Vous avez dit « pénurie » ? - L'Infirmière Magazine n° 227 du 01/05/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 227 du 01/05/2007

 

Vous

Vécu

Qui a osé prétendre qu'il y avait un cruel manque de personnel dans les maisons de retraite françaises ? Pô du tout ! À trois aides-soignantes pour 70 résidents, c'est parfaitement faisable. À condition d'être organisée, évidemment.

ça carillonne !

En arrivant à 14 h, tu montes les petits vieux trois par trois dans leur fauteuil roulant de compétition par l'ascenseur. Tu t'arranges évidemment pour qu'ils soient tous au même étage et tu les jettes sur leurs lits pour qu'ils fassent la sieste rapido. Tu leur demandes gentiment (juste avant de les larguer) s'ils doivent faire pipi... mais pas trop fort, des fois qu'ils répondraient « oui ». C'est facile de s'en sortir : ils sont presque tous sourds comme des pots.

Tu redévales les marches quatre par quatre jusqu'au rez-de-chaussée, et tu continues jusqu'à ce qu'ils soient tous dans leurs chambres, et là, tu dis « ouf ! ». Il est déjà 14 h 40, tu t'assois 5 minutes, tu essuies discrètement les fines gouttelettes de sueur qui envahissent soudainement ton front, et tu fais le point avec l'équipe du matin, qui se casse à 14 h 45 et qui va être à la bourre pour la sienne, de sieste.

Dès qu'ils sont partis : tu réponds aux différents appels par sonnette des habitants des lieux (merde : ils dorment pas tous !) dans les étages... Évidemment, tous ces braves gens qui te lancent un SOS s'arrangent sournoisement pour ne pas être dans des chambres voisines... et vas-y que ça carillonne à tous les étages ! Entre deux, dévouée jusqu'au bout des ongles, tu donnes même un petit coup de main pour distribuer le linge lavé et repassé par l'équipe de nuit... Il est déjà 16 h et tu commences à redescendre tout le monde pour le goûter. Sauf ceux qui dînent dans leur chambre. Y'en a peu.

Dès qu'ils sont à la salle à manger, pas d'hésitation : distribution de café, petits gâteaux, jus d'orange. Puis : dominos, jeux de dada, musikapapa... Déjà 18 h ? Pas possible !

haché ou mixé ?

Trois... deux... un... et c'est parti pour le repas du soir : soussoupe pour tout le monde, puis menu haché ou mixé, c'est selon. J'ai pas bien vu la différence. Impossible de savoir ce qu'ils ont dans leurs assiettes, d'ailleurs : c'est peut-être pour ça que ces pauvres vieux ont toujours l'air si triste ? En tout cas l'heure avance. Très vite.

Et là, comme dirait Tino Rossi, ça se corse : dès qu'il y en a un qui a fini sa becquée, tu le remontes dare-dare et tu lui fais le coup du « pipi-popo-pyjama-et-couche-culotte-avec-le-sourire », sans oublier tout de même le petit coup de lavette vite fait sur le gaz. Enfin je veux dire : sur le popotin. Y'en a, ils ont du mal à suivre (je te rappelle que 3 sur 4 de nos chers résidents sont Alzheimer ou équivalent). Mais dans l'ensemble, c'est jouable. Le tout évidemment avec la recette magique de la super-aide-soignante-super-dévouée : « sourire-gentillesse-douceur-patience-ivameulfersonpipipopo-oui-ou-merdeuh ? » Faut être très douée.

parfaitement faisable !

Il est exactement 20 h 57. L'équipe de nuit est déjà là, qui attend les transmissions au garde-à-vous. On les leur fait vite, avant de nous sauver, nous aussi ! Un peu à la bourre, mais dans les temps quand même : 21 h 10. Pas si mal... Ils ne sont plus que deux pour s'occuper de tout ce petit monde, mais on y croit ! Alors ? Qui a osé dire « peut mieux faire » ? Hmmm ? Tu vois ? Trois aides-soignantes pour soixante-dix personnes, je te le disais : c'est parfaitement faisable. Manque de personnel dans les maisons de retraite françaises ? Bah, laissez-moi rire ! Il parait qu'en Allemagne et en Belgique, il y aurait deux fois plus de personnel en gériatrie qu'en France. Sûr qu'ils doivent s'ennuyer ferme, tous ces braves gens... Ah non ?