Entre rap et blouse - L'Infirmière Magazine n° 228 du 01/06/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 228 du 01/06/2007

 

Kamini

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Avec son clip « Marly-Gomont », le jeune infirmier psychiatrique est devenu un phénomène. Dans son premier album, Kamini sonde l'univers de la folie et brouille les pistes entre le patient et le soignant.

Dans le monde du rap, il est loin d'être le seul Black. Mais avec son épaisseur capillaire, difficile pour lui de se fondre dans le paysage ; alors dans les services des hôpitaux lillois, il est vite devenu l'attraction numéro un. Au début, il trouvait ça drôle, de distribuer des autographes pendant les gardes. Mais jouer à l'infirmier people, à la longue, ça l'a fatigué. « Pendant mes heures de nuit, des collègues ramenaient leurs gamins dans le service pour me voir... J'ai essayé de garder les pieds sur terre le plus longtemps possible, mais c'est devenu trop compliqué. »

Kamini a obtenu son DE après cinq années d'études, mais il ne lui a fallu que quelques mois pour devenir un phénomène sur Internet avec son clip, Marly-Gomont, nom du « petit patelin paumé » de Picardie, où il a vécu jusqu'à ses 19 ans, avec « 65 ans de moyenne d'âge [...], 95 % de vaches, 5 % d'habitants ». Et où, surtout, il n'y avait « qu'une seule famille de Noirs » : la sienne.

dans la peau d'un blanc

Le reste fait déjà partie de la légende : un clip enregistré avec des copains et des habitants du village, soumis à des maisons de disque. Aucune n'en veut, mais tout le monde rigole : les stagiaires s'envoient le morceau, et bientôt, Marly- Gomont bat des records de téléchargement. Puis vient un deuxième clip, tourné à Pantin, où Kamini se met en scène avec un médecin, à qui il raconte son voyage dans la peau d'un Blanc : « avant les flics, ils me poursuivaient, maintenant j'ai l'impression qu'ils m'esquivent. » Face à lui, le médecin l'écoute, impassible, puis le fait emmener par deux infirmiers psychiatriques.

trop noir pour un soin

Dans la vraie vie, l'infirmier psy, c'est lui, Kamini. Avec ses clips, il aime inverser les rôles, mais pas les priorités : l'antiracisme, d'accord, l'autodérision, d'abord. Et pas question, avec la célébrité, de se prendre pour un porte-drapeau de la profession ; il le dit lui-même, infirmier, c'est un second choix. Après un parcours scolaire sinueux, deux échecs en première année de médecine, il a fini par s'inscrire à l'Ifsi de la Croix-Rouge de Calais. « Mon père est médecin de campagne, à Marly-Gomont, et ça m'a donné envie. Mais à la fac, il n'était plus derrière moi, alors je n'allais jamais en cours. Au bout de deux ans, je me suis dit : "infirmier, pourquoi pas ?" Il fallait aussi que je me fasse de l'argent... » À l'hôpital, les choses ne sont pas toujours plus faciles qu'à Marly-Gomont. « C'est à l'image de la société, il y a des gens racistes partout. Quand j'étais stagiaire, il y a une fille qui ne voulait pas faire mon évaluation, parce que j'étais Noir. Mais bon, l'hôpital, c'est un milieu professionnel, les gens sont là pour bosser. Tout le monde a un travail à faire, les collègues mettent de côté ce qu'ils pensent, y compris ceux qui n'aiment pas les Blacks. » Parfois, il faut aussi composer avec le racisme ordinaire des patients : « certains refusent qu'un Noir leur fasse un soin... Alors on leur cherche quelqu'un d'autre, quand c'est possible. » Kamini choisit de ne pas s'énerver. « On a tous un vécu différent par rapport au racisme. Mon frère était beaucoup moins calme que moi. » Lui préfère en rire, même s'il dit, dans Marly-Gomont, avoir pleuré un jour de rentrée scolaire quand des enfants l'ont appelé « Bamboula » et « Pépito ». Dans ses clips, il choisit délibérément d'aligner les clichés sur les Blancs, qui sont snobs ou qui ne savent pas danser. « Je veux juste montrer l'absurdité du racisme », lâche-t-il.

le chevalier sarkozy

À l'hôpital, Kamini se spécialise en psychiatrie. « Pendant mes stages, c'est l'univers qui m'a le plus touché, avec tout ce qui se rapporte à la frustration, au déni. » Il enchaîne des missions dans les hôpitaux lillois et les maisons d'accueil spécialisées. « Infirmier, c'est un super métier, proche du patient. On passe par toutes les étapes de l'émotion, on voit comment un être humain entre dans un délire, puis comment il sort de son délire. » Quand sa renommée explose sur Internet, Kamini pense d'abord qu'il continuera à exercer. « Ce travail me permettait de garder les pieds sur terre. J'étais content en commençant mes nuits de garde. Je savais que j'en avais pour 7 heures, 7 heures dans la vie réelle. » Mais les deux carrières commencent à se parasiter, et Kamini abandonne la psychiatrie. Trop connu, trop occupé pour exercer avec sérénité ; mais les patients n'ont pas quitté ses pensées. Et dans le nouvel album, ils sont partout : Alfred, le cocaïnomane de Psychostar show, qui promet que « c'est terminé », alors qu'il a encore « de la poudre dans les poils de nez ». Celui qui « entend des voix » du fond de son délire mystique, qui « bloque deux heures devant le miroir » et voit « le troisième oeil ». Ou encore l'évadé de l'asile, qui ne fait pas partie de « la France d'en bas » mais de « la France d'en dessous » et se croit poursuivi par le « chevalier Sarkozy ».

rappeur ou... médecin ?

Politiquement, Kamini fait mine de ne pas prendre parti. Il ne dit pas ce qu'il pense du volet santé mentale, retiré in extremis du projet de loi sur la délinquance, en février. Tout juste dit-il s'être intéressé à la campagne présidentielle, avoir lu ce que les candidats prévoyaient pour la santé et pour les salaires des soignants. Avec un peu de musique, il se montre plus à l'aise. Il s'interroge : « nous, les fous, à la société, combien ça coûte ? », émet des doutes sur la définition d'une « norme » et s'interroge sur la vidéosurveillance, qui transforme les unités médicales en univers dignes de la télé-réalité.

Si son disque se vend bien, Kamini continuera de rapper à plein temps. Sinon, il voudrait pouvoir retourner sur les bancs de la fac de médecine. « Infirmier, c'était très bien, c'est un savoir dont je suis fier. Mais si je peux faire plus... » Une question de salaire, surtout : « les infirmiers ne sont pas très considérés, c'est évident. 1 500 à 2 000 euros, ça va, je ne me sens pas lésé. Mais après, avec des enfants, ça risque de devenir plus dur. » L'ordre infirmier, la délégation d'actes, le LMD, il suit ça de très loin et pense surtout à l'après.

schizophrénie atypique

Kamini voudrait sortir de la psy, pour devenir médecin de campagne, comme son père. « La psychiatrie, en tant que médecin, c'est trop dur. On est face à un malade qui ne peut pas guérir. Et puis, quand ça devient violent, c'est très très violent. » Parfois, ses nuits de travail lui manquent. « Quand j'ai quelqu'un en face de moi qui écrit, je regarde ses veines et je pense aux cathéters. » Mais il n'a pas peur de perdre son inspiration en s'éloignant du soin : « j'ai vu suffisamment de choses pour être imprégné à vie ». À écouter son premier album, on le croit sans peine. Il n'hésite d'ailleurs pas à repasser, comme dans J'suis blanc, du côté du patient. Dans un de ses nouveaux titres, c'est lui, Kamini, qui est retrouvé « à moitié nu, courant sur la route », et qui entend un infirmier répéter inlassablement : « je crois que ce type est fou à lier ! [...] Vous inquiétez pas, monsieur, on va vous soigner. Schizophrénie atypique, je crois que c'est pas gagné ! » Le malade, lui, met en garde : « Psychiatrie quoi ? Psychiatrie qui ? [...] Vous savez pas qui je suis... » Et dans Psychostar world, écrit pendant un stage d'Ifsi, une voix avertit que « le patient Kamini est toujours en fuite ». « Il y a plus à dire du côté des patients que de celui des soignants. Mais je ne m'interdis pas de prendre, un jour, le point de vue des infirmiers. » Reste que dans le nouvel album, quand il est question de folie, il est toujours question de Kamini. L'intéressé ne s'en défend pas : « c'est normal, juste la schizophrénie de l'artiste... »

moments clés

- 1979 : naît en Picardie

- 1999 : s'inscrit en médecine, à Lille

- 2001 : entre à l'Ifsi Croix-Rouge de Calais

- 2004 : diplômé d'État

- Septembre 2006 : succès du clip « Marly-Gomont »

- Mars 2007 : « J'suis Blanc »

- Mai 2007 : sortie du premier album, « Psychostar World ».