L'effet du logis - L'Infirmière Magazine n° 226 du 01/04/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 226 du 01/04/2007

 

précarité

Dossier

Saturnisme, fatigue, allergies... En France, 500 000 enfants s'entassent dans des habitations inadaptées, au péril de leur santé.

« L'enfant avait le crâne couvert de bosses et d'ecchymoses. Cela nous interrogeait beaucoup. L'infirmière de l'établissement l'a reçu en consultation. Au cours de l'entretien, on a découvert que le lit du gamin était coincé sous la fenêtre de l'unique pièce qu'occupait la famille. À chaque fois qu'il se redressait, il s'y cognait la tête... Personne n'était au courant des conditions de vie de cette famille, que tout le monde imaginait d'ailleurs "sans problème". » Des histoires comme celle-ci, Richard Redondo, président de l'Association française des psychologues scolaires (AFPS) en connaît des dizaines. Celle-ci est emblématique : quand les enfants sont mal logés, les problèmes de santé ne sont jamais loin. Dans son dernier rapport sur l'état du mal-logement en France, la Fondation Abbé-Pierre le souligne : « il n'est pas facile d'appréhender globalement le non-logement. Ses diverses manifestations sont souvent masquées et sans les témoignages des associations [...], elles pourraient rester méconnues. Rares sont en effet les personnes concernées qui peuvent dénoncer la situation qu'elles vivent. Bien souvent, elles n'ont pas le droit d'être là où elles sont ; elles sont tolérées, ni vraiment insérées, ni totalement exclues, généralement ignorées, voire abandonnées à leur sort ; et bien souvent hors des circuits de prise en charge sociale, parce qu'elles les ignorent ou les refusent. »

Tentes et caravanes

Parmi les cinq millions de personnes mal logées, on estime aujourd'hui à 500 000 le nombre d'enfants. 50 000 précaires vivraient dans le provisoire : hôtels, meublés, terrains de camping en caravane ou tentes. 15 000 autres circuleraient entre les centres d'hébergement, les centres d'accueil et les logements d'urgence. Selon le Pôle national de lutte contre l'habitat indigne, les risques sanitaires liés à l'habitat concernent 400 000 à 600 000 logements, dans lesquels vivent plus de 1 million de personnes.

« Bon sens »

Comme les solutions avancées sont insuffisantes, « il ne faut pas être surpris du retour des bidonvilles que l'on croyait disparus, de l'utilisation permanente des campings à d'autres fins qu'un usage touristique, de la multiplication des squats, de la mobilisation de toutes formes d'abris improvisés », poursuit la Fondation Abbé-Pierre. Au regard de la dégradation de l'accès au logement, la Fondation de France note une recrudescence des problèmes de santé chez les enfants. « Le phénomène s'est accéléré ces deux dernières années. Même si aucun chiffre ne vient étayer ce constat, car on a affaire à de la misère cachée », explique Patrice Cieutat, chargé du programme « SOS enfants mal logés » au sein de l'institution.

Infections respiratoires, asthme, troubles du sommeil, déséquilibre nutritionnel et saturnisme sont le lot commun de nombreux enfants mal logés. Mais beaucoup de professionnels de santé et d'acteurs de terrain n'osent pas lier aussi explicitement l'état de santé au logement, pour ne pas stigmatiser ces populations, même s'ils admettent que ce lien « tient du bon sens ».

Saturnisme

Seule exception, le saturnisme : sa relation avec l'habitat n'est plus à démontrer. Chez les jeunes enfants, c'est le premier facteur d'intoxication. Depuis 1995, il a fait l'objet d'une surveillance épidémiologique et a été introduit dans la liste des maladies à déclaration obligatoire prévues par la loi de juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, et ce dès qu'un taux de 100 mg par litre de sang est atteint. Selon l'Inserm, dont l'évaluation de 1997 fait toujours référence, environ 84 000 enfants de 1 à 6 ans présenteraient une plombémie supérieure à 100 mg par litre due, en grande majorité, au carbonate de plomb contenu dans des peintures. Parmi eux, seuls 5 % seraient effectivement dépistés. Le parc des logements anciens construits avant 1948, date à laquelle l'emploi de la céruse a été interdit, est bien sûr le foyer privilégié de l'intoxication. Elle se produit principalement par l'ingestion de particules de peinture (les enfants en bas âge aiment le goût sucré de la céruse) ou par l'inhalation des poussières. L'absence de symptômes cliniques rend difficile la détection d'une intoxication. Mais, même à faible niveau, une exposition quotidienne peut avoir des conséquences sur le développement psychomoteur des enfants au cours de leurs premières années. Avec un taux de 100 à 400 mg par litre, une plombémie peut entraîner des troubles de la mémoire, des fonctions visuelles et auditives et du comportement, ainsi qu'une baisse des capacités cognitives. Au-delà de 400 mg par litre, le système nerveux et de nombreux organes peuvent être affectés et occasionner d'importantes séquelles neurologiques, souvent irréversibles. Dans des cas extrêmes, l'intoxication peut être létale.

Médecins peu sensibilisés

« On ne pratique pas le dépistage systématique, mais on s'appuie sur certains critères, dont les conditions de logement, pour le proposer. L'an passé, nous avons effectué un quart des déclarations de Paris sur la centaine de cas déclarés dans la capitale, alors que nous consultons des enfants du "tout-venant". Bref, quand on cherche, on trouve ! » lance Christophe Foucault, médecin responsable du département des examens périodiques de santé de l'enfant de la Caisse primaire d'assurance maladie, situé dans le XIe arrondissement de Paris. « De fait, je pense que les intoxications sont sous- estimées. » Un constat partagé par une étude conduite en 2004, par l'Inspection générale des affaires sociales et le Conseil général des ponts et chaussées, et consacrée à la lutte contre le saturnisme infantile lié à l'habitat indigne. En moyenne, entre 400 et 500 cas par an font l'objet d'un signalement aux autorités sanitaires. Le plus souvent, ce sont les centres de protection maternelle et infantile qui les diagnostiquent. Quelque 70 % d'entre eux sont dénombrés sur la seule région Île-de-France et dans le nord-est de Paris. Les rapporteurs appellent à une meilleure sensibilisation des médecins libéraux « très peu engagés dans ce domaine, qu'ils méconnaissent ».

Effet de seuil

Cette réalité, Médecins du Monde la connaît bien. L'ONG pilote des actions de prévention et de dépistage du saturnisme depuis plusieurs années en région parisienne. « Entre janvier 2003 et septembre 2006, nous avons travaillé sur sept villes des Hauts-de-Seine. Sur les 525 immeubles à risque élevé identifiés, nous avons vu 800 familles. Parmi elles, 180 étaient concernées par le saturnisme, et 30 % des 300 enfants que nous avons dépistés étaient "imprégnés", avec un taux de 50 à 99 mg par litre, ou "intoxiqués", avec une plombémie atteignant 100 mg par litre et plus. Environ trente relogements ont abouti. Mais avec les grandes familles, ce n'est pas simple », explique Claude Chaudières, responsable de la mission « saturnisme » de l'association. La mission informe aussi les médecins de ville pour les sensibiliser au dépistage et signale à la Ddass les familles qui vivent dans « des logements pourris ». « Dans un département riche comme les Hauts-de-Seine, c'est aberrant qu'une association comme Médecins du Monde soit obligée d'intervenir », soupire le responsable. Désormais, lorsqu'un enfant est intoxiqué, l'association humanitaire n'hésite pas à engager la responsabilité du Conseil général et de l'État devant la justice. « Généralement, constate Claude Chaudière, ça fait bouger les choses. » À 100 mg par litre, un dispositif doit normalement s'enclencher pour permettre la réhabilitation des appartements insalubres, voire l'évacuation des familles. Mais, dans les faits, le déménagement bute souvent sur l'absence d'alternative. « Et que faire, interroge le Dr Christophe Foucault, lorsqu'un enfant présente une plombémie à 98 ou 99 mg par litre ? » Tant que le seuil n'est pas franchi, rien n'est prévu.

Milieu rural

Pour Pierre Larcher, médecin et « allié d'ATD-Quart Monde », le saturnisme n'est pas circonscrit aux grandes villes et aux banlieues. En milieu rural, l'intoxication au plomb concerne de nombreux enfants. On a, en effet, beaucoup utilisé la céruse en campagne, ainsi que les canalisations en plomb. « Cette prise de conscience est assez récente et nous expose à une bombe à retardement. Car le plomb se concentre avant tout dans les os. Or, lorsqu'une fille qui n'a pas été dépistée sera en âge d'être mère, l'inondation hormonale larguera le plomb dans la circulation sanguine, qui passera directement dans le placenta au moment où le cerveau du foetus se constitue. Bref, à terme, des enfants pourront naître atteints de saturnisme », souligne-t-il. L'Association des familles victimes de saturnisme a récemment interpellé les candidats à l'élection présidentielle pour qu'ils s'engagent sur la prise en charge à 100 % du saturnisme au titre des affections de longue durée et sur l'indemnisation des victimes. En juillet dernier, la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi) de Paris, siégeant auprès du tribunal de grande instance, a accordé des indemnisations à trois enfants victimes de saturnisme et à leurs parents. Quelques mois auparavant, la Civi avait reconnu que ces mineurs, qui avaient été contaminés dans des habitations insalubres de l'Est parisien, étaient victimes d'une infraction pénale.

Réalité invisible

Plus complexes à rattacher aux situations de mal-logement, d'autres pathologies et troubles seraient pourtant à l'origine de diverses affections ou, en tout cas, les accentueraient notablement - bien qu'en France, aucune étude n'ait cherché à établir cette causalité. « Les familles mal logées, dans l'ensemble, ne vivent pas sur les trottoirs au vu et au su de la société », relève Anna Le Ocmach, pédiatre et bénévole à Médecins du Monde. Il n'empêche qu'allergies, asthmes, bronchites, bronchiolites et otites sont souvent cités par les professionnels de santé. L'humidité, l'exiguité des logements - souvent surpeuplés -, le froid, la chaleur et la mauvaise ventilation sont autant de facteurs propices à ces maladies.

Précarité alimentaire

Quant aux troubles du sommeil et au déséquilibre alimentaire, ils sont quasiment inhérents aux conditions de vie subies par les familles. Comment dormir dans une pièce unique, où vivent à des rythmes différents enfants et adultes, et où il n'y a pas assez de lits pour tout le monde ? Comment préparer des repas équilibrés lorsqu'il n'y a pas d'espace pour cuisiner, ou qu'un simple réchaud fait office de cuisinière ? Alors que l'obésité touche 14 % de la population générale, elle grimpe à 30 % chez les personnes précaires. « Le couple santé-précarité dépend de l'habitat, de l'alimentation, de l'emploi, de l'environnement familial et du quartier, souligne Pierre Larcher. Il faudrait aborder cette problématique dans son ensemble. De la même manière qu'on ne peut résoudre le mal-logement des enfants sans résoudre celui de leurs parents. Les bidonvilles qu'on voit sur les photos des années 1950, il y a les mêmes aujourd'hui ! » « Lorsque je reçois des familles en consultation et que les parents me décrivent leurs conditions de logement, je suis impuissant, renchérit le Dr Foucault. Ça me permet simplement de décrypter des choses. Mais, la consigne que je donne au personnel médical et infirmier du centre, c'est de continuer à orienter les familles qui le souhaitent auprès des assistantes sociales. Avant, comme nous n'avions pas de solution à leur offrir, on ne les invitait plus à entreprendre la démarche. Résultat : ça donnait artificiellement l'impression qu'il y avait moins de problèmes qu'avant... »

Pas de place pour jouer

Selon l'Organisation mondiale de la santé, « un état de complet bien-être, physique, moral et social, ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Les souffrances psychiques ou psychologiques découlant du mal-habitat ont d'ailleurs toute leur place au tableau des troubles développés par certains enfants. « Un enfant mal logé n'est pas forcément un enfant malheureux, nuance Christophe Foucault. Mais je vois des enfants qui ne jouent pas beaucoup parce qu'il n'y a pas de place pour le faire. Or, les enfants se construisent en jouant. » Sur le plan psychoaffectif, un enfant a besoin d'écoute, et sur le plan spatial, d'un espace qui lui appartient. Richard Redondo, de l'AFPS, en est bien conscient : « lorsqu'un enfant, qui a des capacités intellectuelles tout à fait normales, montre des signes de déconcentration, de renfermement, des troubles du comportement, et se débrouille pour rester le plus longtemps possible à l'école, les conditions de logement sont une cause que nous analysons et prenons en compte. » Encore faut-il repérer les signaux envoyés par les enfants. Pas gagné, estime Sylvianne Fleuchey-Cronn, présidente du Syndicat national autonome des infirmières en milieu scolaire : « les politiques menées par les pouvoirs publics tendent à restreindre le champ d'intervention des infirmières scolaires aux seuls collèges. C'est pourtant dès leur plus jeune âge que doit s'effectuer le dépistage des troubles chez les enfants, afin que se mette en place un suivi médicosocial... et la lutte contre l'échec scolaire, que ces conditions de vie génèrent ou aggravent. »

Christine Plouzennec, de l'AFPS, est du même avis : « lorsque des enseignants nous sollicitent pour rencontrer des parents dont l'enfant est en difficulté, et qu'on demande comment ça se passe à la maison, et s'il y a un espace pour faire les devoirs, on apprend que dans la famille, on vit à quatre ou cinq dans une chambre en attendant un logement. Nous pouvons faire en sorte que l'enfant reste à l'étude et à la cantine mais, à notre niveau, les moyens sont limités. » « Il suffit simplement de s'imaginer vivant dans des conditions de logement indignes pour savoir quel serait alors notre état de santé physique et moral, conclut le Dr Anna Le Ocmach. Savoir cela, dit exactement les conséquences du mal-logement et du logement insalubre sur la population. Nul besoin d'étude scientifique pour démontrer une telle évidence ! Sans l'intervention des associations, je ne sais pas où nous en serions aujourd'hui... »

foyers d'urgence

42,5 % DE MINEURS

Conduite en juin 2005, une enquête de la Fédération nationale des observatoires régionaux de santé (Fnors) confirme une réalité déjà identifiée par les acteurs de terrain : le réseau des 2 200 établissements affiliés à la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars) héberge désormais plus de femmes que d'hommes, et surtout 42,5 % de mineurs. Jusqu'alors, le réseau accueillait un public d'hommes isolés. Ainsi, la population-type d'un centre, qui compte 55 personnes en moyenne, est aujourd'hui composée de 24 mineurs, de 18 femmes et de 13 hommes.

Plus de 50 % des mineurs ont moins de 6 ans et près de 25 % moins de 2 ans. 61 % des enfants sont accompagnés de leur mère seule. Plus de 6 enfants sur 10 sont suivis en PMI et deux établissements sur trois proposent des actions d'éducation à la santé. Cette nouvelle donne illustre la précarisation profonde de la situation des familles et des enfants et appelle, pour la Fnars, « des politiques adaptées en matière de prévention des ruptures familiales, d'accès aux droits, de logement, de ressources ».

(Source : Actualités sociales hebdomadaires n°2479, 17 novembre 2006)

enfants roms

« ANGOISSE ET TENSIONS »

« J'ai effectué une mission d'un an pour le Comité d'aide médicale, auprès de familles roms installées dans une quinzaine de camps de Seine-Saint-Denis, explique Clémence Happert, infirmière. Ils accueillent jusqu'à plusieurs centaines d'adultes et d'enfants. L'objectif était d'améliorer les conditions de santé et d'assurer un meilleur dépistage des pathologies chroniques. Peu à peu, on s'est concentrés sur les femmes et les enfants, qui sont les plus vulnérables. Les plus jeunes vont à la PMI, mais leur suivi est rendu difficile à cause de la mobilité des familles. Et si certains sont à l'école, beaucoup des plus de 6 ans, et ceux que les municipalités refusent de scolariser, vadrouillent sur les campements. L'habitat précaire a bien sûr des répercussions sur la qualité du sommeil et l'alimentation. On voit aussi des gamins qui sont arrivés de Roumanie avec des problèmes bucco-dentaires, ophtalmo ou psychomoteurs. Alors même que je n'ai pas repéré de troubles psychologiques particuliers, je suis convaincue que ces conditions sont très anxiogènes car les enfants subissent les tensions vécues par leurs parents et leur communauté. On ne sait pas comment ils vont se construire et se développer, sur le plan cognitif et psychoaffectif, considérant qu'ils n'ont pas le minimum de base. »

En chiffres

100 000 personnes vivent à l'année en camping ou en mobile-home et 41 000 dans un habitat de fortune : cabane ou construction provisoire.

2 187 000 personnes vivent dans des conditions de logement très difficiles. Parmi elles, 1 150 000 n'ont pas le confort de base : absence de WC, de salle d'eau, de chauffage.

(Source : Fondation Abbé-Pierre)

périnatalité

FEMMES MAL LOGÉES, GROSSESSES MAL SUIVIES

Les grossesses de femmes en situation de précarité et de pauvreté sont particulièrement mal suivies, voire pas du tout, d'où une plus grande fréquence des pathologies périnatales. « Un certain nombre de femmes en situation de précarité [...] n'ont pas accès à un suivi de leur grossesse conforme aux normes prévues par la législation, écrit Suzanne Buron dans un rapport au Conseil économique et social de la région Centre, sur « les jeunes et la santé » en 2006. Il s'agit notamment de femmes à la rue et de femmes migrantes en situation irrégulière. Or, les événements survenant pendant la grossesse, l'accouchement et la période néonatale influencent considérablement l'état de santé de l'enfant et de sa mère ainsi que leur avenir. » Ce constat a conduit à poursuivre le plan périnatalité initié en 1994. Pour la période 2005-2007, il s'attache à évaluer le retentissement sanitaire du mal-logement et les conditions de vie chez l'enfant. Cette nouvelle orientation a été validée par le Conseil interministériel de lutte contre les exclusions en mai 2006.

Repère

La Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France, établit en son article 27 que les pays signataires « reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social ».

Articles de la même rubrique d'un même numéro