L'hôpital prend des mesures - L'Infirmière Magazine n° 226 du 01/04/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 226 du 01/04/2007

 

évaluation

Enquête

Obligatoire chez les médecins, l'évaluation des pratiques pourrait être élargie aux infirmières. À Nice, les cadres ont mis en place les premières grilles, sans tout quantifier pour autant.

Les médecins, puis les autres ? L'évaluation des pratiques professionnelles (EPP) ne concerne, pour l'heure, que les premiers. Mais sous d'autres formes, tous les soignants sont déjà familiers de l'évaluation. Pour les médecins, l'EPP « vise à promouvoir la qualité, la sécurité, l'efficacité et l'efficience des soins et de la prévention, et plus généralement la santé publique, dans le respect des règles déontologiques(1) ». La loi précise à l'intention des auxiliaires médicaux, dont les infirmières, que « l'obligation de formation est satisfaite notamment par tout moyen permettant d'évaluer les compétences et les pratiques professionnelles ».

Masseurs et kinés

La démarche de certification (accréditation V2) consacre trois références à la nouvelle procédure : l'évaluation par les professionnels de la pertinence de leurs pratiques, du risque lié aux soins, et l'évaluation de la prise en charge des pathologies et problèmes de santé principaux.

Les constats des experts-visiteurs de la Haute autorité de santé (HAS) « traduiront la qualité de la méthodologie d'évaluation des pratiques professionnelles, la dynamique d'amélioration des pratiques et l'obtention d'améliorations », précise la HAS, qui ne distingue pas entre les différents professionnels. Naturellement, les médecins sont tenus d'y participer, mais pas seulement : il s'agit d'une dynamique d'équipe. D'ailleurs, pour François Romaneix, directeur de la HAS, « la perspective essentielle [pour 2007] est l'élargissement de l'EPP aux autres professionnels de santé, tant il est vrai que l'ambition de qualité et d'amélioration de la prise en charge des patients n'est pas propre aux seuls médecins ».

L'EPP obligatoire est sérieusement envisagée pour les masseurs-kinésithérapeutes ou les podologues, mais pas encore pour les infirmières. Celles-ci ne disposent pas encore formellement d'un ordre, organisation officiellement chargée du maintien et de l'évaluation de leurs compétences, et les sociétés savantes infirmières n'ont pas encore le rayonnement nécessaire. Or « le corollaire de l'EPP, explique Dominique Leboeuf, infirmière et sociologue, ce sont les recommandations professionnelles » élaborées collégialement au sein de sociétés savantes, scientifiquement validées. Autre préalable indispensable, selon elle, à la mise en place de l'EPP : la structuration de la filière infirmière, notamment via la réorganisation des études sur le modèle LMD et l'apprentissage, lors la formation, de la culture de l'évaluation. Une opinion partagée par Danielle Cadet, la présidente de l'Association française des directeurs de soins (AFDS) : « il faut former les gens à travailler sur les résultats des soins ».

Quel périmètre ?

Dominique Leboeuf souligne toutefois la nécessité de s'interroger sur le périmètre de l'évaluation. « En France, souligne-t-elle, on voudrait faire des critères d'EPP sur tout. Mais l'évaluation est seulement un outil. »

À Nice, la démarche d'évaluation a été imaginée au sein d'un groupe du CHU comprenant des cadres supérieurs : le « groupe d'évaluation des plans d'action » (Gepa), qui a décidé de la faire porter sur des thématiques essentielles, à savoir l'accueil, l'hygiène, la continuité des soins via le dossier de soins et les pratiques à risques - un thème repris par la direction des vigilances - dans le domaine alimentaire, le circuit du linge et le circuit du médicament, notamment.

« EPP soignante »

Ces sujets doivent faire l'objet de deux formes d'évaluation : un audit simple environ tous les deux ans dans une quarantaine d'unités et, plusieurs fois par an, un dispositif d'« EPP soignante » fondé sur une auto-évaluation. Les mêmes critères et les mêmes questions sont avancés, mais l'audit vérifie simplement si le critère se réalise ou pas dans le service alors que l'auto-évaluation exige une gradation dans les réponses.

« Pour chaque thématique, explique Monique Mazard, coordinatrice générale des soins, nous avons défini les indicateurs qui nous semblaient relever des fondamentaux à faire respecter dans tous les services du CHU. » En matière d'accueil, le groupe s'est basé sur un guide du ministère ; pour l'hygiène, il a utilisé les documents internes du CHU et les compétences du Clin ; et dans le domaine du dossier de soins, il s'est emparé du référentiel et des documents ad hoc de l'Anaes.

Photo qualitative

Les critères ont été intégrés dans un tableau très simple d'utilisation, au format d'un tableur des plus communs, dont la fonction dynamique permet de convertir directement les données en histogrammes. Les grilles ont été validées par les instances en avril 2005 et « nous avons commencé à les faire tester dans certaines unités afin d'ajuster les libellés des questions, observe Didier Febvre, cadre supérieur à la coordination générale des soins et membre du Gepa. En même temps, nous avons mené une politique d'information auprès de l'encadrement. » Un guide d'utilisation d'une douzaine de pages a aussi été rédigé : il précise notamment qu'il s'agit d'une évaluation des pratiques, et non pas des acteurs. À l'été 2005, des membres du Gepa et des cadres formés ont réalisé des audits croisés dans les unités de soins et médicotechniques, et les auto-évaluations ont été menées dans toutes les unités de soins : 128 en tout.

Au départ, Lydie Levraut, cadre de santé Iade aux blocs opératoires du CHU, a été chargée de réaliser un premier bilan de manière confidentielle sur l'accueil et l'hygiène, car il n'y a pas de dossier de soins en anesthésie. « J'ai vu toutes les équipes, dans tous les blocs : ophtalmologie, chirurgie ambulatoire, radiologie interventionnelle, bloc central et salle de réveil. J'ai coché sur les documents et ensuite saisi les données sur informatique. » Dans certains domaines, elle a fait valoir la spécificité de la pratique en anesthésie. « L'accueil d'un patient qui vient se faire opérer est très différent d'un accueil classique : il est très bref mais très intense, ajoute Lydie Levraut. Les gens ont souvent peur, ils ont besoin d'être rassurés et pas de n'importe quelle façon. » Autre spécificité : le réchauffement des patients, qui a fait l'objet d'une auto-évaluation. Le cadre a aussi vérifié que les personnels connaissaient la « bible d'hygiène », qu'ils savaient où trouver la solution à un problème d'hygiène dans le système d'information, et si les règles vestimentaires étaient respectées.

En réunion avec son équipe, Lydie Levraut a passé en revue les points forts et les points faibles qu'elle avait observés et qu'elle a affichés. « Nous avons réalisé que nous ne nous présentions pas par notre nom parce que nous ne portons pas de badge, souligne-t-elle . Quand le patient est prémédiqué, il est important de dire "je suis infirmier anesthésiste, c'est moi qui vais aider le médecin à vous endormir", par exemple. Alors qu'en salle de réveil, les infirmières peuvent donner leur prénom, c'est facile à retenir. » En ce qui concerne l'hygiène, l'équipe a repris conscience de l'importance du respect de la tenue.

Achats débloqués

Au final, estime Didier Febvre, « nous sommes arrivés à une sorte de photographie qualitative » des points sur lesquels a porté l'EPP. Les résultats n'ont pas été diffusés largement, même si cela doit être fait à terme. « Les gens ont joué le jeu, relève Monique Mazard. Voir que l'autre rencontre les mêmes difficultés, cela peut être assez rassurant, et c'est intéressant de voir comment il a réussi. » À la suite des audits et auto-évaluations, des mesures correctives et des plans d'action sont définis au sein des pôles. Les nouvelles évaluations sont destinées, notamment, à en observer les effets. Pour Didier Febvre, même si certains des constats étaient connus (manque de matériel, problèmes de livraison), « cela a permis de les objectiver ». En dehors de l'amélioration des pratiques, et donc de la qualité, via la mise en place de nouvelles procédures, les résultats se traduisent aussi, plus prosaïquement, par le déblocage d'achats de matériels ou d'équipements : surblouses, solutions hydro-alcooliques...

Les effets sont étendus. « C'est bénéfique pour les agents comme pour moi, constate Lydie Levraut. J'ai renouvelé les auto-évaluations cinq à six fois depuis. Cela m'a permis, à moi aussi, de progresser, d'être plus proche des fondamentaux et maintenant, cela fait partie du quotidien. Alors que quand on manque d'infirmières, on risque d'être plus laxiste. » En cas de relâchement sur une pratique, une nouvelle auto-évaluation peut être révélatrice et provoquer un rappel à l'attention de l'équipe. Ou d'agents en particulier, s'il s'agit de situations répétées. Lydie Levraut a ainsi dû se montrer ferme au sujet du respect de la tenue en salle de réveil ou face au refus d'une infirmière nouvellement mariée qui s'était promis de ne pas retirer son alliance... « L'EPP, c'est un levier pour faire respecter les règles et améliorer la qualité du service rendu au patient », résume la cadre de santé.

Outil de management

En outre, même si cela n'est pas prévu explicitement par les textes, l'EPP entre en ligne de compte dans la notation des agents et des lacunes observées peuvent faire l'objet d'un contrat de progrès sur la notation, remarque la cadre de santé Iade. « Ça peut devenir un formidable outil de management des cadres de santé », ajoute Monique Mazard. De son côté, elle se sert des résultats de l'EPP pour suivre l'évolution des pratiques sur chacun des thèmes et pour la rédaction de son rapport d'activité.

La démarche a été étendue tout récemment, en lien avec les résultats de la certification, à d'autres domaines comme la distribution des repas, mais cette fois, la direction des soins s'est associée à celle des services économiques et à la diététicienne car le projet concerne à la fois la préparation des repas, les régimes alimentaires, les qualités gustatives et la distribution des repas, qui incombe aux soignants. Avec la mise en place des pôles, certains veulent travailler sur la toilette du patient, les pansements spécifiques à certaines disciplines, etc. L'outil informatique est disponible à tout moment sur l'intranet de l'établissement, il ne reste qu'à définir des critères et à les faire valider par un groupe d'experts.

La dynamique est lancée. Dans le cadre de la certification V2, les experts-visiteurs de la HAS l'ont qualifiée d'« exemplaire ».

1- Décret du 14 avril 2005, appliquant la loi du 9 août 2004.

vrai/faux

LES INFIRMIÈRES ET L'EPP

> Toutes les infirmières sont concernées par l'EPP.

Faux : seules celles qui travaillent dans les établissements hospitaliers doivent participer à des démarches d'EPP via la certification obligatoire des hôpitaux et cliniques. De plus, dans ce cas, elle ne vise pas spécifiquement les infirmières : elle s'applique à des équipes hospitalières.

> L'ordre infirmier émet les recommandations professionnelles sur lesquelles se base l'évaluation des pratiques cliniques.

Vrai et faux : l'organisation de l'évaluation des pratiques d'une profession relève normalement de son ordre professionnel et elle est inscrite dans les missions de l'ordre infirmier. Cependant, cet ordre n'existe pas encore et cette disposition figure également au programme du Haut conseil des professions paramédicales, dont les missions empiètent sur celles de l'ordre et dont la composition a été contestée.

> L'EPP ne vaut pas formation continue.

Vrai : la participation des médecins à des démarches d'EPP est comptabilisée au titre de la formation médicale continue. Ce n'est pas le cas pour les professionnels soignants. L'évaluation des pratiques paramédicales, telle qu'elle existe aujourd'hui, vise à constater le niveau de qualité dans la prise en charge clinique des patients afin de l'améliorer. Les constats doivent susciter la mise en oeuvre d'actions d'amélioration qui ne constituent pas, à proprement parler, de la formation continue.