Examens de sortie - L'Infirmière Magazine n° 228 du 01/06/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 228 du 01/06/2007

 

une unité de gériatrie aiguë

24 heures avec

Après l'hôpital, un nouveau départ ? Au Kremlin-Bicêtre, l'unité de gériatrie aiguë prépare les patients à retrouver leur domicile, et apaise ceux qui vivent leurs derniers jours.

Assis dans son fauteuil, vêtu d'un pyjama bordeaux à carreaux, Albert(1) roule les « R » en racontant ses voyages : son Égypte natale, le Cameroun, le Congo, la Côte d'Ivoire. Albert a 88 ans. Il y a un mois, il est entré à l'unité de gériatrie aiguë (UGA) du centre hospitalier du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne). Aujourd'hui, il s'apprête à partir. « J'ai hâte de rentrer, mais ici, on s'est vraiment bien occupé de moi. » Cette unité spécialisée a ouvert le 29 janvier dans le centre de gérontologie du Kremlin-Bicêtre pour « éviter les complications liées à l'hospitalisation et ramener le patient à un maximum d'autonomie », explique Christiane Verny, la responsable du service.

Mauvaise réputation

Dans cet espace initialement prévu pour une maison de retraite, douze lits peuvent accueillir des personnes âgées venues des urgences ou hospitalisées sur les conseils de leur généraliste. Arthrose, épilepsie, syncope, malaise sur fond d'Alzheimer, les aînés sont admis pour des pathologies très diverses et plus ou moins graves. Ils restent à l'UGA aussi longtemps que nécessaire, avant d'être transférés dans le centre de long et moyen séjour de l'autre côté du bâtiment, pour leur convalescence, ou de rentrer chez eux. Malgré un accueil attentif, « la gériatrie a en général mauvaise réputation, reconnaît Julien Lagrandeur, interne à l'UGA. Ces services passent pour des mouroirs, alors qu'ils apportent vraiment quelque chose : les personnes âgées y sont mieux traitées que dans les services généraux. »

Sept chambres, un salon et un poste de soins se suivent dans des locaux flambant neufs. Au bout du corridor, Julien explique à Bernadette, 76 ans, qu'elle est épileptique. « C'est à nous de faire un diagnostic et d'élaborer une démarche thérapeutique. » Avant d'être affilié à l'UGA, cet interne de 27 ans travaillait déjà au centre de gérontologie, mais en long et moyen séjour. « Là-bas, c'est plutôt du suivi et de la rééducation. Ça demande moins de raisonnement médical. » La manière de travailler diffère, les conditions de travail aussi. « Dans le centre de long et moyen séjour, précise Sabine Bastard, infirmière, chaque infirmière est en charge de 35 patients. Les tâches ne sont pas les mêmes, mais en tout cas, ici, on a plus de temps. On peut vraiment prendre le patient en charge de A à Z. »

Les règles de l'art

À l'UGA, l'infirmière et l'aide-soignant, toujours en binôme, ont six patients à leur charge. « Ça permet souvent de travailler dans les règles de l'art, dans le respect de la personne », estime Sandrine Cohen, infirmière et ancienne auxiliaire puéricultrice. « L'avantage, ajoute Karim Bendris, aide-soignant, c'est aussi que j'apprends beaucoup au contact de l'infirmière, et je peux être sollicité sur des soins techniques. » Ce matin, depuis le début du service à 6 h 45, Sandrine Cohen est en binôme avec David Bellorophon. Après avoir fait les bilans, pratiqué des soins, donné des médicaments, et s'être occupés d'une urgence, ils changent les pansements d'un homme qui respire à travers un masque. Le malade semble prostré. « Ce monsieur ne communique plus depuis quelque temps, déjà quand il était à la maison de retraite », explique Sandrine. Elle lui caresse les cheveux. « Comment ça va aujourd'hui ? » lui demande-t-elle doucement. Après sa toilette, le patient est réinstallé dans son lit, à l'aise et bien bordé.

Pas d'acharnement

Comme la plupart des 18 infirmières et aides-soignants de l'UGA, Sandrine, David et Karim sont fraîchement sortis de l'école. Avant d'intégrer cette unité, ils ont travaillé dans le centre de long et moyen séjour du service de gérontologie, et suivi une formation avec le reste du personnel soignant. Deux praticiens hospitaliers, un kinésithérapeute, un ergothérapeute, un psychomotricien, un interne, trois externes, une assistante sociale, une cadre de santé, un psychologue, un psychiatre et une secrétaire médicale travaillent à l'UGA, pour un encadrement médical le plus complet possible. Et pourtant, il est parfois difficile de « tout gérer, le suivi des patients et les urgences, tout ça, en un laps de temps très court », souffle Sandrine.

Aujourd'hui, par exemple. Dans la chambre d'en face, Gérard « décline ». Il est soigné pour des difficultés respiratoires, mais « refuse d'être traité pour ses autres pathologies », explique Nathalie Schwal, cadre de santé. « Le but est de rester cohérent avec les souhaits qu'il a formulés », poursuit-elle. Pas d'acharnement thérapeutique. « Il a souhaité rester éveillé. Il semble attendre sa famille », devine le Dr Béatrice Gonzales. Avec des gestes doux, l'infirmière et l'aide-soignant le réinstallent dans une position confortable, replacent son masque, tentent de soulager sa douleur. A l'UGA, on gère aussi la fin de vie : « La gériatrie est une prise en charge globale, un accompagnement jusqu'au bout, quelle que soit l'issue », explique Béatrice Gonzales.

Il est 11 h 45, le petit déjeuner s'organise. Café et tartines. Avant de servir les déjeuners et de repartir pour une tournée de soins, la pause est de courte durée. Mais les soignants n'abandonnent jamais leurs patients. « On a la chance d'avoir une équipe motivée, se réjouit Nathalie Schwal en finissant son café. Spontanément, les infirmières et aides-soignants se sont privés de leur poste de radio pour le mettre dans la chambre d'une dame en soins palliatifs. Ils se sont dit que la musique pouvait aussi l'apaiser. »

Rester disponibles

Ces malades que l'on doit laisser partir, et les autres que l'on arrive à sauver, le personnel en discute dès que nécessaire, mais aussi lors d'une réunion hebdomadaire, le vendredi, à 14 h. Alors que l'équipe de l'après-midi arrive et lit les transmissions, tout le monde se rassemble au poste de soins. Déplacements, permissions, entrées et sorties, suivi personnalisé de chaque patient : les cas sont décortiqués et chaque membre de l'équipe peut s'exprimer. Aujourd'hui, le sujet des places supplémentaires annoncées d'ici à la fin de l'année est abordé. « Si on a trois lits en plus, sans création de postes, on sera forcément moins disponibles », s'inquiète Karim. Ses confrères sont d'accord. Initialement, l'UGA devait doubler ses effectifs et sa capacité d'accueil au bout de deux ans. « Nous voulons tous continuer à travailler dans de bonnes conditions, nous nous sentons tous concernés, et nous ferons au mieux », rassure la cadre de santé.

« Dur pour tous »

Sur la soixantaine de patients admis depuis l'ouverture, cinq d'entre eux sont décédés, dont trois cette semaine. « On dit toujours qu'on n'a pas le temps de s'attacher, mais ce n'est pas vrai. Et c'est dur de voir la famille », lance Alexandra Prouhet, infirmière. À côté d'elle, une vieille dame qui ne voulait pas rester dans sa chambre écoute distraitement la réunion en lui tenant la main. De l'autre côté de la table, Sabine craque. Un de ses patients est décédé en réanimation sans qu'elle puisse intervenir. « C'est dur pour nous tous », la console Béatrice Gonzales. Ce conclave est aussi l'occasion de remonter le moral des troupes, de se serrer les coudes. « Les personnes âgées nous apportent beaucoup, observe le jeune docteur. Mais nous sommes là pour soulager les gens, pas nos consciences, ni celles des familles. C'est le patient qui doit être au centre de toutes nos démarches. »

La famille jusqu'au bout

Dans le couloir, Albert est sorti pour attendre son gendre et sa fille, qui viennent le chercher. Sa pathologie est lourde. Avec les trente kilos qu'il a perdus suite à l'opération, son costume sombre flotte un peu autour de lui. Son pronostic vital est engagé, mais il lui reste beaucoup de choses à partager avec sa famille. Sa fille qui est « si gentille ». Son petit-fils qui se marie en juin. Sur sa chaise, Albert taquine les infirmières qui passent. Elles le lui rendent bien. Entre deux plaisanteries, il se réjouit : « C'est important que les infirmières soient gentilles. C'est grâce à ça que le malade respire. »

1- Certains prénoms ont été modifiés.