La vie en équilibre - L'Infirmière Magazine n° 227 du 01/05/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 227 du 01/05/2007

 

le centre des enfants de Kervihan

24 heures avec

À Rohan, le centre des « Enfants de Kervihan » prend en charge des handicapés sévères. Le personnel pluridisciplinaire expérimenté leur apporte une qualité de vie inespérée.

Il n'est pas encore 8 h, le centre des « Enfants de Kervihan » s'éveille. Pour parvenir devant l'unité des « Glénans », il faut emprunter plusieurs couloirs et perdre un peu ses repères. Certains enfants s'approchent du nouvel arrivant ; d'autres l'évitent. « Toute personne nouvelle peut les déstabiliser », explique le Dr Françoise Gérot, médecin généraliste au centre.

Le centre, situé à Rohan (Morbihan) et aidé par la fondation Georges-Pompidou, comporte cinq unités d'internat et deux de semi-internat. Il accueille 55 enfants, âgés de 3 à 12 ans. Tous sont lourdement handicapés. Certains présentent des troubles du comportement et de la communication sévères : autisme, épilepsie, trisomie 21. Les pathologies de certains restent inconnues. « On atteint parfois les limites de l'impuissance médicale, reprend Françoise Gérot. Les plus grands spécialistes restent sans réponse devant les cas de certains enfants, ce qui est très difficile à vivre pour leurs parents. » Certains des enfants sont grabataires, extrêmement déformés par des scolioses sévères qui évoluent avec le port d'un corset et les interventions chirurgicales.

Verticalisation

« Le fait de ne pas marcher aggrave la déminéralisation et la déformation de certaines articulations, explique le Dr Gérot. Beaucoup ont une coquille qui permet de les verticaliser. La verticalisation est inconfortable, mais elle limite une déminéralisation osseuse et évite les fractures. » Troubles locomoteurs, troubles respiratoires importants nécessitant une oxygénation, troubles de la déglutition, reflux d'acidité... chaque enfant est un cas unique associant un retard mental, des troubles du comportement ainsi que, parfois, un handicap physique. À ces troubles s'ajoutent les pathologies pédiatriques traditionnelles, surveillées de près par le Dr Gérot, car la moindre infection peut déclencher d'autres maux. « J'ai un rôle de coordinatrice et de relais au quotidien. Je travaille avec les infirmières, qui font le lien entre l'éducatif et le médical. »

Jusque dans les détails

Aux Glénans, les enfants restent dormir toute la semaine et, en général, rentrent chez eux le week-end. Par sécurité, l'unité est verrouillée. Certains enfants sont déjà lavés et habillés, un garçon est en pyjama dans son fauteuil roulant, une petite fille, assise dans un siège-bébé, grogne et se balance d'avant en arrière. Caroline(1), 4 ans, a sauté le stade oral et doit être nourrie par sonde de gastrostomie percutanée endoscopique (GPE). « Quand les troubles de la déglutition sont trop importants, on pose une GPE. Pour d'autres, on fait des mixtes, car les quantités nécessaires à la croissance ne peuvent entièrement passer par oral. Un enfant qui a une sonde demande beaucoup de travail : une attention particulière lorsqu'on le douche, des soins de peau et un corset particulier », explique le Dr Françoise Gérot.

Le soignant doit connaître l'état de santé de chaque enfant, jusque dans les détails. « Celui-ci ne peut pas boire de l'eau, au risque de s'étouffer, explique Nadège, éducatrice spécialisée référente des « Glénans ». Celle-ci a été opérée d'un pied bot et ne peut avoir les mêmes activités que les autres enfants, même si elle peut marcher. Nous tenons compte de tout cela au quotidien, ainsi que lors de la réactualisation du projet individuel de chaque enfant. Toute l'équipe se réunit alors pour faire le bilan de l'année et fixer de nouveaux objectifs pour l'année qui vient. » Ce projet sur mesure propose des ateliers et des activités qui vont aider l'enfant à progresser.

Éveil des sens

Vers 8 h 30, après le petit déjeuner, Marie-Annick et Françoise, AMP et éducatrice, réunissent les enfants pour un atelier. David, dans sa coquille de verticalisation, sourit devant la marionnette de Petit ours brun. L'attention de l'enfant est mobilisée, selon ses capacités. Vers 10 h 30, le Dr Gérot et Brigitte, infirmière du centre, passent dans chaque unité pour la visite médicale. Pour chaque enfant, on note, dans le cahier de visite puis dans le classeur médical, les soins dispensés, l'état de l'enfant et les nouveaux médicaments prescrits en cas de problème. La visite est retranscrite par l'infirmière dans le cahier de liaison. Le personnel du centre est varié : éducateurs, psychomotriciens, kinésithérapeutes, AMP, psychologues, médecins... Les ateliers proposés sont également diversifiés. « Nous sommes ici dans la chronicité des résidents et du personnel, contrairement à l'hôpital, où patients et personnels tournent, reprend le Dr Gérot. Cela explique l'importance du projet individuel et la très bonne connaissance des troubles des enfants par l'équipe ».

Par exemple, la salle « Snoezelen » d'éveil des cinq sens a du succès auprès des enfants. Un matelas à eau, une musique douce, un diffuseur de parfums, des objets doux ou rugueux sont utilisés pour solliciter les sens de l'enfant et le faire progresser. Élisabeth, éducatrice, masse un enfant avec de l'huile de monoï. Puis elle accompagne Patrice pour une séance de balnéothérapie. « C'est un enfant qui marche difficilement mais qui a un très bon contact avec l'eau. Et on pense que les progrès qu'il a effectués depuis son arrivée sont aussi liés à ces séances de balnéo. »

Gestes et grimaces

« Rien n'est possible si on ne s'entraide pas dans l'équipe, si nous ne sommes pas, tous, les relais de communication des enfants. Beaucoup n'ont pas acquis le langage et sont dépendants », insiste Françoise Gérot. Selon le Dr Echevarria, psychiatre au centre depuis dix ans, c'est grâce à la grande capacité d'observation développée par les équipes que les synthèses et les projets individuels de chaque enfant sont adaptés lors de la réunion annuelle de synthèse et qu'ils y adhèrent. « Lorsqu'un enfant ne peut pas communiquer par la parole, ses gestes sont un langage que nous apprenons à comprendre. Une grimace spécifique chez l'un des enfants signifie qu'il souffre d'une infection urinaire. Un certain type de pleurs chez un autre traduit une crise neuropathique. Dans un autre centre, il faudrait des semaines pour comprendre et établir un diagnostic. »

Avant le repas de midi, les médicaments de chaque enfant, préparés et vérifiés deux fois par l'infirmière du centre, sont distribués par Brigitte et Marie-Annick, aide médico-psychologique. « Ici, les évolutions sont très lentes du fait de la gravité des pathologies. Ce sont de petites choses qui vont changer, explique le Dr Echevarria, mais elles sont significatives. Il faut considérer le temps différemment avec ces enfants grabataires, souvent entièrement dépendants, et qui ne parlent pas ou peu. Leur évolution est très lente. Le projet pour chacun est de maintenir des acquis et un certain confort. Aujourd'hui, il y a malheureusement peu de réponses pour des enfants aussi lourdement handicapés. Le centre de Kervihan est la solution des enfants qui ne trouvent pas de réponse ailleurs. »

« Réceptacle »

Les prises en charge sont lourdes pour les enfants, mais aussi pour l'équipe. Le psychologue est sollicité par les professionnels lors de situations difficiles. « Ce sont des enfants qui mettent les professionnels en difficulté. Lorsque les professionnels du centre me racontent une histoire, la mise en mots permet aussi une prise de recul. On passe du domaine du vécu à celui de la parole. » Laurent Proof, psychologue à mi-temps au centre, intervient aussi directement auprès des enfants. « Les psychothérapies sont recommandées lors des réunions de synthèse annuelle de chaque enfant, si l'enfant est replié sur lui-même, triste, ou s'il a des comportements que l'équipe ne comprend pas. Leur souffrance va être l'objet de la relation. Je suis le réceptacle de ce qu'ils veulent exprimer. Mon intervention sort beaucoup les enfants du statut "d'objet de soins" ou "d'objet éduqué". »

Musique et kiné

À 13 h 30, Anne-Marie, psychomotricienne, vient chercher Mathieu. Il souffre de déficiences mentales lourdes, mais marche depuis quelque temps. « Il faut être à côté de lui, explique Anne-Marie. Un accident est vite arrivé. » Au bout de 45 minutes, c'est au tour d'Isabelle. « C'est un enfant hypertonique qui a développé des rétractions. Mais elle a fait d'énormes progrès : aujourd'hui, elle marche, et elle peut manger seule. Avant, elle ne le pouvait pas. » Anne-Marie passe la chanson « Savez-vous planter des choux ? » pour faire un travail sur l'association entre mot et geste. Encouragée par Anne-Marie, Isabelle ponctue ses mouvements de « oh hisse » et de « hop là ». De retour à l'unité, il est 15 h, un atelier musique vient de commencer. David est fan des percussions. Chantal, éducatrice, lui fait travailler certains mouvements des mains en rythme.

Une heure plus tard, Julie, qui souffre d'un retard mental important, est accompagnée dans la salle d'une des kinésithérapeutes, Élisabeth. « Je la suis depuis longtemps. Elle a une scoliose sévère, une lordose et devient de plus en plus hypotonique. Malheureusement, elle a perdu une partie de sa motricité et a besoin de son fauteuil roulant la majorité du temps. On ne connaît toujours pas l'étiologie de ses troubles. C'est terrible pour ses parents. » Élisabeth fait un travail de mobilisation et d'assouplissement du dos de Julie par des mouvements d'étirement sur un ballon géant. Elle vérifie son corset, car lorsque les enfants grandissent, il faut en refaire un sur mesure. « Les corsets limitent les grandes déformations au niveau du dos, voire des poumons », reprend Élisabeth.

Après avoir pris le goûter, les enfants sont accompagnés dans le parc clos du centre par l'éducatrice et l'AMP. Certains courent, deux sont installés dans des balançoires spécifiques, dont des sangles permettent de stabiliser les enfants grabataires. Au bout d'une heure, les enfants rentrent. Il ne faut pas que les plus fragiles prennent froid. Deux enfants chahutent, certains nouent une complicité. « Il se passe des choses très fortes, un lien se crée entre eux alors que leurs possibilités de communication sont faibles. Nous essayons d'entretenir cette complicité et de les faire participer ensemble à certains ateliers. »

1- Les prénoms des enfants ont été modifiés.