Au quart de tour - L'Infirmière Magazine n° 229 du 01/07/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 229 du 01/07/2007

 

Sylvie Lottin

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Quand un coureur chute, chaque seconde compte. Ex-cycliste de haut niveau, Sylvie Lottin est l'unique infirmière du staff médical du Tour de France. Établie en libéral, elle continue de s'entraîner quotidiennement pour garder ses réflexes. Pendant 50 jours, elle vit au rythme de la grande boucle.

L es klaxons retentissent, des hourras s'élèvent, la caravane publicitaire file. Partout, l'ambiance est à la fête. Mais Sylvie Lottin reste calme, imperturbable. Avec une des six ambulances du Tour de France et son équipier du jour, elle est postée à la sortie d'une des communes traversées ce jour-là par les 200 coureurs. L'étape de ce 8 juillet 2006, entre Saint-Grégoire et Rennes (Ille-et-Vilaine), est un « contre la montre », exercice généralement assez reposant, vu le risque de chute limité. Mais l'infirmière du staff médical du Tour est vigilante : « On n'est pas en vacances ! »

tout peut arriver

En effet, à tout moment, tout peut arriver. Il y a quelques heures, un coureur américain a chuté, mordant un rond-point d'un peu trop près : fracture d'un scaphoïde et évacuation vers l'hôpital le plus proche. Sylvie, seule infirmière de l'équipe dirigée par le docteur Gérard Porte, ne figurait pas dans le binôme qui est intervenu.

Mieux vaut rester concentré : après une chute, chaque minute est précieuse. Sous l'oeil des caméras, du public et du directeur sportif concerné, le soignant doit accomplir les bons gestes et agir vite. A fortiori quand le cycliste est une pointure comme Alejandro Valverde. Le 4 juillet 2006, le Tour est de passage aux Pays-Bas. L'Espagnol tombe. « Il a fallu un cordon de gendarmerie pour pouvoir s'en occuper, tellement les photographes voulaient à tout prix l'image du maillot jaune à terre », raconte Sylvie. Avec une fracture de la clavicule droite, la course se termine pour lui. Sylvie l'évacue.

passion et acrobaties

Avec ses collègues, les sept médecins, la kinésithérapeute-ostéopathe et les ambulanciers, l'infirmière doit prendre en charge, en plus des 200 coureurs, les 4 000 personnes qui accompagnent la course à bord de 230 véhicules, sans oublier les foules impressionnantes amassées le long des 3 500 kilomètres parcourus par le peloton. Au cours de l'édition 2005, Sylvie avait dû intervenir auprès d'une spectatrice tombée au passage de l'ambulance. « Je l'ai perfusée, puis les pompiers ont pris le relais », explique cette dernière.

Inutile de préciser que l'équipe rémunérée par la société organisatrice du Tour de France est composée de passionnés... Qui d'autre accepterait de vivre de l'intérieur cette course folle pendant trois semaines et demie ? Qui d'autre prendrait sur son temps de vacances pour faire l'acrobate, assis sur le rebord d'un cabriolet lancé à vive allure, le buste sorti et tendu pour soigner la plaie d'un cycliste en plein effort ?

« ballon d'oxygène »

Pour Sylvie Lottin, 44 ans, l'univers de la course, c'est, « une bulle de passion », « un ballon d'oxygène ». Et même, un retour aux sources : cette Lavalloise a eu une véritable carrière de sportive avant d'entamer celle d'infirmière. « J'ai pratiqué le cyclisme de haut niveau pendant dix ans », explique-t-elle. Son palmarès en témoigne : 70 victoires régionales ! Puis, pour rester dans ce milieu qu'elle côtoie de près depuis 1978, Sylvie est devenue masseuse. Elle travaille alors au sein d'équipes professionnelles, puis pour l'équipe de France cycliste pendant sept ans.

Son diplôme d'État en poche, c'est tout naturellement qu'elle rejoint le staff médical, en 1997. Pour la société organisatrice du Tour, elle suit également d'autres grandes courses : Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège, la Flèche wallonne, Paris-Nice... Mais, comme la saison ne dure pas toute l'année, Sylvie doit exercer autrement. Après avoir travaillé en hôpital et en entreprise, elle s'est installée en libéral en 2004 à Chambéry (Savoie).

un tour de magie

Une cinquantaine de jours par an, elle quitte sa clientèle et les soins à domicile. Et n'oublie jamais d'envoyer une carte postale à certains de ses patients. « Pour ceux qui sont contraints de rester chez eux, c'est une fenêtre sur l'extérieur. Infirmière est un métier qui permet de faire plein de choses. C'est important pour moi de mixer les activités. Et puis, c'est tellement magique de venir sur le Tour ! »

l'entraînement du soignant

Suivre la course ainsi est une épreuve physique. Pour Sylvie Lottin, c'est la décharge d'adrénaline assurée. Et la tension de l'urgence renvoie probablement à l'excitation du sportif quand il est sur le point de franchir un col en tête. D'ailleurs, la préparation que s'impose Sylvie ressemble fort à celle d'un sportif.

Tous les matins, elle consacre une heure, y compris pendant le Tour de France, à la course à pied. Le vélo tout terrain fait partie aussi de son entraînement. Et, parallèlement à son activité de libérale, elle accompagne les pompiers comme infirmière. « Cette pratique du secourisme est importante, précise Sylvie. Surtout, bien effectuer un relevage est essentiel, on a souvent affaire à un coureur avec des fractures. »

Mais, au-delà de l'urgence inhérente à la compétition, la petite touche apportée par l'équipe, à commencer par Sylvie, est la proximité avec les coureurs. Au cours de la saison, de mai à octobre, on se croise souvent. Sur le Tour de France, entre 10 et 15 cyclistes viennent voir les soignants chaque jour. Il peut s'agir de refaire un pansement, mais aussi de problèmes digestifs ou pulmonaires, qui sont qui sontquisouvent les tout premiers signes annonciateurs de fatigue.

« Pendant la course, nous encourageons beaucoup ceux qui sont lâchés, explique l'ex-championne. Mais, là où il faut faire preuve de psychologie, c'est quand on veut qu'ils montent dans l'ambulance. En effet, cette décision signifie l'abandon. La plupart du temps, c'est dur de les convaincre. » Dans cette situation, il faut être prompt à trouver les mots justes. D'où l'importance d'avoir le langage du cyclisme en commun.

moments clés

- 1978 : débute le cyclisme

- 1997 : obtient son diplôme d'État et rejoint le staff médical sur des grandes courses

- Jusqu'en 2001 : travaille en réanimation à l'hôpital européen de la Roseraie (Aubervilliers)

- 2001 : travaille en tant qu'infirmière en pneumologie, dans une entreprise

- 2003 : premier Tour de France comme infirmière

- 2004 : s'installe en libéral à Chambéry