Le sida montré du doigt - L'Infirmière Magazine n° 226 du 01/04/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 226 du 01/04/2007

 

mozambique

Reportage

Au Mozambique, la pauvreté et le manque de soignants aggravent le désastre sanitaire, souvent imputé au seul virus. Pourtant, depuis trois ans, la population a accès aux traitements.

«J'étais maigre et incapable de me lever quand on m'a convaincue d'aller à l'hôpital. » Cecilia Mabataza Lucas, veuve de 33 ans, a mis son histoire en chanson : « les médecins m'ont donné des médicaments. Maintenant, je chante, et j'ai récupéré mon poids ! »

Ticket de bus

La scène se passe à Boane, à une trentaine de kilomètres de Maputo, la capitale du Mozambique. Cecilia doit faire des allers-retours entre ces deux villes pour chercher son traitement gratuit. Problème : elle n'a plus de revenu. Quand elle en a la force, elle aide ses parents à exploiter leur lopin de terre. Mais les récoltes sont maigres. La famille manque d'outils et de prêts pour acheter des animaux. Au Mozambique, les deux tiers des paysans ont des difficultés alimentaires. L'association Kulima(1) verse à Cecilia de quoi payer son ticket de bus jusqu'à l'hôpital, et lui donne du riz et des oranges chaque mercredi, après le travail dans un potager collectif où soixante-dix séropositifs plantent des légumes nutritifs pour diversifier leurs repas. Mais cela ne suffit pas : « hier, je n'ai rien mangé, alors je n'ai pas pu avaler mes cachets. »

Cecilia fait partie des 31 500 Mozambicains sous trithérapie. Le ministère de la Santé a démarré un programme d'accès aux traitements gratuits en 2004 à Maputo et l'étend aux principaux hôpitaux de province depuis 2005. Aujourd'hui, il existe 150 points de prescription d'antirétroviraux (ARV). « La grande majorité des malades traités y reçoivent des génériques indiens de première ligne qui coûtent à l'État 30 dollars par an et par patient », commente Jao Teixeira, un responsable de la centrale étatique d'achat des médicaments.

L'accès aux ARV est devenu une priorité du gouvernement et de ses bailleurs. Selon Jao Teixera, ils se font même concurrence pour financer le programme. « Pour l'heure, le Mozambique n'a pas de problèmes d'approvisionnement en ARV ! », affirme le haut-fonctionnaire. Ce que confirme le coopérant José Vallejo, responsable d'un service public de traitement du sida géré par MSF à Maputo : « nous n'avons pas souffert de rupture de stock. Les difficultés sont d'un autre ordre : manque de médecins et d'infirmières, manque d'infrastructures, malnutrition. Une trithérapie doit être suivie précisément. Si le patient l'interrompt, parce qu'il n'a pas les moyens de se rendre à l'hôpital ou parce qu'il n'arrive pas à avaler ses comprimés le ventre vide, il développe des résistances aux médicaments de première ligne. Or, trop chers, les ARV de seconde ligne sont indisponibles ! »

Pas assez d'infirmières

Pourtant, 208 000 personnes ont immédiatement besoin d'ARV, la pandémie faisant des ravages au Mozambique. Officiellement, 16,2 % des adultes entre 15 et 49 ans sont porteurs du virus, dont une majorité de femmes. Le pourcentage a doublé en huit ans et continue à augmenter. Ce qui met en cause les politiques de prévention. « L'accès aux médicaments ne doit pas se faire au détriment de la prévention, ni de la lutte contre le pauvreté ! » souligne Ana David, coordinatrice nationale de Monaso, le réseau mozambicain des associations de lutte contre le sida. Depuis 2002, Monaso fait du lobbying en faveur de la prévention, grande oubliée des donateurs. D'autant que les Églises et certaines ONG financées par Washington se contentent d'appeler à l'abstinence et à la fidélité. Une politique pour le moins hasardeuse, dans un pays où la polygamie est largement répandue.

Cecilia, elle, a été contaminée par son mari, décédé depuis. Aujourd'hui, elle risque de transmettre le virus à d'autres hommes : « les femmes sous ARV peuvent encore charmer ! » La femme mozambicaine dépend économiquement des hommes. En milieu rural, 80,8 % des femmes sont analphabètes, contre 47,2 % des hommes. « Des femmes me disent qu'il vaut mieux mourir demain du sida, qu'aujourd'hui de faim ! » soupire Rafa Machava, directrice de Muleide, qui lutte pour les droits des femmes.

Les programmes d'accès aux ARV sont certes accompagnés d'une aide alimentaire (au moins les premiers mois) généralement fournie par le Programme alimentaire mondial. Mais faute de moyens, celui-ci a commencé en septembre à réduire cette aide destinée aux patients traités pour le sida dans toute l'Afrique australe, prévoyant que plus de 4,3 millions de personnes seraient confrontées à des pénuries.

OGM dans la brèche

Lors de la dernière crise alimentaire de 2002, l'agence alimentaire de l'ONU avait tenté d'acheminer un stock de maïs transgénique, passant outre les lois internationales sur la biosécurité. Elle aidait ainsi les États-Unis à écouler leurs stocks d'OGM et à imposer cette culture à l'Afrique. Ces produits étaient présentés comme une solution pour sauver les campagnes mozambicaines où la main-d'oeuvre est fauchée par le sida.

Mais le virus est-il vraiment responsable de la désertification des campagnes et de la réduction des surfaces agricoles ? « Non, c'est plutôt l'exode rural ! » assure Diamantino Nhampossa, le coordinateur de l'Union nationale des paysans (Unac). Il argumente : « en 1997, 71 % de la population vivait à la campagne ; aujourd'hui, le chiffre est en dessous de 66 %. Les paysans manquent de soutien et fuient les conditions de vie difficiles ! » Sans nier le désastre de la pandémie, ce syndicat considère que le sida est utilisé pour masquer l'impact de la mondialisation sur la paysannerie. Pour combattre le sida, les préservatifs et les antirétroviraux à bas prix ne suffisent pas. Le Mozambique a besoin de personnel soignant, de services publics de santé, d'éducation et surtout de développement.

1-Les associations mozambicaines Kulima et Salama sont soutenues par le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD). Internet : http://www.ccfd.asso.fr.