Accrochés à l'Umit - L'Infirmière Magazine n° 227 du 01/05/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 227 du 01/05/2007

 

toxicomanie

Enquête

Dans la région de Rouen, l'Unité mobile d'intervenants en toxicomanie tend la main aux personnes dépendantes, psychiquement très instables.

Comme chaque vendredi, le psychiatre Yves Protais, médecin coordinateur de l'Unité mobile d'intervenants en toxicomanie (Umit) du CHS du Rouvray, et Sylvie Rosant, infirmière psychiatrique, se rendent à la policlinique de l'hôpital Saint-Julien de Petit-Quevilly, pour leur consultation hebdomadaire. « Nous suivons des patients qui ont un problème d'addictologie, ce qui entraîne des troubles de l'humeur, de la personnalité et des troubles psychotiques », explique ce psychiatre. Premier rendez-vous de la matinée, l'équipe reçoit Pierre(1) et s'assure de l'état général du patient.

Obligation de soins

Consommation, travail, relations amicales, vie sentimentale, Pierre semble aller bien. « Vous pensez que c'est le traitement qui vous a aidé ? demande Yves Protais. Et le shit, vous en êtes où ? » « Cela fait un mois que je n'y ai pas touché ! » affirme l'intéressé. « Et la mémoire ? » demande le praticien. « Cela fonctionne beaucoup mieux, depuis que j'ai tout arrêté », confie-t-il. Un bilan plutôt positif, mais qui demeure fragile.

En fin de matinée, Alain se fait désirer. « Ce patient a consommé tout ce que la terre peut produire de substances modifiant le psychisme ! » soupire Yves Protais en attendant. Les yeux creusés, le jeune homme arrive très en retard. Il est presque 12 h 30. Polytoxicomane, Alain est schizophrène et, par décision de la justice, est tenu à une obligation de soins. Ce matin, il se plaint de douleurs dans le dos, et aux reins. Petit tour d'horizon sur les habitudes de consommations ; l'équipe tente de rétablir la vérité dans un discours souvent ponctué d'affabulations. Pour Alain, le plus délicat reste la solitude à laquelle il est confronté et la fréquentation d'autres toxicomanes. « Le plus dur, c'est de dire non ! » lance le jeune homme. « Et tu penses réussir ? » demande le médecin. « L'autre week-end, j'avais des sachets de coke chez ma mère, mais je n'y ai pas touché. » « Ce n'est pas bon ! » prévient Yves Protais, qui connaît aussi le déni de consommation de ses patients. Durant l'entretien, Alain assure entendre sa voix dans les tuyauteries de son appartement et affirme voir un jeune enfant se coucher à ses côtés. Alain reviendra d'ici quelques jours pour recevoir son injection de neuroleptiques. « Tu n'oublies pas ton rendez-vous à Saint-Sever ! » insiste Sylvie Rosant. Tous les intervenants de l'Umit passent du temps pour rappeler aux patients leurs obligations thérapeutiques.

Bouche à oreille

Depuis 2005, l'Umit dispose d'une consultation de psychiatrie des addictions sur deux demi-journées. Ces consultations sont réalisées par deux psychiatres : le Dr Protais et le Dr Goetz. L'équipe, composée de deux infirmières et d'une éducatrice spécialisée, dispose d'un bureau à l'hôpital de jour Marie-Duboccage, le CMP de Rouen rive gauche. Elle intervient là où la demande se fait pressante, souvent en ambulatoire, auprès d'une population connue des services psychiatriques et judiciaires. Les patients suivis sont à 92 % des hommes, souvent adressés par un médecin traitant, le Samu, les urgences, ou encore par le bouche à oreille entre toxicomanes en recherche d'une aide. En 2005, 77 personnes ont été prises en charge, et une centaine pour l'année 2006.

Course de fond

Le travail de l'Umit est une course de fond qui s'inscrit dans un projet plus global, puisque cette unité compte sur l'ouverture de 8 lits dans l'unité Jean-Pierre-Pot du CHS du Rouvray. L'Umit travaille aussi en réseau avec les CSST de la région : La Passerelle à Elbeuf et La Boussole à Rouen, ainsi qu'avec celui de la maison d'arrêt de Rouen. L'équipe soignante suit des détenus polytoxicomanes, qui « replongent » souvent à leur sortie du milieu carcéral. « La rechute fait partie du parcours du toxicomane, explique Laurence Léger, éducatrice spécialisée. Tout dépend de son histoire. Plusieurs facteurs déterminants aideront les gens à s'en sortir : l'âge, la durée de la toxicomanie ; plus elle est longue, plus c'est difficile. Un passé familial plus ou moins lourd aussi, poursuit-elle. Si ces personnes ont très peu de liens familiaux, les repères manquent de ce point de vue, mais également par rapport à la loi. Ces personnes ont les plus grandes difficultés dans leur reconstruction et dans l'affrontement de la réalité quotidienne. » En rupture, les patients accueillis par l'Umit suivent un schéma d'autodestruction, souvent accompagné d'attitudes paranoïaques.

« Vingt ans dans la rue »

52 % sont SDF. 32 % cumulent à la fois une addiction, des troubles psychotiques et des problèmes de précarité. « Nous avons très souvent affaire à des patients qui n'ont plus de repères, plus de logement et qui ne savent plus où ils en sont de leur minima sociaux, poursuit Laurence Léger. Certains ont passé vingt ans dans la rue ! » L'Umit est parfois la seule bouée de secours pour ces hommes et ces femmes au parcours très chaotique avec des histoires lourdes où la consommation de stupéfiants est souvent à l'origine de passages à l'acte délictueux.

En 2005, la police nationale a interpellé 659 personnes dans la région rouennaise. Parmi elles, 538 étaient des usagers, dont 20 mineurs. « Ce sont surtout de petits trafiquants en réseau avec le Maroc, via l'Espagne ou en provenance des Pays-Bas, explique le capitaine Trevor Newsome, chef de la brigade des stupéfiants de Rouen. Mais en Hollande, le cannabis est plus nocif que celui du rif marocain, puisqu'il contient 42 % de produits très actifs contre 20 à 28 % d'ordinaire. » Ce produit est détectable jusqu'à huit jours après sa consommation.

Trop souvent prise à la légère, la consommation de tétrahydrocannabinol (THC) est aujourd'hui pointée du doigt comme étant en partie responsable du développement de psychoses. « La consommation de cannabis entraîne un drame absolu sur le plan de la schizophrénie », affirme le professeur Jean Costentin, qui dirige l'Unité de neurobiologie clinique au CHU Charles-Nicolle de Rouen, auteur du livre Halte au cannabis, publié chez Odile Jacob. « On sait aujourd'hui que le tétrahydrocannabinol est, de toutes les drogues, la seule qui se stocke durablement dans l'organisme, explique le professeur Jean Costentin. À l'adolescence, le cerveau, telle une véritable éponge, stocke durablement le cannabis, avec les effets que l'on connaît. »

Relâchement, effets euphorisants chez les sujets déprimés qui vont bientôt replonger dans la dépression, augmentation des tentatives d'autolyse par désinhibition, sans oublier les risques de cancers qui sont multipliés... « L'adjonction du cannabis au tabac fabrique 7 fois plus de goudrons que le tabac seul. Il fallait attendre 30 ans entre le début de sa consommation et le moment où on avait un cancer broncho-pulmonaire... Avec le cannabis, 15 ans suffisent ! » souligne ce spécialiste. Le cannabis est aussi responsable d'addictions supplémentaires. La France compte 150 000 héroïnomanes, ils sont tous passés par le cannabis !

« La cocaïne, le LSD et l'ecstasy sont réservés à un usage festif, dans des milieux que l'on pénètre plus difficilement, avec des consommations induites par la pression économique », poursuit Jean Costentin. Il rappelle qu'en matière de stupéfiants, les toxicomanes connus sont dans l'obligation d'être suivis par les services sociaux.

Concernant les usages de ces produits illicites, les modes de consommations ont également changé. « Nous sommes passés à un polyusage avec un produit central où le risque psychiatrique est plus important qu'avant les années 1990, explique le psychiatre Yves Protais. Ces produits accentuent la maladie psychiatrique, aggravent les symptômes. » Depuis 1995, l'OMS reconnaît le facteur de comorbidité et le risque de résistance aux traitements, y compris dans les psychothérapies. « On dénombre 40 % de comorbidité dans les addictions, toutes maladies confondues », explique Yves Protais.

Cocaïne et hépatite C

Cet après-midi, Sylvie Rosant vient voir un patient au CHS du Rouvray. La quarantaine passé, Patrice s'était adressé à l'Umit à l'issue d'un parcours difficile. Aujourd'hui hospitalisé au CHS du Rouvray, établissement qui a accueilli en d'autres temps l'écrivain Guy de Maupassant, ce patient a connu une vie difficile assortie de pathologies graves. Après six années de détention, ce polytoxicomane au cannabis, à l'héroïne et à la cocaïne est aujourd'hui séropositif et porteur de l'hépatite C. « Elle se transmet par le biais de pailles souillées, destinées à sniffer la cocaïne, alors que le VIH est plutôt en baisse car le matériel utilisé pour les injections est stérile », explique Sylvie Rosant. Adressé en psychiatrie, ce patient sous produits de substitution s'est alors tourné vers un projet de réinsertion optimiste ; malgré tout, « il ne passe pas une journée sans penser à ses prises quotidiennes », souligne Sylvie Rosant. L'infirmière tente de cerner ce problème durant un entretien.

« Sorcier incompris »

Quelques jours plus tard, dans les locaux de l'Umit, Christelle Alexandre reçoit plusieurs patients, dont une polytoxicomane tenue à une obligation de soins par décision de la justice.

Anne arrive dans un état de grande fragilité apparente. Très déprimée, elle livre un discours décousu où se mélangent affabulation et réalité. Cette femme doit être hospitalisée au CHU de Rouen, dans un service spécialisé en alcoologie. « À 35 ans, c'est une personne fortement désocialisée, qui n'a jamais travaillé, consommatrice de cocaïne, d'héroïne, d'alcool, victime de violences conjugales. Nous l'avions perdue de vue durant quelques mois, avant qu'elle ne réapparaisse », fait remarquer Christelle Alexandre.

Rendez-vous est pris le lendemain à l'unité, avant d'envisager une postcure. Durant cette matinée, Christelle Alexandre revoit Alain, ce jeune patient de trente ans. Il vient pour son injection bimensuelle de neuroleptiques, un produit qui calme ses idées délirantes. L'infirmière entame la discussion pour faire le point. « J'ai pris une balle dans la tête, je vous jure ! clame Alain, un peu agité, le regard toujours creusé, la jambe droite tremblante. J'ai mal aux dents et à la tête ! Mais c'est le secret de mes oiseaux. Je peux sortir un pistolet de mes poumons ! » s'enflamme le jeune homme délirant. Christelle Alexandre tente de le ramener à la réalité. « Peu ont conscience des soins, et la présence d'une infirmière représente la réalité dans les pathologies associées à leurs délires », confie cette professionnelle. Alain somatise. « Je suis "incoher" [incohérent]. Il paraît que je suis schizophrène, poursuit le jeune homme, mais ce n'est pas vrai ! » « Pour toi Alain, c'est quoi la schizophrénie ?» questionne l'infirmière attentive. « C'est un sorcier attrapé ! Un sorcier incompris ! » Alain doit revoir le psychiatre de l'unité et reviendra pour son injection de neuroleptiques, qui l'aide à supporter sa vie si douloureuse.

1- Les prénoms ont été changés.

vrai/faux

DROGUES, RECHUTE, HÉPATITE C...

> Le cannabis est une drogue peu dangereuse.

Faux : le tétrahydrocannabinol est, de toutes les drogues, la seule qui se stocke durablement dans l'organisme. La consommation de cannabis influe très dangereusement sur le développement des psychoses.

> La rechute est fréquente chez les polytoxicomanes.

Vrai, mais certains facteurs sont déterminants : l'âge, la durée de la toxicomanie (longue, elle sera plus difficile à combattre), la qualité des liens familiaux.

> La consommation par voie nasale implique un faible risque de contamination.

Faux : les pailles destinées à sniffer la cocaïne, souvent souillées, transmettent fréquemment l'hépatite C.

> Les patients suivis à l'Umit sont toujours adressés par des professionnels de santé.

Faux : si le médecin traitant, le Samu ou les urgences jouent un rôle important, le bouche à oreille entre toxicomanes est un facteur non négligeable.