Le Caillou sans tabou - L'Infirmière Magazine n° 227 du 01/05/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 227 du 01/05/2007

 

Katia Girouard

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Rencontre avec

Gynécologie, maladies sexuellement transmissibles, croyances locales... En quatorze ans de pratique à l'hôpital territorial de Nouméa, Katia Girouard, infirmière, a appris a concilier le poids social des traditions en Nouvelle-Calédonie avec les impératifs de santé publique.

«Où est-ce que vous habitez, monsieur ? À Yahoué ? Il faudra aller au dispensaire pour refaire vos pansements. Vous pourrez vous y rendre ? Quelqu'un peut vous y emmener ? » Katia Girouard, 39 ans, infirmière au service de chirurgie viscérale du centre hospitalier territorial Gaston-Bourret à Nouméa, est habituée aux patients peu bavards. « Celui-ci communiquait tellement peu qu'on a d'abord pensé qu'il ne nous comprenait pas », explique-t-elle. Beaucoup, notamment les Wallisiens, ne parlent pas le français. « Mais on se débrouille toujours », affirme Katia. Pour elle, l'échange avec le patient, c'est le coeur du métier. Et son moment préféré, c'est quand il sort de d'hôpital. « Je ne suis pas accro aux situations d'urgence, j'aime ces instants privilégiés où les gens se détendent, où tout va bien, puisqu'ils savent qu'ils vont rentrer chez eux. » Des instants dont elle profite pour leur apporter des informations et des conseils adaptés à leur situation, sa « part de santé publique ».

« en brousse »

Métisse européenne et mélanésienne, Katia est née en Nouvelle-Calédonie. Après les cours de l'école d'infirmières, elle a débuté « en brousse », hors de Nouméa. Pendant deux ans, elle a exercé comme fonctionnaire stagiaire itinérante dans la province nord du « Caillou ». « J'allais de dispensaire en dispensaire, raconte-t-elle, c'était très formateur et ça m'a bien dégrossie. » Dans ces dispensaires de brousse, les infirmières sont souvent les premières à intervenir. « Parfois, il n'y avait qu'un médecin pour deux dispensaires situés à une demi-heure de voiture l'un de l'autre, se souvient-elle. Dans ces cas-là, il fallait être capable de faire face à des situations d'urgence, apprendre les deux ou trois gestes qui font la différence. » Mais les difficultés pour se loger et la lassitude des déplacements la poussent à rejoindre le centre hospitalier territorial.

respect

Katia débute en pneumologie puis intègre la chirurgie viscérale après six ans, pour ne pas devenir « un pilier de service ». Elle se souvient du « déménagement catastrophe » de l'hôpital. La partie historique du bâtiment menaçait de fissurer et de s'écrouler, si bien qu'après une expertise alarmante, les malades avaient dû être transportés dans une autre aile du bâtiment en vingt-quatre heures.

Un an plus tard, des modulaires avaient remplacé la partie désaffectée et la capacité en lits était redevenue la même qu'avant le déménagement. « Pendant toute ma carrière ici, on ne m'a jamais manqué de respect. Les gens sont adorables, toutes les ethnies nous reconnaissent un statut particulier », fait observer Katia Girouard. Ce statut lui permet de consacrer une part importante de son temps à l'éducation thérapeutique.

Le centre hospitalier territorial accueille des patients venus de toute la Nouvelle-Calédonie, territoire qui compte environ 230 000 habitants. Beaucoup de Calédoniens arrivent à l'hôpital avec des pathologies très avancées.

comportements à risque

En dehors de Nouméa, l'offre de soins est très réduite. En l'absence quasi totale de médecins libéraux, seuls une trentaine de dispensaires hérités des missionnaires et des militaires accueillent gratuitement les malades. Mais des tribus vivent à plusieurs dizaines de kilomètres de ces centres médicaux et n'ont souvent aucun moyen de transport.

« Dans certaines ethnies, il y a une forme de résistance à la douleur, les gens ne viennent à l'hôpital que quand ils ont vraiment mal, c'est-à-dire très tard ! » observe Katia. Elle déplore également les comportements à risque de beaucoup de Calédoniens, qui ont une consommation excessive d'alcool et de drogues et roulent trop vite. Mais Katia apprend surtout aux malades les bons gestes d'hygiène. Elle montre aux enfants comment se moucher ou explique tout simplement pourquoi il est très important de se laver les mains. Elle doit souvent conseiller aux jeunes femmes d'aller voir un gynécologue, ce qui est loin d'être un réflexe chez beaucoup de jeunes Mélanésiennes. « Il faut les pousser un peu, nous leur prenons le rendez-vous nous-mêmes, pour qu'elles n'aient plus qu'à y aller. » Les discussions sur les maladies sexuellement transmissibles avec les couples sont délicates, dans des ethnies où ces sujets sont encore tabous.

Katia constate également que le diabète et l'hypertension explosent en Nouvelle-Calédonie, symptômes d'un passage trop rapide au sucre raffiné. « Nous voyons beaucoup de jeunes adultes trop gros, qui ont une capacité à devenir diabétiques. » Les Mélanésiens et les Wallisiens mangent en grande quantité par tradition, et abandonnent de plus en plus les repas traditionnels pour des plats occidentaux plus riches et plus gras. L'obésité étant un critère de beauté dans ces ethnies, il est d'autant plus difficile de les « faire maigrir ». Autre particularité culturelle : lorsqu'un membre de la famille est malade, un « petit » l'accompagne à l'hôpital pour lui tenir compagnie toute la journée. « Ils sont assis par terre, ils gardent le pépé. Souvent, on les retrouve endormis au pied du lit », s'amuse Katia. La notion de maladie chronique est difficile à comprendre pour les Kanaks, qui pensent souvent, lorsqu'ils sont souffrants, qu'ils ont été « emboucanés », c'est-à-dire qu'on leur a jeté un sort. Ils font alors venir un guérisseur à l'hôpital. De même, il est très fréquent qu'une dizaine de personnes viennent prier plusieurs fois par jour avec le malade. « La religion est très importante dans la culture kanak, ils ont besoin de prier », analyse Katia. Elle apprécie la présence de la famille du patient, notamment au moment de la sortie, où « il est très rare que personne ne vienne chercher le malade ». Si les patients sont en majorité très dociles, il arrive que certains refusent les traitements prescrits, arguant qu'ils ont « leurs médicaments ». Ces « médicaments » sont en fait des préparations élaborées à partir de plantes, qui constituent la base de la médecine traditionnelle de beaucoup d'ethnies. Là encore, pas question d'aller à l'encontre des souhaits du malade.

bain de feuilles

Katia vit et travaille à l'européenne, mais elle reconnaît des vertus aux plantes et les utilise elle-même. Elle se souvient d'une anecdote : un petit garçon français de sa famille atteint d'eczéma chez qui tous les traitements « modernes » avaient échoué avait été « guéri » après un bain de feuilles de corossol (fruit sucré piqué d'épines). « Ces traitements sont d'origine végétale, donc au mieux ils soignent, au pire ils n'ont aucun effet », conclut-elle. Si les patients refusent parfois les traitements, ils acceptent sans problème la chirurgie, pour laquelle ils n'ont pas d'équivalent.

Dans tous les cas, Katia ne force pas, elle discute. Timide derrière ses petites lunettes rondes, elle ne hausse jamais la voix mais ne reste pas en retrait pour autant. Les autres soignants lui demandent conseil, la consultent... Incontournable en chirurgie viscérale, Katia est bien devenue un « pilier de service » malgré elle... Mais son prochain grand projet, c'est la retraite . Grâce à la législation locale (les autorités de la Nouvelle-Calédonie sont compétentes en matière de santé), qui requiert seulement quinze ans d'exercice et trois enfants pour les droits à la retraite des infirmières, elle pourra dès 2008 profiter de ses cinq enfants.

moments clés

- 1992 : diplômée d'État.

- 1993 : stage « en brousse ».

- 1994 : arrive au service de pneumologie du CHT de Nouméa.

- 2000 : choisit le service de chirurgie viscérale.