Le revers de la main propre - L'Infirmière Magazine n° 226 du 01/04/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 226 du 01/04/2007

 

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Mieux vivre

Savon, solutions hydro-alcooliques, séchage... Indispensable contre les infections nosocomiales, le lavage systématique des mains entraîne des problèmes cutanés douloureux chez les infirmières.

Comme toutes les guerres, celle menée contre les maladies nosocomiales a ses victimes collatérales : les mains, responsables de 80 % des infections. Leur lavage répété, pour efficace qu'il soit, n'est pas toujours sans conséquences sur la santé.

dermatose d'irritation

À chaque patient, à chaque geste, c'est le même rituel, on se lave les mains. À l'eau et au savon si elles sont souillées, avec une solution hydroalcoolique dans les autres cas. Jusqu'à 80 fois par jour, voire plus dans certains services. Un soin indispensable, mais qui, à force, peut abîmer la barrière cutanée. Rougeurs, démangeaisons, fissures et plaies : pour certaines infirmières, ce geste courant et nécessaire peut devenir un calvaire. « Cause courante de consultation, la dermatose d'irritation est très inconfortable et peut être dangereuse pour l'infirmière et pour les patients », explique le Dr Christine Gangloff, médecin

du travail et allergologue à l'hôpital Chenevier de Créteil. Dangereux pour l'infirmière qui risque la surinfection, et pour le patient, car la main qui le soigne n'est plus saine.

dermatose allergique

« En plus, ces irritations font le lit des dermatoses allergiques, beaucoup plus compliquées à traiter », prévient le Dr Gangloff. La peau sensibilisée et altérée est plus encline à développer des allergies. Première incriminée : l'allergie au latex, matière utilisée notamment pour la fabrication des gants, des garrots et des sondes. Il faut alors mettre en évidence l'allergène, le supprimer et appliquer un traitement dermo-corticoïde. Dans le cas du latex, il existe des alternatives, comme les gants en vinyle ou les garrots en tissu. Mais dans d'autres cas, où l'allergène est introuvable ou irremplaçable, la dermatose nécessite le déplacement de l'infirmière dans un service où le produit est absent, les lavages de mains moins fréquents, voire dans un service administratif. Cette mesure peut se révéler très frustrante pour les soignantes désireuses de travailler au contact des malades.

prévention

Puisqu'elles favorisent le portage et la transmission des germes, qu'elles handicapent l'infirmière dans son travail et dans sa vie, il est primordial de prévenir les dermatoses. Lors du lavage d'abord ; par un entretien quotidien et minutieux des mains ensuite. « Car les infirmières ont souvent deux vies », rappelle le Dr Gangloff. L'une à l'hôpital, l'autre à la maison, avec ménage et enfants à la clé. Vaisselle, entretien de la maison, bains des petits : autant d'activités qui peuvent aggraver ou favoriser la dermatose. « Malheureusement, si les infirmières sont formées aux différentes techniques de lavage des mains, elles ne le sont pas à la prévention des dermatoses », regrette le médecin du travail qui leur enseigne ces règles de base lors de la première consultation.

produits agressifs

Les produits se sont beaucoup améliorés ces dernières années, et la généralisation des solutions hydroalcooliques enrichies en émollients sont moins irritantes que l'eau et le savon. Mais le lavage à l'eau reste nécessaire en cas de souillures et les solutions hydroalcooliques peuvent aussi poser des problèmes, surtout sur une peau déjà abîmée.

Détergents, excipients, parfums : ces produits veulent concilier efficacité et douceur pour la peau. Une équation pas toujours facile à résoudre. « Quand on a les mains irritées, passer de l'alcool dessus dix fois par jour n'est ni agréable, ni très recommandé, observe Christine Gangloff, mais face au risque nosocomial, les infirmières n'ont pas le choix. »

Les infirmières ne sont pas égales face aux dermatoses. En effet, le facteur individuel est très important. La qualité de la peau et les prédispositions familiales, par exemple, jouent un rôle majeur dans la sensibilité des mains. Mais aussi le service dans lequel elles travaillent, les produits manipulés... Car à chaque soin correspond un nouveau lavage de main, soit une nouvelle agression. Si l'on est plus exposé à certaines périodes de l'année (en hiver), on l'est aussi à certains moments de sa vie. Comme la grossesse et la ménopause fragilisent la peau, les femmes doivent être particulièrement attentives à la santé de leurs mains durant ces périodes. Cependant, les infirmières les plus touchées sont souvent les plus jeunes, qui au début de leur carrière multiplient les soins et ne sont pas forcément sensibles à la protection de leur principal outil de travail : leurs mains.

prise en charge

« Les dermatoses constituent chez nous la troisième cause de consultation, observe le Dr Gangloff. Et pourtant la dermatose d'irritation est difficilement prise en compte par la législation. » Elle est seulement reconnue comme pathologie vraisemblablement liée au travail, parce qu'il est difficile de prouver que seule l'activité professionnelle est en cause. De nombreuses infirmières se retrouvent donc seules face à ce problème.

témoignage

« Changer de service »

« Tout ça a commencé il y a deux ans par des rougeurs et des démangeaisons de plus en plus fortes sur les mains, raconte Alexa Villiers, 34 ans, infirmière à l'hôpital Chenevier de Créteil. Des petites bulles sont apparues sous la peau, et puis des fissures. Au bout de trois mois, c'était devenu vraiment gênant vis-à-vis des patients et douloureux, surtout pour se laver les mains. J'ai consulté un dermatologue qui m'a prescrit des dermo-corticoïdes. La situation a continué à s'aggraver. Six mois après les premiers symptômes, j'ai consulté la médecine du travail. On m'a dit de porter des gants de coton et des gants de vinyle les uns par dessus les autres. J'avais l'impression de travailler avec des gants de boxe ! La douleur et la transpiration étaient insupportables. Quand je pliais mes doigts, la peau craquait. J'ai atterri aux urgences dermatologiques. Les tests allergiques n'ont rien donné car on ne peut pas tester les produits irritants. J'avais alors le choix entre arrêter de travailler ou changer de service. J'ai choisi la seconde option, mais mes mains sont encore sensibles. Et puisque je ne peux plus avoir de contact avec les malades, je fais l'école des cadres... »

En savoir plus

QUOI ?

Dermatose d'irritation : réaction inflammatoire non immunitaire à des substances irritantes.

Dermatose allergique : réaction immunologique à la présence d'un allergène.

COMBIEN ?

Les dermatoses représentent 5 % des maladies professionnelles reconnues.

QUI ?

Les dermatoses touchent en majorité les personnels de santé, mais aussi les professionnels du ménage, du bâtiment et les coiffeurs.

SÉCU

La plupart des travailleurs touchés ne font pas de demande de prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie. En effet, la procédure semble souvent trop lourde, et il paraît difficile d'établir que la dermatose n'est causée que par l'activité professionnelle. D'où un nombre de déclarations plus important chez les allergiques, car le produit en cause est alors identifié.

ÉTUDE

Une étude menée par le CHU de Créteil sur 200 patients atteints d'une dermatose professionnelle, a montré que la déclaration favorisait l'aménagement du poste de travail et donc la guérison. Pour 15 % des malades interrogés, la dermatose avait abouti à une baisse des revenus, voire au chômage, et 17 % d'entre eux étaient en arrêt maladie.

nos conseils

Inutile de mettre des tonnes de savon, une noisette suffit à accomplir le travail. Pour l'eau, c'est l'inverse, la générosité est de mise. Toujours mouiller les mains avant de mettre le savon et les rincer avec soin et abondance après. Pour sécher, éviter au maximum de frotter (ça irrite), tamponner délicatement jusqu'à ce que les mains soient parfaitement sèches, même entre les doigts.

- À la maison, mieux vaut utiliser des gants pour faire le ménage et la vaisselle. Cela évite d'être en contact avec des produits irritants et potentiellement allergènes. Le matin, appliquer une crème barrière qui agira comme une seconde peau de protection pendant la journée, et le soir, une crème réparatrice.