À la recherche du nouveau don - L'Infirmière Magazine n° 229 du 01/07/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 229 du 01/07/2007

 

Greffe d'organes

Éthique

Aux Pays-Bas, une chaîne de télévision n'a pas hésité à recourir au canular pour appeler les téléspectateurs au don d'organes. En France, la question est abordée plus sereinement.

Rappel des faits. Le 1er juin, la chaîne de télévision néerlandaise BNN diffuse en première partie de soirée The Big Donor Show. Lisa, une femme de 37 ans, atteinte d'un cancer en phase terminale, devait dans les toutes dernières minutes de ce « grand spectacle du donneur » choisir parmi trois candidats celui digne, au vu « de son parcours de vie », de recevoir à terme ses deux reins - fumeurs et chômeurs s'abstenir... Les téléspectateurs étaient invités à aider la jeune femme à choisir en votant par SMS. Peu avant le dénouement, coup de théâtre : l'animateur révèle aux téléspectateurs qu'il s'agit d'un canular dont l'objectif était de sensibiliser le grand public à la pénurie de greffons dans le pays. La Fondation néerlandaise de transplantation s'est insurgée contre cette initiative qu'elle a jugée scandaleuse. Un vif débat s'est aussi engagé au Parlement des Pays-Bas. Des milliers de Hollandais se sont manifestés pour s'informer sur les modalités du don d'organes.

le dire sereinement

« Parler du don d'organes n'est pas une démarche aisée, car elle renvoie chacun à sa propre mort ou à celle d'un proche. Pourtant, bien que notre société tente par tous les moyens de gommer la mort de son quotidien, c'est bien de cela qu'il s'agit. On ne peut pas, en effet, estimer formidable d'effectuer des greffes d'organes sans s'interroger sur leur provenance, ni accepter de recevoir sans donner, explique Renaud Gruat, anesthésiste réanimateur, coordonnateur général du réseau nord-francilien de prélèvements d'organes et de tissus et président de l'Espace éthique du centre hospitalier René-Dubost (Val d'Oise). Je ne suis pas pour une communication choquante sur ce sujet : on peut dire la vérité sans heurter. Il est important que chacun puisse nourrir sa réflexion afin de se positionner sereinement. »

La journée nationale de réflexion sur le don d'organes et la greffe, le 22 juin, met cette année l'accent sur cette dimension et invite chacun à dire à ses proches s'il désirerait ou non faire un don d'organes. Mais quoi que l'on fasse, prévient Renaud Gruat, « la tension entre offre et demande sera toujours présente puisqu'on transplante aujourd'hui des personnes qui, il y a encore 10 ou 15 ans, ne l'auraient pas été ».

Pour le Pr Sadek Beloucif, membre du comité d'orientation de l'Agence de la biomédecine, l'indifférence de la société française après l'émission hollandaise prouve sa grande sagesse. « Le don d'organes, qui s'inscrit dans un contexte émotionnel extrêmement fort, ne doit pas succomber aux instincts les plus bas. En France - et cette notion est essentielle -, la philosophie morale du droit pose comme principe que "nul ne peut consentir pour autrui". Les familles ou les proches d'un donneur potentiel ne sont donc pas sollicités pour accepter ou refuser un don d'organes, insiste le professeur, mais pour se faire l'expression de la volonté de la personne. »

TÉMOIN France Roussin

« Pas de greffe sans don »

« Mon travail consiste à sensibiliser les professionnels des services de réanimation et à entamer un dialogue avec les familles et proches de donneurs potentiels, explique France Roussin, infirmière coordinatrice de dons d'organes, à l'hôpital Saint-Louis (Paris). Par ailleurs, je suis membre d'un groupe de travail sur l'approche culturelle du don et je remarque que d'un établissement à l'autre nous ne sommes pas confrontés aux mêmes problématiques. Pour moi, l'évolution la plus notable au cours des dix dernières années est l'incursion de la dimension religieuse dans la décision des proches. L'intégrité du corps, qui revêt un caractère sacré dans les grandes religions monothéistes, motive souvent le refus de don. Cette posture est plus sensible au sein de la communauté musulmane qui compose une part importante de notre file active. Je pense qu'une réflexion devrait s'ouvrir avec les représentants des communautés religieuses, car il ne peut y avoir de greffe sans don. Et même si le taux de refus reste stable, la demande, elle, ne cesse de croître. »