Idées claires sur les troubles - L'Infirmière Magazine n° 226 du 01/04/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 226 du 01/04/2007

 

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Après une intervention en chirurgie cardiaque, un patient sur deux souffre de troubles neuro-comportementaux. À Poitiers, le CHU a étudié ces symptômes spectaculaires pour y apporter un soin adapté.

«Il y a une infirmière qui a été accusée par une patiente d'avoir égorgé toute sa famille, jusqu'au chien ! Nous avons dû changer l'infirmière pour calmer le jeu... » Au service médico-chirurgical du CHU de Poitiers, la scène n'a rien d'exceptionnel. Comme les autres infirmières, Erika Chabiron a même rencontré des situations plus violentes : « certains patients nous insultent... ou nous donnent des coups. Et quand on leur tient les mains, ils nous donnent des coups de pied : même à 80 ans, ils ont de l'énergie ! »

Ces patients, ce sont pour la plupart des personnes âgées qui souffrent de troubles neuro-comportementaux (TNC) après une opération du coeur. Des symptômes jusqu'ici peu étudiés, malgré leur fréquence : dans les jours suivant une intervention en chirurgie cardiaque, un opéré sur deux présente ces troubles.

Devant l'ampleur du phénomène et la difficulté des soignants à le gérer, trois équipes du CHU de Poitiers ont réalisé une étude sur ces TNC.

« au-delà du non-dit »

Florence Thomas est cadre de santé sur deux secteurs techniques de chirurgie cardiaque du CHU de Poitiers : la réanimation et le bloc opératoire. Elle s'est rendu compte que la problématique des TNC touche en réalité trois unités : le bloc opératoire, la réanimation et les soins ordinaires. Dans ce service, où les patients sont installés après quelques jours passés en réanimation, des troubles peuvent également apparaître.

C'est Florence Thomas qui a assuré la coordination du projet, ce qui lui a valu de remporter une Victoire de la médecine en novembre, dans la catégorie « amélioration de la qualité des soins infirmiers ». Elle a entrepris cette étude pour répondre aux besoins de son équipe : « les infirmières vivent les troubles neuro-comportementaux au quotidien, et c'est parfois lourd... J'ai voulu aller au-delà du non-dit autour de ce problème, pour aider mon équipe. »

classifier avec précision

Le groupe de travail mis en place par Florence Thomas pour la réalisation de l'étude est pluridisciplinaire. Il comprend des médecins, des infirmiers et un kiné. Nom de code : « Cocar », pour « troubles comportementaux en post-chirurgie cardiaque ». L'étude a porté sur 101 patients opérés, sur une période de neuf mois. L'objectif ? « Évaluer l'incidence de ces troubles », rappelle Florence Thomas.

L'étude a tout d'abord permis d'en obtenir une classification précise, ce qui n'avait jamais été fait jusque-là. « Certains patients ne reconnaissent plus leur entourage tandis que d'autres ont des hallucinations, des idées délirantes », selon Florence Thomas. Erika est une infirmière du service de réanimation. Il n'y a que huit lits dans son service, mais elle a en tête de nombreux exemples de manifestation des TNC : « l'autre jour, un patient était persuadé de voir sa femme et sa fille passer dans le couloir devant sa chambre. Il pensait qu'elles faisaient exprès de ne pas venir le voir ! » D'autres personnes se retrouvent dans un état d'euphorie, d'apathie, d'irritabilité ou d'angoisse. Certains patients cumulent plusieurs de ces symptômes.

excuses et trous de mémoire

L'étude a aussi permis d'évaluer la durée des troubles. Dans leur grande majorité, ils ne se manifestent que pendant vingt-quatre heures. Certains durent quarante-huit heures, et très peu persistent soixante-douze heures. Erika connaît bien le phénomène du « réveil » : « tout à coup, le patient revient à lui. Certaines fois, il se souvient de ce qu'il a dit et il se confond en excuses... D'autres fois, il nous demande de lui raconter : il a un gros trou de mémoire. » Les patients et leur famille sont prévenus avant l'opération du risque que ces troubles puissent se manifester.

Même s'ils ne durent pas, les TNC peuvent entraîner un allongement de la durée d'hospitalisation. Leur impact n'est donc pas seulement humain : il a un coût économique.

facteurs aggravants

Les causes possibles des troubles sont diverses : la circulation extracorporelle (CEC), qui entraîne la migration d'embols, les produits anesthésiants, ou même le stress généré par l'intervention elle-même. L'étude Cocar a réussi à montrer quels étaient les facteurs aggravants. L'âge est le principal : à partir de 70 ans, les troubles sont quasi systématiques. Or, ici, la moyenne d'âge des patients est de 75 ans. « Mais les plus jeunes ont des gestes plus violents ! » précise Erika. Par ailleurs, la prise chronique d'anxiolytiques multiplie les risques, mais ce critère est moins important que les antécédents connus d'agitation.

Enfin, l'étude démontre que les troubles sont plus forts chez les personnes ayant refoulé dans leur inconscient une série de problèmes et de non-dits. Par exemple, Erika voit souvent des malades exprimer, dans leur délire, des divorces mal vécus, des traumatismes de guerre, des expériences d'abandon, des disparitions pour lesquelles le deuil n'a pas été fait jusqu'alors. « Ils confondent leur femme d'aujourd'hui avec celle qui est partie trente ans auparavant. C'est douloureux pour eux, mais finalement, ça leur permet d'apaiser les choses. En en reparlant, ils arrivent parfois à finir leur deuil. Ces troubles s'avèrent en définitive bénéfiques pour eux et leur famille ! »

L'équipe médicale qui a réalisé cette étude n'a pas l'intention de s'arrêter là. De nouvelles pistes de travail sont ouvertes. Sur le plan paramédical, beaucoup reste à faire pour améliorer les pratiques professionnelles liées aux troubles neurocomportementaux. « Il faut encore améliorer la vigilance pour mieux anticiper le moment où le patient va "partir", c'est-à-dire commencer à présenter des TNC, avance Florence Thomas. Il est également important de travailler sur les nuisances sonores de l'environnement du patient, dont l'influence est importante, d'évaluer régulièrement son état de cohérence, de renforcer la sécurité des patients perturbés pour qu'ils ne se blessent pas. Maintenant, nous devons rechercher une formation répondant aux besoins de l'équipe. Elle devrait permettre aux infirmières de prendre de la distance par rapport aux agressions et d'améliorer la prise en charge de ce type de patients. » Cette formation pourrait commencer dès cette année.

journal télévisé

Une réflexion est encore en cours au sein du service pour aménager l'environnement des malades et favoriser le rythme jour-nuit, qui semble perturber beaucoup les patients. « J'essaye d'obtenir des téléviseurs pour que les malades se repèrent dans le temps. Rien de tel qu'un journal télé pour savoir quelle heure il est ! » relève Florence Thomas.

Dernière idée : insérer la photo de la chambre dans le livret d'information remis au malade avant l'opération : « comme ça, il reconnaîtra le lieu à son réveil. »

étude

Les TNC à la loupe

L'étude Cocar s'est déroulée en quatre étapes : avant l'opération, pendant, juste après et 3 mois plus tard.

- Avant l'opération, à la consultation d'anesthésie, le médecin a fait remplir un questionnaire au malade qui a dû aussi réaliser un Mini Mental State (MMS) avec un infirmier. Les infirmières de soins ordinaires ont fait remplir au patient, à la veille de l'intervention, l'échelle Hospital Anxiety Depression Scale (HAD) pour qu'il évalue lui-même son niveau d'anxiété et de dépression. Elles auront aussi noté sa tension artérielle et la créatinine préopératoire.

- Pendant l'opération, ce sont les médecins eux-mêmes qui ont rempli un questionnaire avec les infirmières de circulation extracorporelle.

- Juste après l'opération, les troubles et le traitement donné ont été notés par les infirmières grâce à un inventaire neuropsychiatrique spécial, de poche, qui a permis de classifier les TNC.

- Lors de la consultation à trois mois, un autre Mini Mental State ainsi qu'une échelle HAD ont de nouveau été effectués par l'anesthésiste, qui a évalué une éventuelle modification de la santé mentale ou de la dépression du patient.