Passage de témoins

la mémoire des anciens, repère pour les nouvelles générations ? Anne Petroff, 83 ans, veut faire parvenir aux jeunes les récits des personnes âgées placées dans les différentes maisons de retraite de la région d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).

de bréat à aix

Quand l'idée lui vient, Anne Petroff n'est ni arrière-grand-mère, ni même grand-mère. En 1972, elle part se promener quelques jours sur l'île de Bréat (Côtes d'Armor), et passe devant une maison de retraite tenue par des religieuses. Elle demande à l'une des soeurs si elle peut rencontrer les pensionnaires, et pénètre dans une salle où attendent une douzaine de grabataires, allongés sur leur lit, qui ne répondent pas à son bonjour. Mais dès le lendemain, quand elle revient, ils se montrent plus bavards et commencent à lui raconter leurs histoires : « J'ai entendu les récits de vie passionnants et bouleversants de gens qui allaient disparaître. J'ai décidé de faire quelque chose... »

En rentrant à Paris, elle rédige un projet. Celui-ci reste en sommeil pendant vingt ans, jusqu'à ce qu'Anne Petroff crée son association et commence les enregistrements. Au départ, il s'agit d'envoyer des enfants scolarisés en ville partir à la rencontre de personnes âgées isolées dans la campagne aixoise ; puis elle les fait travailler sur les métiers et l'histoire des personnes âgées : sourcier, juge des enfants, pâtissier, détenu du camp d'internement des Milles pendant la Seconde guerre mondiale, ouvrier de la manufacture d'allumettes... « Sur la fabrique d'allumettes, transformée depuis en médiathèque, confie Anne, on a organisé une grande exposition avec un lycée professionnel et des écoles primaires. Pour les aînés, cela a été une revanche de voir enfin leur investissement professionnel valorisé. »

bulle de silence

Lors de ces rencontres, les plus âgés retrouvent leur rôle de premier pédagogue : « Le contact avec les jeunes les sort de leur bulle de silence, leur redonne une curiosité des autres, réactive certains processus psycho-physiologiques, comme l'appétit, le sommeil, la mémoire, la formulation... Tout recommence à fonctionner dès que les personnes se racontent. » Pour les jeunes, c'est l'occasion de trouver des repères. Aucune consigne ne leur est donnée, les questions ne sont pas préparées au préalable : c'est la rencontre qui prime. Le choix de l'audio plutôt que de la vidéo a été pensé : « Les enfants sont submergés d'images ! Je veux qu'ils réfléchissent à ce qui leur est dit. » En classe, les cassettes sont étudiées avec les enseignants.

« Générations arc-en-ciel » a organisé pendant plusieurs années le « Festival de la mémoire neuve » : des journées portes ouvertes dans chaque maison de retraite. Chaque « témoin raconteur » s'est fait remettre le « livre de sa vie ». Aux collégiens et lycéens, Anne Petroff demande aussi de faire parler les anciens des « sons » de leur jeunesse : la marchande de fromages ou le rémouleur criant dans la rue, le bruit des sabots battant le pavé... Elle a aussi fait enregistrer un CD où jeunes et aînés racontent tour à tour leur environnement sonore : « C'était formidable de voir les personnes âgées inciter les enfants à reprendre avec elles des airs de Maurice Chevalier ! »

bibliothèque sonore

Anne Petroff souhaite valoriser et sauvegarder ces précieux recueils d'information, en faisant décrypter ses cassettes avec précision et en conservant tournures de phrases et fautes de français. Elle aimerait donner une seconde vie à ces documents, afin qu'ils soient utilisés par les futures générations d'enseignants, de chercheurs et d'élèves : « Pourquoi ne pas créer une bibliothèque sonore, où tous ces trésors socioethnologiques seraient classés, prêts à servir de supports pédagogiques et à remplacer une page de livre d'histoire ? »