La loi Leonetti : « garde-fou » ou « barbare »? - L'Infirmière Magazine n° 227 du 01/05/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 227 du 01/05/2007

 

Fin de vie

Éthique

Faut-il dépénaliser l'euthanasie ? Anne Perraut-Solivères, cadre supérieur de l'hôpital de Briis-sous-Forge, et Édouard Ferrand, médecin au Samu du CHU Henri-Mondor(1) sont partagés.

Est-il nécessaire de légiférer sur l'euthanasie au regard de la loi Leonetti ?

Édouard Ferrand. Non. Une loi l'autorisant serait catastrophique pour la fin de vie des malades. Ceux qui se prononcent pour sa dépénalisation ont une connaissance imparfaite de la question, au demeurant très complexe. Cependant, si la fin de vie est un vrai problème, la loi Leonetti ne peut le résoudre aujourd'hui, car les processus situés en amont de ce texte ne fonctionnent pas bien. Tout ce qui est attaché au respect du droit des patients - consentement, collégialité et traçabilité de la prise en charge - est quasiment ignoré. Dans ce contexte, lorsque le malade arrive en bout de parcours, soignants, familles et patients sont totalement démunis. Or, la loi Leonetti est une procédure qui permet d'appliquer les bonnes pratiques de fin de vie. Elle est aussi une très bonne procédure pour offrir un garde-fou contre les dérives de décisions trop rapides de fin de vie. Il ne faut donc pas simplifier son esprit. D'ailleurs, elle apportait des réponses pertinentes à tous les cas qui ont été médiatisés ces derniers temps.

Anne Perraut-Solivères. La loi Leonetti est insuffisante. Ne plus alimenter, ne plus hydrater et ne plus aspirer un patient moribond, pour lequel il n'y a plus d'issue thérapeutique, me paraît autrement plus barbare que d'accélérer la fin de sa vie, en douceur, à sa demande, à l'aide d'une pharmacopée que nous maîtrisons de mieux en mieux. C'est une question de simple humanité et il serait utile de rappeler le sens du mot euthanasie qui signifie « bonne mort, mort douce et sans souffrance ». Pour autant, je ne souhaite pas qu'on banalise l'euthanasie, mais elle doit être rendue possible dans un cadre strictement délimité et, surtout, il faut que cesse l'hypocrisie. Aujourd'hui, l'euthanasie se pratique couramment et c'est le médecin seul qui la prescrit sous couvert d'un colloque singulier dont il n'a pas à rendre compte. Je réclame un vrai débat, non seulement entre soignants, mais avec une population qui devrait être mieux informée de ses droits et devoirs afin de faire évoluer favorablement le système de soins, la formation des soignants et la législation. Trop de patients meurent encore seuls, sans le savoir, derrière des portes qu'on n'ouvre que pour les soins d'hygiène.

La question de la fin de vie ne mérite-t-elle pas une approche sereine plutôt qu'une confrontation entre « pro » et « anti » ?

E. F. Il me semble que la faute incombe à ceux qui entraînent la réduction du débat, et particulièrement aux équipes de soins aigus, puisqu'elles n'y participent pas ! Le plus souvent, le débat est confisqué par des non-soignants qui ne connaissent pas la fin de vie mais sont pro-euthanasie parce qu'ils projettent dans cette démarche leur propre peur de mourir, voire de mal mourir. Or, la décision - et toute l'approche de la fin de vie, car il ne s'agit pas que de ses modalités, il faut aussi savoir à quel moment un patient entre dans sa fin de vie - est extrêmement complexe et c'est toute la noblesse des équipes de soins que d'apporter le mieux ou le moins mal à leurs patients. La plupart du temps, on peut, en effet, proposer une prise en charge curative, mais parfois il faut aussi savoir faire appel aux soins palliatifs, et ne pas les vivre comme un échec, mais comme une étape qui va être bénéfique pour les derniers jours du malade. Aujourd'hui, tous ces aspects sont occultés dans les débats autour de l'euthanasie. Comme est occulté le surcroît de travail engendré par cette prise en charge et, par conséquent, sa valorisation...

A. P.-S. Ce que je regrette, c'est que le sujet ne soit pas abordé entre soignants. C'est même un sujet tabou. Les difficultés de prise en charge des patients en fin de vie ne donnent lieu à aucun accompagnement particulier, sauf peut-être au sein des unités de soins palliatifs - où là, c'est un must d'en parler. Mais ces « groupes de parole » empêchent une reprise politique et théorique de cette problématique par l'ensemble des soignants. On y vide son sac, et après ? Pour aborder la fin de vie avec sérénité, il faudrait d'abord s'affranchir de la « bien-pensance » qui court-circuite le débat. La prise en charge par les soins palliatifs, je la réclame pour n'importe quel patient, n'importe quand, pas seulement à l'étape de la fin de vie. Il n'est pas admissible qu'il faille attendre d'être au seuil de la mort pour être bien traité du point de vue du soulagement de la douleur et de l'écoute !

La formation des soignants est-elle aujourd'hui suffisante pour assurer la prise en charge des personnes en fin de vie ?

E. F. La loi du 4 mars 2002 pointait deux problématiques majeures concernant le droit du patient : le risque nosocomial et le respect du consentement. Des moyens ont été donnés pour réduire le risque nosocomial grâce à la formation des soignants : ainsi, de l'aide-soignant au médecin, chacun a le même niveau de connaissances en matière d'hygiène hospitalière. Mais, s'agissant du droit des patients, il n'y a rien eu ! On a donc laissé les soignants avec des devoirs qu'il ne peuvent assumer face à un droit des malades extrêmement fort. Ce constat appelle une refonte de la culture soignante, puisqu'on est passé d'une relation médecin-malade à une relation équipe-famille-patient et de la culture orale à celle de l'écrit. Le turnover des équipes et la diminution des effectifs imposent cette nouvelle posture. Il faut notamment insister sur la collégialité et la traçabilité des décisions. Les soignants convaincus que s'abstenir d'écrire « protège » méconnaissent la loi.

A. P.-S. Côté formation, c'est le vide absolu. Et ceux qui partent se former sont sans doute ceux qui en ont le moins besoin, parce qu'ils sont déjà inscrits dans une démarche d'accompagnement. Ceux qui posent problème sont les soignants qui ne s'interrogent pas. Aujourd'hui, les soignants, et les infirmières notamment, passent plus de temps à justifier leurs actes qu'à les penser. De la même manière qu'ils passent plus de temps à se laver les mains qu'à dialoguer avec les patients ! La pensée du soin s'appauvrit. Il n'y a pas de véritable formation à la prise en charge des patients dans la formation des médecins et des infirmières. On saupoudre de quelques éléments théoriques en sciences humaines, mais il n'y a aucune réflexion sur la complexité d'une telle relation. Du côté des infirmières, ce qui compte, c'est qu'elles soient de bonnes techniciennes. Pour le reste, on fait appel à leur bon sens. Mais le bon sens ne suffit pas face aux situations difficiles.

Aujourd'hui, tout ce qui touche à la clinique est secondaire, on est dans un système qui induit de moins en moins de pensée au profit de l'acte, de la T2A, du factuel. Bref, les antipodes de la pensée.

En l'état, que préconisez-vous pour améliorer la fin de vie ?

E. F. Il me semble que l'amélioration passe par la mise en place d'équipes transversales qui auraient pour mission de former, de la même façon, toutes les équipes sur les droits des malades. Si ce type de dispositif existait, je pense qu'on aurait plus facilement recours aux Comités de lutte contre la douleur (Clud), aux unités de soins palliatifs, aux bénévoles... Il ferait émerger plus facilement les besoins. La fin de vie n'est pas une priorité parmi d'autres, mais une priorité comme les autres. Il émane une très forte demande des hospitaliers dans ce domaine. Il faut leur apporter des réponses et je pense que ce type d'unité en est une. Il nous faut revenir aux bases. Les soignants sont là pour donner du soin, prendre en charge, ouvrir des portes aux familles, aux bénévoles, si l'accompagnement le réclame. Le rôle des soignants est de répondre à la loi et de permettre aux familles et aux malades de lire ce qui a été pensé, décidé. On en est loin.

A. P.-S. Il faut d'abord apprendre aux soignants à écouter l'autre. Je pense que chaque soignant, quel que soit son poste, doit être capable de prendre en charge un patient dont la vie va s'arrêter. L'idée qu'il existe des spécialistes de la fin de vie est une aberration. Je pense que c'est le travail de tous les soignants, et notamment des infirmières, mais on doit leur donner les moyens de le faire. Un patient ne se découpe pas en tranches. D'un certain point de vue, la spécialisation a tué l'hôpital. Je voudrais que les soignants ne soient pas laissés à leur solitude face à des patients dont on a parfois l'impression qu'on les torture plus qu'on ne les soigne. Pour moi, le fondement de la démarche éthique c'est : « jusqu'où suis-je capable de comprendre ce que l'autre veut ? » Or, la très grande majorité des soignants ne connaissent pas la limite de leur propre projection, car ils ne sont pas préparés à ça.

1- Membres du comité de rédaction de L'Infirmière magazine.