Nutrition et cancer - L'Infirmière Magazine n° 224 du 01/02/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 224 du 01/02/2007

 

traitement

Conduites à tenir

Lors de la prise en charge de la pathologie cancéreuse, la nutrition doit occuper une place à part entière afin d'optimiser les traitements et d'améliorer la qualité de vie des patients.

Face au cancer, il est aujourd'hui prouvé que la dénutrition a une valeur pronostique propre. « Elle peut en effet jouer un rôle déterminant sur l'évolution de certains cancers, notamment en raison de l'influence qu'elle exerce sur la capacité des patients à tolérer durablement des thérapeutiques lourdes », estime le Pr Xavier Hébuterne, président de la Société francophone de nutrition entérale et parentérale (SFNEP) et chef du service d'hépato-gastroentérologie et nutrition à la clinique du CHU de Nice (Archet 2). « De même, à un stade avancé du cancer, il est reconnu que le décès est directement lié à la cachexie dans 30 % des cas ». Il est donc important de dépister précocement le risque nutritionnel, dès la phase diagnostique du cancer, et de prévenir sa dégradation tout au long de la prise en charge(1). Cela suppose d'en connaître les causes, de savoir évaluer et quantifier la dénutrition et de mettre en oeuvre précocement les moyens nécessaires pour la corriger.

MÉTABOLISME ET APPORTS ALIMENTAIRES

La dénutrition des malades atteints de cancer résulte de modifications métaboliques et de la réduction des apports alimentaires. Ces deux phénomènes sont directement liés au cancer et très étroitement intriqués. Cette maladie entraîne la sécrétion de substances catabolisantes (cytokines, facteurs protéolytiques « PIF ») à l'origine d'une double réaction péjorative sur le plan nutritionnel. Ces substances vont provoquer des troubles métaboliques en augmentant le catabolisme des protéines et les besoins protéino-énergétiques ; simultanément, elles vont aussi agir au niveau de l'hypothalamus sur le centre de l'appétit et celui de la satiété en inhibant le premier et en stimulant le second. Résultat : les malades ont moins faim et sont plus rapidement rassasiés alors que leurs besoins énergétiques augmentent. À cela s'ajoute, pour certains cancers, une augmentation de la dépense énergétique de repos, qui contribue au déséquilibre entre les besoins et les apports et à la survenue de la dénutrition.

CERCLE VICIEUX

Lorsqu'elle n'est pas rapidement prise en charge, voire prévenue, la dénutrition altère les défenses immunitaires et expose le patient à des maladies infectieuses(2) qui, elles-mêmes, aggravent son état nutritionnel. Cette aggravation est également entretenue par les effets conjugués de nombreux facteurs liés à la maladie et au caractère agressif des traitements antinéoplasiques (au sujet des effets secondaires, lire l'encadré ci-dessous). Il en résulte un tableau de cachexie néoplasique avec réduction de la masse cellulaire active, de la masse grasse, de la masse maigre et surtout de sa part musculaire. Selon le type de cancer, entre 40 à 80 % des malades développent un état de dénutrition pouvant aller jusqu'à la cachexie(3). Il est donc indispensable de généraliser l'évaluation nutritionnelle, dès leur arrivée à l'hôpital.

ÉVALUER L'ÉTAT NUTRITIONNEL

« Cette évaluation doit pouvoir être mise en oeuvre par des équipes non spécialisées en nutrition », insiste la Haute autorité de santé (HAS) dans ses recommandations(4). Les outils d'évaluation doivent donc être simples et adaptés aux 3 niveaux définis dans les arbres décisionnels du Programme national nutrition santé(5).

1er niveau. L'évaluation de base repose sur les mesures anthropométriques (poids, taille, IMC) afin d'estimer la perte de poids. La mesure du poids et de la taille est essentielle car elle permet de déterminer l'IMC (indice de masse corporelle, égal au poids en kg rapporté à la taille en cm) et de disposer d'une première approximation de l'état nutritionnel. La pesée doit être renouvelée 2 fois par semaine en moyenne. Si le patient ne peut être mesuré debout à l'aide d'une toise, sa taille peut être calculée en utilisant l'équation de Chumléa (encadré). Il est aussi très utile de calculer la variation pondérale, ou « pourcentage d'amaigrissement », selon l'opération suivante : PA = [(poids de forme - poids actuel) x 100]/poids de forme). En cancérologie, une perte de poids de 10 % traduit une dénutrition à valeur pronostique et une perte de 25 % engage le pronostic vital(6). Cette perte de poids, précise la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (FNCLCC), doit être appréciée en fonction de sa vitesse d'installation. Ainsi, une intervention nutritionnelle est recommandée lorsque le patient a perdu plus de 2 % de son poids en 1 semaine, 5 % en 1 mois, 7,5 % en 3 mois et 10 % en 6 mois. D'autres mesures anthropométriques (circonférence brachiale et pli cutané tricipital) permettent d'affiner l'évaluation de la dénutrition en fournissant des indications sur la masse grasse et la masse maigre (circonférence musculaire brachiale). Toutefois, ces mesures peuvent être faussées par la présence d'oedèmes, et sont peu utilisées. « En pratique, commente le Pr Hébuterne, l'IMC et la perte pondérale commandent la poursuite ou non des investigations. Ainsi, en cas d'IMC inférieur à 18,5 chez l'adulte et à 21 chez le sujet âgé de plus de 75 ans, une évaluation plus poussée est réalisée pour déterminer le niveau de sévérité de la dénutrition ».

2e niveau. Les investigations permettant de confirmer et de préciser l'état de dénutrition reposent sur l'utilisation de scores spécifiques. Il en existe de nombreux, dont les plus utilisés sont le NRI (Nutritional Risk Index ou index de Buzby) pour les adultes(7) et le MNA (Mini Nutritional Assessment) pour les personnes âgées.

3e niveau. Les scores peuvent être complétés par le calcul des ingesta. En l'absence de recommandation, la méthode de référence consiste à noter durant vingt-quatre heures, et pour chaque plat, la nature des aliments et la quantité ingérée (totalité, la moitié, ou rien). « Idéalement, il faudrait réaliser cette observation durant trois jours, relève le Pr Hébuterne. Néanmoins, à partir des ingesta sur vingt-quatre heures, les équipes disposent déjà d'une évaluation satisfaisante à partir de laquelle elles peuvent mettre en place des conseils et une assistance nutritionnelle personnalisée. »

CONSEILS NUTRITIONNELS ET RECOMMANDATIONS

Si l'hôpital n'est pas le meilleur endroit pour stimuler l'appétit, il est néanmoins possible de mettre en place toute une série de mesures susceptibles d'améliorer considérablement l'état nutritionnel des patients.

Alimentation orale : Lorsque la dénutrition est modérée et l'alimentation par voie orale possible, il est recommandé d'augmenter les ingesta en multipliant les repas (ajouts de collations), en enrichissant les aliments et en augmentant la ration énergétique des portions. Il est également important d'encourager les familles à améliorer l'ordinaire de manière à varier et agrémenter les repas de plats ou aliments particulièrement appréciés du patient. Si ce n'est pas suffisant, il est possible d'intégrer des compléments alimentaires (CA) sous forme de boissons, de crèmes ou de potages apportant, pour un faible volume (200 ml en moyenne), entre 200 et 300 calories et entre 10 et 20 g de protéines très rapidement absorbées. Certains sont enrichis en Oméga 3 pour lutter plus efficacement contre les facteurs protéolytiques. Ils sont pris en charge sur prescription pour les malades porteurs d'affections néoplasiques. Les CA doivent être administrés sous forme de collation ou de goûter et ne doivent en aucun cas se substituer aux repas journaliers. La manière de les donner est capitale. Il faut les servir frais, montrer comment les ouvrir, expliquer qu'il s'agit d'un traitement à part entière, en précisant les apports en calories et protéines, et rassurer les patients sur le fait qu'il n'y a aucun effet secondaire digestif. En l'absence de stimulants de l'appétit véritablement efficaces sur l'état nutritionnel, les CA constituent une aide précieuse dont il est important de faire correctement usage.

Assistance nutritionnelle : Lorsque l'alimentation par voie orale est difficile voire impossible ou que les conditions (aggravation soudaine de la dénutrition, dénutrition sévère péri-opératoire) justifient ponctuellement la mise en place d'une assistance nutritionnelle, le choix entre nutrition entérale (NE) et parentérale (NP) dépend essentiellement de l'état du tube digestif. Il est admis, lorsqu'on a le choix, de privilégier la NE, plus physiologique, moins dangereuse et moins coûteuse que la NP. Celle-ci ne sera choisie qu'en cas de malabsorption grave, d'occlusion intestinale ou d'échec d'une NE bien conduite.

1- Dans certains cas (cancers ORL et digestifs par exemple) une gastrostomie préventive est mise en place avant le début des traitements pour optimiser la prise en charge nutritionnelle lorsque le patient présente des difficultés à s'alimenter.

2- Une dénutrition sévère mesurée par le Nutritional Risk Index augmente le risque d'infection nosocomiale de 400 %

(Br J Nutr 2004 ; 92 : 105-11).

3- Tisdale MJ, Wasting in cancer. J Nutr 1999 ; 129 : 243S-246S.

4- « L'évaluation diagnostique de la dénutrition protéino-énergétique des adultes hospitalisés », septembre 2003 (http://www.anaes.fr).

5- Le PNNS est un programme d'actions dirigé par la DGS dont l'objectif est d'améliorer l'état de santé de la population en agissant sur la nutrition.

6- Standards, options et recommandations, FNCLCC. « Bonnes pratiques diététiques en cancérologie : dénutrition et évaluation nutritionnelle », Bulletin du cancer, 1999 ; 86 : 997-1016.

7- Calcul : NRI = 1,519 x Alb. + 0,417 x (poids actuel/poids habituel/100). Si NRI > 97,5, il n'y a pas de dénutrition ; si 83,5 < NRI < 97,5, il y a une dénutrition moyenne ; si NRI < 83,5, il y a une dénutrition sévère.

Quelles stratégies face aux effets secondaires

- Troubles du goût et de l'odorat

La radiothérapie au niveau du cou et de la tête peut altérer le sens du goût (amertume, goût métallique) ; le sucré et le salé peuvent aussi être perçus différemment. Pour atténuer ces désagréments, conseiller au patient d'essayer de nouveaux plats, de favoriser les aliments aux saveurs prononcées (plats épicés), de boire beaucoup et de manger des fruits frais. Par rapport aux troubles de l'odorat, la solution consiste à proposer des plats peu odorants (oeufs durs, viandes froides, plats surgelés, légumes en boîtes, laitages), à privilégier le petit déjeuner (en évitant le café) et les encas à base de compléments alimentaires.

- Mucites

L'irradiation de la zone céphalo-cervicale et les chimiothérapies lourdes sont souvent à l'origine de mucites occasionnant un rejet de l'alimentation. Outre des bains de bouche antiseptiques pluriquotidiens, il est possible de conseiller différentes mesures pour atténuer les souffrances et maintenir les apports alimentaires :

- faire fondre des glaçons dans la bouche 4 à 6 fois par jour et juste avant les repas (effet anesthésiant) ;

- appliquer des anesthésiques locaux en spray ou en gel ;

- éviter les aliments irritants ou acides ;

- adapter l'alimentation : plutôt liquide, ou pâteuse froide ou tiède, et de préférence lactée et enrichie.

- Troubles de la déglutition

Fréquents en postopératoire dans les cancers des voies aérodigestives supérieures, ils imposent de tester les capacités de déglutition à l'aide d'eau gélifiée et d'adapter le type et la texture de l'alimentation aux capacités de chaque patient.

- Nausées, vomissements

Chimio-induits, ces effets secondaires fréquents peuvent être combattus en fractionnant les repas et en profitant des périodes d'accalmie pour rattraper le déficit nutritionnel.

L'équation de Chumléa

Mesure de la taille par l'équation de Chumléa

> Chez la femme :

Taille (en cm) = 84,88 - (0,24 x âge) + 1,83 x taille de la jambe

> Chez l'homme :

Taille (en cm) = 64,19 - (0,04 x âge) + 2,03 x taille de la jambe

La taille de la jambe peut être mesurée chez le patient en décubitus dorsal, genoux fléchis à 90°, à l'aide d'une toise pédiatrique placée sous le pied et la partie mobile appuyée au-dessus du genou au niveau des condyles.

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