Un pont au-dessus de la maltraitance - L'Infirmière Magazine n° 224 du 01/02/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 224 du 01/02/2007

 

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Alma lutte contre les maltraitances dont sont victimes les personnes âgées. Depuis 2002, son antenne de Meurthe-et-Moselle se préoccupe aussi du sort des adultes handicapés. Retour d'expérience dans un univers où règne la loi du silence.

«Lorsque je conduis, je ne regarde pas ce qui se passe derrière. Quand on est handicapé, on reste chez soi. » Voilà la réponse d'un chauffeur de bus à une personne malvoyante, sur laquelle il venait de refermer la porte passagers de son véhicule.

La liste des maltraitances subies par des personnes adultes handicapées est longue. André Laurain, le président d'Alma (Allo maltraitance personnes âgées) Handicap 54, témoigne : « C'est en 2002 que notre association a lancé la première antenne expérimentale qui leur est entièrement consacrée(1), explique-t-il. Depuis son ouverture, nous avons traité environ 150 dossiers. Ce n'est pourtant que la pointe visible de l'iceberg ! Sur ce sujet encore tabou, les informations circulent souvent en circuit fermé. En effet, lorsque les maltraitances sont commises par un proche, comme la famille fait fréquemment partie d'associations présidées par un parent d'adulte handicapé, elle a tendance à régler ça discrètement... Et quand la maltraitance se produit en institution, on n'ébruite pas non plus l'affaire, afin que l'image de l'établissement d'accueil n'en prenne pas un coup. »

Dans le cadre d'une commission d'enquête, en 2002, le sénateur (UMP) du Puy-de-Dôme Jean-Marc Juilhard a choisi un titre révélateur pour son rapport 339 : « Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence ».

« cumul de problèmes »

Afin de pouvoir fonctionner, Alma H 54 est parvenue à nouer une collaboration avec plusieurs associations locales de handicapés. « Parmi nos bénévoles qui assurent l'écoute, note André Laurain, nous avons aussi plusieurs malvoyants, des parents d'enfants handicapés. Nous avons édité une plaquette en braille. Parfois, des malentendants nous contactent par fax ou par courrier. Mais les personnes handicapées motrices téléphonent souvent par elles-mêmes, dans les autres cas, c'est plus fréquemment l'environnement proche qui prend contact. »

Une constatation que complète Thérèse Tainturier-Topie, chiffres à l'appui : « dans le cadre de ma thèse de médecine, à la demande du Pr Robert Hugonot [également président d'Alma France], j'ai étudié, jusqu'à fin 2004, les 106 premiers dossiers parvenus à Alma H 54. 59 % des victimes étaient des femmes, 52 % des plaintes provenaient de handicapés moteurs. Concernant les types d'abus, la maltraitance psychologique arrive en premier (38 %), suivie par la maltraitance physique (29 %) puis financière (25 %). Un peu plus de 10 % des cas résultent de négligences actives ou passives. Il y a 9,4 % de problèmes de voisinage, 5,6 % d'atteintes aux droits civiques et 3,7 % de maltraitances médicamenteuses. Une même victime peut souffrir d'un cumul de problèmes, car la maltraitance fonctionne souvent en cascade : par exemple, aux abus financiers s'ajoutent les pressions psychologiques, puis tout se termine par des coups, s'il y a résistance... Concernant les abus sexuels, bien qu'assez nombreux chez les personnes handicapées, leur gravité entraîne d'emblée la saisine de l'autorité judiciaire : ils sont, de ce fait, plus rarement portés à la connaissance d'Alma Handicap. » Enfin, sur ces 106 signalements, 14 % des cas de maltraitance n'ont pas été avérés (dont des situations d'isolement ou de prise de médicaments en institution, mal vécues par la famille, mais qui étaient médicalement justifiées). Il y a eu aussi quelques dossiers douteux, classés sans résultats, faute de preuve suffisante permettant de trancher dans un sens ou dans l'autre.

régler à l'amiable

« Pour rechercher la vérité et résoudre les problèmes, nous procédons par étapes, commente André Laurain. Les appels saisis par nos bénévoles sont transmis à nos référents. Ce sont des professionnels de l'action sociale ou médicale, du droit, etc. Par exemple, nos docteurs peuvent appeler le médecin traitant de la victime, ce qui permet de débloquer certaines situations. On essaie de privilégier des solutions à l'amiable. Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec la Dass, le Conseil général, les notaires, le juge des tutelles, le procureur de la République, etc. » Intervenant comme consultants, leurs services prennent le relais quand il le faut.

peur du licenciement

« Heureusement, les cas les plus graves, comme la dénutrition, les viols, les contentions abusives, les gavages, les coups, les brûlures, ne sont pas majoritaires, estime André Laurain. En revanche, en ce qui concerne la maltraitance médicamenteuse et médicale, on constate parfois une privation de soins adaptés, la non prise en compte de la douleur, une prescription de médicaments en fonction des besoins des aidants, etc. »

« Dans beaucoup de situations, affirme le Dr Thérèse Tainturier Topie, les maltraitants eux-mêmes ne sont pas conscients de la gravité de leurs actes. Parfois, le personnel soignant peut ne plus savoir où sont les limites. De plus, certains actes isolés ne sont pas de la maltraitance, mais ils le deviennent s'ils sont trop répétés. Le manque de possibilité d'expression de la part de certaines personnes handicapées peut également pousser à des dérives. Les problèmes commencent quand la victime n'est plus considérée comme un être humain à part entière, qu'on ne respecte plus ses souhaits, qu'on ne tient plus compte de son intimité... Certes, les limites de la maltraitance sont difficiles à établir(2). Mais en parler permet de faire évoluer les mentalités. J'ai heureusement l'impression que le mur du silence tombe progressivement. Actuellement, on rencontre cependant encore des professionnels, témoins de faits délictueux, qui se mettent à parler seulement dix ans après... » Car la crainte du licenciement est tenace, même si une loi est théoriquement censée protéger les salariés qui témoignent.

Néanmoins, d'après un rapport du Sénat, entre 150 et 250 travailleurs sociaux seraient encore sanctionnés chaque année, directement ou indirectement, pour avoir transmis aux autorités de tutelle des faits de mauvais traitements envers des personnes handicapées.

1- Outre Alma Handicap 54, d'autres antennes de l'association s'occupent aujourd'hui de la maltraitance des personnes handicapées adultes. On peut en obtenir la liste en téléphonant au 04 76 84 20 40.

2- Voici différents exemples de maltraitance répertoriés par l'association : psychologique (insultes, humiliations, non respect de la vie privée) ; difficultés de voisinage (moqueries, escroqueries) ; négligence active (absence ou

insuffisance d'aides indispensables à la vie quotidienne, manque d'hygiène) ; négligence passive (isolement, confinement à domicile ou dans une chambre).

témoignage

« Difficile à prouver »

Durant sa vie active, Aline n'a jamais travaillé en secteur gériatrique. Cette infirmière, aujourd'hui retraitée, assure depuis 1999 des permanences d'écoute au sein d'Alma 34. « Avant, je n'aurais jamais imaginé que des personnes âgées puissent être autant maltraitées ! s'exclame-t-elle. Quand quelqu'un appelle, je prends des notes, en essayant de tout enregistrer sans a priori. On sent que l'on procure du réconfort à ces gens, rien qu'en les écoutant. Mais on éprouve aussi parfois de la frustration lorsque l'on n'arrive pas à régler certains problèmes. Apporter des preuves n'est pas évident, surtout en institution. Par exemple, les infirmières qui formulent des observations se sentent impuissantes si la direction d'une maison de retraite ne les suit pas. Par peur d'un renvoi, certaines refusent de témoigner. D'autres démissionnent, préférant partir travailler en libéral. Quant aux personnes âgées, elles se retrouvent isolées et otages de l'institution. Leurs proches non plus n'osent parfois pas protester, surtout si la maison de retraite menace de renvoyer la mamie chez eux ! »

contact

- Siège social d'Alma France : BP 1526. 38025 Grenoble cedex.

Site Internet : http://alma-france.org.

Numéro national : 08 92 68 01 18.