La justice pour raison de santé - L'Infirmière Magazine n° 226 du 01/04/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 226 du 01/04/2007

 

Patricia Galbrun

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Rencontre avec

Quand un ado dérape, sa santé est menacée. À la PJJ de la Sarthe, Patricia Galbrun intervient dans les projets de réinsertion.

«Ce n'est pas à la PJJ qu'une infirmière peut construire son identité professionnelle. Pour y travailler, il faut déjà bien porter sa blouse. » Avec à peine 1 % des effectifs de cette institution, le corps des infirmières est méconnu à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ce qui ne facilite pas le recrutement(1). La mission de cette division du ministère de la Justice est pourtant valorisante : il s'agit d'appliquer les décisions du juge des enfants(2).

À cet effet, des éducateurs spécialisés suivent les jeunes en danger ou délinquants tout au long de la procédure. Ils proposent ainsi aux juges des enfants des solutions éducatives adaptées à la situation du jeune, y compris ceux incarcérés, et élaborent avec chaque mineur un projet éducatif individualisé. Par ailleurs, ils accueillent, orientent, accompagnent et veillent à l'insertion sociale et professionnelle des mineurs et, dans certains cas, de jeunes majeurs qui leur sont confiés. Ils doivent également s'assurer que le jeune évolue correctement dans son cadre de vie (en famille, en famille d'accueil, en institution spécialisée ou en foyer). En 2005, les juges des enfants ont dû suivre 209 930 mineurs, dont 111 706 en danger(3). Pour sa part, la PJJ a géré environ 54 000 mesures civiles et pénales et le secteur associatif habilité, qu'elle contrôle, plus de 80 000(4).

psychiatrie

À 43 ans, Patricia Galbrun affiche un parcours atypique. Étudiante, elle qui hésitait entre des études de droit et une formation d'assistante sociale, postule pour un emploi d'auxiliaire au centre hospitalier spécialisé du Mans (hôpital psychiatrique), histoire d'assumer son autonomie financière. « Au bout de deux jours, je faisais des injections. Inimaginable aujourd'hui ! » De fil en aiguille, l'envie de devenir infirmière s'installe dans son esprit : « ce travail me plaisait énormément, j'avais vraiment la sensation d'avoir trouvé ma voie. » Son Deug de droit obtenu, elle passe le concours d'entrée à l'école d'infirmière, l'obtient et opte pour la formation en santé mentale. Avec, à la clé, la certitude d'être recrutée sur un nouveau secteur de seulement 17 lits, lorsque les autres en comptent 120. « On assurait le suivi des patients chroniques en ambulatoire. En collaboration avec des structures externes, on les accompagnait hors des murs, dans leur quotidien », indique Patricia. Dès sa prise de poste, elle anime des ateliers de théâtre, d'art-thérapie, de contes... « C'était une prise en charge très créative. » En 1992, avec la disparition des infirmières psychiatriques, Patricia est contrainte de passer son diplôme d'État. Elle choisit un service de chirurgie viscérale pour valider sa pratique.

passerelle

« Les six premiers mois, j'ai appris des tas de choses. Mais après, qu'est-ce que je me suis ennuyée... J'aime les environnements où ça bouge, où ça parle, où ça "relationne". Or, en chirurgie, les patients ne sont pas très vaillants. Bref, j'ai su que je ne voulais pas faire ça ! » Elle retourne à l'hôpital psychiatrique, qu'elle quitte quelques mois plus tard. « Pas à cause des patients, mais parce qu'il devenait impossible de poursuivre les ateliers dans de bonnes conditions, alors que cette démarche avait un véritable sens du point de vue du soin. La nuit, l'administration n'a aucune gêne à faire prendre en charge par une seule infirmière une trentaine de patients, dont un tiers en chambre de contention ; en revanche, le jour, c'est tout juste s'il ne faut pas remplir des tonnes de formulaires pour être autorisé à aller aux toilettes ! J'en ai eu assez de ces contradictions. » Après quelques expériences ici et là, la soignante intègre en 1995 la direction départementale de la PJJ de la Sarthe dont le poste d'infirmière est vacant. « Quelques années plus tôt, j'avais eu l'occasion de travailler avec un éducateur sur le cas d'un jeune pyromane ; depuis, je savais que l'on devait établir une passerelle entre justice et santé mentale. Par contre, à l'époque, je percevais mal le versant du soin somatique. Rapidement, j'ai compris que tout était intimement lié. »

révolution culturelle

En 2000, à la faveur d'une réforme, la PJJ opère une révolution culturelle. La prise en charge sanitaire, psychique et somatique des jeunes lui est attribuée. Dans ce contexte, le rôle des infirmières de la PJJ est à la fois clarifié et renforcé. Elles sont appelées à travailler avec les éducateurs spécialisés, les assistantes sociales et les psychologues. Dans le cadre des dispositifs de santé publique, déclinés à l'échelon local ou départemental (lutte contre la toxicomanie, prévention du suicide, accompagnement d'IVG), elles ont pour mission de faire reconnaître la spécificité de ces jeunes qui, s'ils sont minoritaires, n'en réclament pas moins une attention singulière.

Depuis cette refonte, les personnels PJJ sont sensibilisés aux questions de santé durant l'année de leur intégration. « Il y a eu un avant et un après », assure Patricia Galbrun. Même si elle concède que certains éducateurs peuvent conserver une position omnipotente dans la prise en charge des jeunes. « Globalement, aujourd'hui, la nécessité d'un travail d'équipe au service du projet est bien prise en compte », constate-elle. La PJJ est identifiée par les partenaires institutionnels et son expertise reconnue en matière de santé. Elle participe à l'élaboration du schéma départemental de la protection de l'enfance. L'an passé, elle s'est vu confier la coordination de la semaine de prévention des violences sexuelles sur le département. « Le conseil général, qui a en charge l'aide sociale à l'enfance, et la Ddass, ont compris que la PJJ était un acteur de santé publique incontournable dans ce champ... et dans bien d'autres », souligne Patricia Galbrun. Depuis six ans, elle est également, une journée par semaine, écoutante au sein de « La Porte parole », structure d'accueil et d'écoute santé multipartenariale implantée dans un quartier « sensible » du Mans.

au quotidien

Prévention secondaire et tertiaire, éducation pour la santé, entretien, accompagnement dans la démarche de soin... L'activité de Patricia Galbrun est très diversifiée et fondée sur la relation d'aide. « J'interviens soit à la demande du jeune, soit à celle de son éducateur. Mais mon action est toujours balisée par le projet éducatif qu'ils ont construit ensemble. La santé est un média au service du projet éducatif du jeune, qui contribue à sa prise en charge globale. Si mon action a une incidence sur le projet, je vais travailler avec le jeune pour qu'il en parle à son éducateur, précise la soignante. D'ailleurs, lorsqu'on désolidarise le volet santé de la démarche éducative, c'est pas compliqué, ça ne marche pas ! » Une prise en charge peut se limiter à un seul entretien, comme elle peut durer des années. En général, elle se développe sur l'année scolaire.

La PJJ de la Sarthe met en oeuvre environ 900 mesures par an, près de 2 000 étant déléguées au secteur habilité. « En priorité, on confie les mesures pénales à la PJJ, ce qui l'a conduite à prendre en charge des groupes qui ne sont ni mixés en genre ni en mesure. Ces jeunes ont des défaillances psychiques et des lacunes profondes qui les tirent vers le bas », constate l'infirmière. Selon une enquête de l'Inserm menée en 1998, 49 % des jeunes, outre qu'ils cumulaient des difficultés familiales, sanitaires sociales et psychologiques, étaient déscolarisés depuis au moins un an au moment de leur prise en charge par la PJJ. En 2004, ils étaient 72 %. Cependant, conclut Patricia, « cinq ans après la fin de la prise en charge par la PJJ, deux jeunes sur trois sont considérés comme socialement intégrés et n'ont plus affaire à la justice. Restons optimistes ! »

1- La PJJ comprend 72 infirmières pour environ 7 000 agents à temps plein.

2- La justice des mineurs est encadrée par l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Elle « affirme la priorité de la mesure éducative sur la sanction pénale et marque la reconnaissance d'un droit à l'éducation pour les mineurs délinquants ».

3- Source : ministère de la Justice.

4- Un jeune peut faire l'objet de plusieurs mesures.

moments clés

- 1986 : diplôme d'infirmière en santé mentale.

- 1992 : prend la tête de la Coordination du centre hospitalier du Mans afin d'obtenir l'équivalence et la reconnaissance de la spécialité santé mentale.

- 1993 : devant l'échec de la mobilisation, prépare son diplôme d'État.

- 1995 : intègre la direction départementale de la Protection judiciaire de la jeunesse de la Sarthe.

- 2000 : écoutante à l'association « La Porte parole ».