Les soignants de l'ombre - L'Infirmière Magazine n° 227 du 01/05/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 227 du 01/05/2007

 

réanimation

Reportage

À la Fondation Rothschild, les malades neurochirurgicaux oscillent entre la vie et la mort. L'équipe de nuit veille et surveille avec, parfois, le sentiment d'être en marge des décisions.

L e temps semble suspendu à la Fondation ophtalmologique Adolphe-de-Rothschild(1). Pour y pénétrer, il faut franchir le sas d'entrée, qui délimite un espace clos et protégé. Le visiteur sonne, puis attend avant d'être admis. Les infirmières l'invitent à revêtir une blouse et des surchaussures, puis le conduisent dans la chambre.

Silence et obscurité

Pour l'équipe médicale du service de réanimation, c'est une nouvelle nuit qui commence. Pour les patients, la notion du temps est probablement moins nette. Atteints de pathologies neurochirurgicales, ils sont inconscients, dans un état critique, et oscillent souvent entre la vie et la mort. Leur état nécessite un suivi constant, parfois pendant plusieurs semaines consécutives. Pour d'autres, le séjour sera beaucoup plus rapide, après une importante opération.

Seules les alarmes des seringues automatiques et des moniteurs troublent le silence. Des ombres se dessinent sur les murs des chambres, dont les lumières sont tamisées et les chambres éclairées au minimum. Dans le couloir, les plafonniers sont éteints. Pourquoi si peu de lumière alors que les patients sont, pour la plupart, inconscients ? Mehdi Amini constate que les patients sont sensibles aux variations de lumière : « ils sont plus calmes quand les lumières sont plus douces, moins agressives ». Pour Isabelle Dos Santos, quand les malades sont très médicalisés ou agités, la lumière dans la chambre permet de « voir tout de suite ce qui s'y passe ». « Et puis, ajoute-t-elle, d'un certain point de vue, la lumière, ça veut dire qu'ils sont toujours là, en vie. »

On devine le patient plus qu'on ne le voit, derrière le respirateur artificiel, le moniteur et le matériel médical. Priorité est donnée aux soins. Pour faciliter la surveillance, son lit est orienté vers l'intérieur, dos à la fenêtre. Le patient est allongé en permanence, nu sous un drap, immédiatement accessible. Son corps est sondé, scruté, dans sa plus grande intimité. Il est passif, silencieux, maintenu en vie par les soins et les machines. On décide à sa place et on le soigne.

Entend-il ?

Même inconscient, le patient est prévenu des actes qui vont être effectués. Jean-Pierre Cretenet, aide-soignant, s'adresse à un malade : « on va vous faire un soin de bouche, je vous préviens, ce n'est pas agréable. » Ce sont les infirmières qui assument la totalité des soins, toilette comprise.

Le malade entend-il ? Que perçoit-il de ces gestes répétés ? Pour une infirmière, soigner jour après jour un patient dont l'état semble stable peut être éprouvant. À elle d'accepter l'ingratitude de cette relation humaine a priori sans retour.

Dans le service de réanimation, les infirmières travaillent soit de jour, soit de nuit. Les équipes n'alternent jamais et se relaient à 8 h et à 20 h, lors des transmissions. La répartition des soins entre équipes donne parfois lieu à des discussions. Faut-il raser les patients inconscients dans la journée ? Les infirmières de jour demandent s'il n'est pas possible de le faire la nuit, un moment où le service est plus calme.

Incompréhension

La question se pose aussi pour la toilette quotidienne. Il faut respecter les différents moments de la journée, et ne pas reporter aux heures de nuit ce qui doit être fait le matin, suivant le rythme biologique du patient.

L'absence de roulement peut se révéler parfois pénible pour les soignants. Le fait de se sentir isolé, écarté des décisions engendre, dans certaines situations critiques, un sentiment d'incompréhension.

Le travail de nuit, imposé par la régularité des soins, est contraignant pour les infirmières. Quand Didier Huguenot a déposé sa candidature, la Fondation lui a proposé un poste de nuit. Il a réussi à s'habituer au rythme, même « si la journée est passée à dormir ». Certaines de ses collègues y trouvent leur compte : dans ces équipes, constituées depuis longtemps, les liens de confiance sont forts. La nuit, infirmières et aides-soignantes se retrouvent entre elles : les médecins sont partis, à l'exception de celui de garde. Les proches sont rarement présents, sauf au sortir du bloc ou lorsqu'on prévoit une aggravation de l'état du malade. Les familles téléphonent très peu en pleine nuit pour prendre des nouvelles. Pour les infirmières, ce détail a son importance : les soins ne sont pas interrompus par les multiples sollicitations du service comme en journée.

Loin de l'agitation, les infirmières surveillent l'évolution de l'état du patient et suivent les prescriptions du médecin. Le temps s'écoule au fur et à mesure des soins, sans aucune certitude sur l'état dans lequel le patient se réveillera.

Indices et hypothèses

Pour le médecin, le diagnostic repose sur des connaissances, des expériences et des hypothèses. En neurochirurgie, le cerveau n'a pas dévoilé tous ses mystères, même si les images médicales permettent d'accroître la précision du diagnostic. Les indices relevés par les infirmières sont alors très précieux. Le soin est continu, avec l'espoir qu'au terme des multiples gestes effectués, le patient se rétablira dans les meilleures conditions possible.

1- Fondation ophtalmologique Adolphe-de-Rotschild, 25, rue Manin, Paris.

Tel. : 01 48 03 67 60.

Reportage effectué d'avril à octobre 2005.

Les photos sont exposées à l'Espace éthique de l'AP-HP, au CHU Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux (75010). Pour connaître les heures où la salle est accessible, téléphoner au 01 44 84 17 57.