ans. C'était un traitement très lourd : grosses fatigues, douleurs articulaires, neuropathies. Un matin, je n'ai même pas réussi à me raser, mes doigts étaient tout engourdis. La majorité de ce que le corps médical sait sur le sida, ce sont les malades qui le lui ont appris. Nous avons servi de cobayes, en quelque sorte.

Aujourd'hui, l'offre médicamenteuse n'est plus la même. Si quelqu'un a le visage complètement marqué par la maladie, par exemple, il peut prendre du Newfill®, c'est efficace et pris en charge par la Sécu. Dans cette société où tout est fait pour être mis en beauté, malade ou pas malade, nous avons envie d'être bien, de présenter bien, de ne pas montrer notre faiblesse. Depuis quatre ans, je suis sous trithérapie. Je prends du Trizivir® tous les jours, matin et soir. Là aussi, les effets secondaires sont importants. La seule lecture de la notice est effrayante ! Avec les années, j'ai appris à vivre avec cette maladie, petit à petit. Je sais à quoi m'attendre, je l'appréhende différemment. Mais ce n'est pas évident, notamment lorsqu'on souhaite commencer une relation de couple sérieuse.

dignité et acceptation

Je pense tout de même qu'il y a un réel travail à faire, au niveau des médecins et de la médecine du travail notamment. J'en ai un mauvais souvenir. Le problème, c'est avant tout que les gens connaissent mal, ou peu, la maladie.

Aujourd'hui, j'approche la quarantaine, je me lève tous les matins et je m'efforce de garder le dessus. J'ai voulu griller la vie, je continue. On peut vivre avec la maladie. Tant que j'ai encore un peu de santé, je continue à me battre. Je participe au « Comité des familles pour survivre au sida »(1). Avec d'autres malades, nous travaillons sur la dignité, pour être acceptés comme nous sommes. Cela m'apporte beaucoup. Je participe aussi à une émission de radio dédiée aux malades. Le sida n'aura pas gain de cause, c'est moi qui décide.

1- Internet : http://www.survivreausida.net.