École, tableau clinique - L'Infirmière Magazine n° 229 du 01/07/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 229 du 01/07/2007

 

exercice professionnel

Dossier

En milieu scolaire, les soignants ont un contact privilégié avec l'enfant et l'adolescent. Mais la pénurie complique leur mission.

«Des sous, des postes »... Le mot d'ordre entonné par les professionnels de santé à l'école a-t-il été entendu ? En 2003, Xavier Darcos, alors ministre délégué à l'Enseignement scolaire, impulsait une politique de partenariat entre professionnels de soin et éducateurs, pour favoriser la réussite des élèves. Depuis, on se préoccupe davantage de la santé du jeune à l'école, mais les moyens nécessaires ne sont pas encore là. Dans une configuration de pénurie de personnel médical, c'est à l'infirmière de faire valoir sa place unique d'éducatrice de santé, pour garantir une qualité d'écoute et un respect de la confidentialité.

Du côté des infirmières, le rapport annexé à la loi Fillon - avec valeur d'obligation - prévoit 1 500 créations de postes, étalées sur cinq ans. Pour la seconde rentrée consécutive, 300 postes ont été effectivement créés, soit, en deux ans, les deux cinquièmes du « plan de rattrapage ». Mais ces efforts ne suffisent pas à couvrir les besoins (lire encadré p. 7), aggravés par les massifs départs à la retraite de ces dernières années : « Dans ces conditions, affirme Christian Allemand, secrétaire général adjoint du Snics, la transmission des connaissances, indispensable dans ce métier de "savoir-être", ne peut que se faire difficilement. »

Colère des médecins

Du côté des médecins de l'Éducation nationale, c'est la colère. Une pétition est en ligne depuis plusieurs mois sur les sites Internet de plusieurs syndicats(1) pour protester contre la diminution des moyens : en 3 ans, 46 % des crédits de vacation ont été supprimés. Ces restrictions alourdissent encore le déficit chronique de personnel : « Avec la lutte contre l'obésité des jeunes, nos missions se renforcent considérablement, relève par exemple le Dr Anne Viallat, secrétaire générale du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires Unsa Éducation, à l'occasion d'une manifestation organisée à la rentrée 2006. Les demandes du milieu scolaire sont très importantes. Nous ne pouvons pas faire face en l'état actuel des choses. Dans certains endroits, on ne compte même pas un médecin pour 10 000 élèves. Sur le plan national, la pénurie de postes contraint chaque médecin à suivre 7 800 enfants en moyenne. »

Les médecins assurent les bilans de santé, la prévention individuelle et le recueil épidémiologique, élargi au dépistage précoce des troubles du langage. Autre mission importante, ils apportent leur expertise technique dans les établissements scolaires en favorisant la scolarisation des enfants en situation de handicap ou de maladie chronique : projet d'accueil individualisé, équipe de suivi de scolarisation, projet personnalisé de scolarisation, avis à l'équipe pluridisciplinaire et à la commission des droits et de l'autonomie dans le cadre de la maison départementale des personnes handicapées, selon la loi du 11 février 2005. L'une des craintes des médecins quant aux conséquences des coupes drastiques d'effectifs est qu'ils ne puissent plus effectuer systématiquement la « visite médicale des 6 ans », l'un des temps forts et obligatoires de leur année scolaire professionnelle. « Cette visite, rappelle Marie-Noëlle Jarzebowski, médecin coordonnateur du XIXe arrondissement de Paris, permet de faire le point de façon approfondie sur la santé de l'enfant. Les parents sont généralement présents, l'examen dure 45 minutes, une attention importante est portée au langage et à la motricité. On s'est fixé des priorités : puisque l'on examine un enfant à l'école, c'est l'occasion de vérifier si tout se passe bien pour lui. »

« Repérage enseignant »

Le deuxième rapport annuel remis en décembre 2006 par l'Observatoire national de l'enfance en danger (Oned), dans le cadre de la loi sur la protection de l'enfance, conclut également au manque de médecins. Certains d'entre eux indiquent ne pouvoir effectuer que 85 % des bilans des 6 ans. Plusieurs inspecteurs d'académie ont ainsi demandé par courrier aux enseignants de maternelle de procéder à « un repérage des besoins en matière de santé des élèves en grande section de maternelle ». Ce repérage s'appuie sur des données fournies par l'enseignant, éventuellement aidé du Réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), au travers d'un questionnaire intitulé « Repérage enseignant ». Selon le même courrier, ce bilan « sera complété d'un examen médical avec les parents chaque fois que le médecin scolaire le jugera nécessaire ».

Fin décryptage

Dans ce contexte, on comprend combien le rôle de l'infirmière, qui reçoit les élèves à la demande, devient crucial. Soins ponctuels, mise en place de suivi en cas de symptômes répétés, repérage éventuel d'autres indicateurs, ses missions sont variées, intéressantes, complexes. « Même quand ils sont nonchalants et goguenards, ils ne se désintéressent pas de leur scolarité et de leur avenir, remarque Béatrice Gaultier, en poste à Rennes. Je crois en la prévention. Il est évident que, dans la communauté enseignante et éducative, tout le monde ne s'implique pas à l'identique, mais il suffit que certains le fassent pour que le travail soit possible. » Décrypter le double langage des jeunes demande beaucoup de finesse. Des maux de tête à répétition, un corps qui change trop vite, la principale cause de venue à l'infirmerie est souvent plus ou moins directement liée à la puberté.

« C'est l'âge où ce qui se vit dans l'environnement de l'ado s'exprime par le corps, observe Élisabeth Pesquet, infirmière en ZEP zone sensible dans le quartier du Mirail, à Toulouse. La plainte somatique est la première accroche, à l'instar de la transgression de la règle chez le CPE ou des problèmes sociaux chez l'assistante sociale... Derrière un mal de ventre persistant se cache peut-être une dispute avec l'ami, l'amoureux, le parent. Notre travail est de relier la cause à l'effet. » Des questions simples, parfois naïves. La plupart du temps, le jeune va bien mais cherche à se rassurer : « Il a parfois juste besoin d'exprimer des choses simples sur des sensations qui l'envahissent et qu'il prend très au sérieux. » Manquant d'outils théoriques sur le développement pubertaire de l'enfant et de l'adolescent, Élisabeth Pesquet a passé, il y a cinq ans, un diplôme universitaire de sexologie et de santé publique. Elle est aujourd'hui enseignante et coordinatrice de ce DU, et formatrice au rectorat de Toulouse sur l'éducation à la sexualité pour les équipes éducatives.

Le meilleur et le pire

Un travail de fourmi, pourtant peu reconnu du côté des ministères : « On souffre d'une image poussiéreuse : l'infirmière, c'est encore cette dame qui donne des comprimés, lance Catherine Moine, en poste sur un collège et les classes primaires du secteur, dans une ZEP des quartiers nord de Marseille. Tout notre travail d'écoute auprès des enfants n'est pas assez perçu et compris. » Comment évaluer le travail mené dans les infirmeries ? Au nombre de signalements, d'attestations de formation aux premiers secours, de séances d'éducation à la santé ? Ce sont les seules statistiques communiquées au ministère : « une poussière au regard de notre travail réel ! » Le nombre de passages dans les infirmeries n'est consigné qu'au niveau du rectorat. Abattage d'entretiens et de séances ici, plein temps dans un collège en zone sensible là, le meilleur et le pire se vivent en fonction des moyens alloués : « J'ai parfois l'impression qu'on ne fait pas le même métier, ironise l'une d'elles, tant les conditions de travail peuvent différer d'un poste à l'autre. »

Libre parole

Se rendre à la fois disponible, au quotidien, pour chaque élève, et aller à leur rencontre dans les classes, cela demande à l'infirmière un long travail préalable de contact avec les enseignants et de réflexion sur les besoins des élèves : « Nous sommes attentifs aux demandes et aux attentes des élèves quant aux choix des thématiques, affirme Isabelle Duponteil, à mi-temps sur une cité scolaire. Et nous servons de relais : lors d'une intervention en classe, les questions personnelles ne peuvent pas toujours être posées. À nous, ensuite, de nous montrer disponibles et à l'écoute pour que le jeune puisse s'autoriser, dans l'intimité d'un entretien, à poser ces questions. »

« Émotions bouillantes »

L'intervention auprès des élèves se doit d'être pensée : « Arriver parachuté en classe, sans avoir préparé le terrain, pour une séance sur le tabac ou la sexualité, sans lien avec les apprentissages, n'apporte rien, ni à l'élève, ni à l'enseignant, qui doivent y voir leur intérêt, martèle Élisabeth Pesquet. Nous sommes infirmières de l'Éducation nationale et toutes nos actions doivent tendre vers les apprentissages de l'enfant. » Les enseignants réalisent très vite le bienfait de cette éducation, ouvrant un espace d'expression aux sensations et aux émotions bouillantes des adolescents. « Elle apaise la tentation de passage à l'acte, qui se produit quand on est débordé par ces sensations et qu'on ne parvient pas à mettre des mots ou des pensées dessus, poursuit Élisabeth Pesquet. Lorsqu'un ado est en émoi et attiré par une fille, difficile pour lui de se concentrer sur le cours ou de ne pas éclater si le prof le rappelle à l'ordre ! » La régulation qu'offre ces lieux d'expression autour de la sexualité est bénéfique pour tous : « Les enseignants viennent nous chercher, parce qu'ils savent que cela calme leurs élèves. »

Théâtre interactif

L'expérience aidant, chaque infirmière trouve sa voie dans des initiatives originales. À Rennes, Béatrice Gaultier a fait le choix des petits effectifs. En seconde, tout au long du premier trimestre, elle réunit les élèves par groupes de dix, non mixtes, pour une séance d'éducation à la sexualité où elle remet à niveau les connaissances et présente les ressources périphériques (planning familial, associations). « Ce travail de longue haleine me permet de nouer des relations privilégiées favorisant un suivi de qualité. » À Avignon, Carine Revire, en poste en lycée avec internat, navigue entre l'individuel et le collectif. Le petit effectif (63 filles) de l'internat lui permet de répondre à une plus forte demande de ces élèves un peu isolées, loin de leur famille, nécessitant un personnel d'encadrement très présent (les études statistiques montrent que les internes passent trois fois par an à l'infirmerie contre une fois pour les autres) : « Je suis là le soir au moment du repas, je les suis quand elles sont en traitement, écoute leur vague à l'âme ou leurs joies... » Côté travail collectif, Carine Revire, en tant que coordonnatrice du comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté, recrute des intervenants sur les différents sujets plébiscités. Elle a ainsi fait venir une compagnie de théâtre interactif, un outil très apprécié : « Les enseignants ont préparé leurs classes pour le jour de l'action, portant sur les substances psychoactives et la sexualité, le rapport à l'autre. Les élèves ont bien réagi, se sont montrés impliqués et dynamiques, pas timides, lors de saynètes mettant en scène leur quotidien : qui doit conduire à la sortie de boîte, la consommation d'alcool et de tabac à la maison par les adultes, la difficulté d'aborder la sexualité et de mettre un préservatif, le test de grossesse et de dépistage... C'est plus simple qu'un débat où ils restent en retrait parce qu'ils ne sont pas - ou qu'ils sont au contraire trop concernés. »

Autour des origines

Donnant un réel sens au travail d'équipe, les infirmières s'emploient à intervenir en concertation avec les enseignants. Béatrice Gaultier a ainsi répondu à la demande d'une prof en classe de sciences économiques, lors d'un cours sur le marketing des boissons alcoolisées. « Lorsque l'on travaille tous ensemble, reconnaît-elle, on parvient à accompagner le jeune dans ses passages difficiles. Chacun, dans son domaine de compétences et de responsabilités, oeuvre transversalement pour la bonne santé et le bien-être de l'élève. » Pour la rentrée prochaine, Élisabeth Pesquet monte un projet avec une enseignante d'histoire-géographie, pour des 4es d'insertion, autour des origines, de l'arbre généalogique, de la place de chacun dans le quartier... Une idée adaptée à l'établissement, qui compte 33 nationalités différentes ! L'enseignant et l'infirmière font intervenir une somatothérapeute dans les séances : « Dans ce type de classe, avec de petits effectifs et un programme moins chargé, on peut innover car la pression liée aux résultats se fait moins forte. On a affaire à des enfants blessés, qui ont un parcours chaotique. C'est un peu le même travail qu'avec des enfants handicapés : seul compte le chemin parcouru, le processus et les progrès. Je pense qu'on devrait être dans la même dynamique pour tous. L'adolescence est une période d'apprentissage où l'on doit accompagner le jeune qui se repositionne, reprend possession de son être, de son corps, de son mental... »

Bouc émissaire

Dans cet établissement, l'infirmière est fortement associée aux commissions de veille interne, où toute l'équipe se réunit autour de cas d'enfants confrontés à de gros problèmes scolaires ou de comportement : « On croise les regards et on envisage ensemble des solutions. Pour nous, ce sont des lieux de mise en parole et de remise en confiance, car parfois, on doute, on ne sait plus qui fait quoi, on s'emmêle ! Cela nous permet de nous interroger sur nos pratiques. L'autre jour, on a ainsi repéré qu'un élève devenait un bouc émissaire. Tous ensemble, on a réfléchi aux modes d'action. »

1- Site Internet de la pétition : http://www.medscol.com/signez.php.

lycées agricoles

DES ÉLÈVES RELAIS

Florence Amalvy, infirmière au lycée agricole Agropolis(1) de Montpellier (Hérault), a mis en place une action originale de prévention par les pairs. Elle est partie du constat que les jeunes venus se confier sur des situations douloureuses en avaient toujours parlé à un camarade auparavant. « Et puis l'expérience m'a montré que les actions de prévention classiques ne satisfont généralement pas les élèves, puisque nous ne leur parlons que de situations à risque, de dangers ! Il n'est pas étonnant qu'ils les rejettent alors qu'ils sont dans une période de fragilité... »

Avec l'association de prévention des risques liés à la sexualité Aparsa, elle a alors l'idée de proposer à des élèves de devenir « jeunes relais », intermédiaires entre les lycéens et les adultes. Deux demi-journées de formation sont d'abord proposées aux délégués, puis d'autres élèves manifestent leur souhait de participer. Chaque année, l'équipe se reconstitue avec de nouveaux élèves qui choisissent de s'investir dans de nouvelles initiatives encadrées par les adultes : journée de sensibilisation sur le « Vivre ensemble », et depuis l'an dernier, un blog(2) où les jeunes peuvent poser des questions taboues en toute confidentialité.

1- Environ 170 infirmières travaillent dans les lycées agricoles.

2- http://jeunesrelaisagro.skyrock.com.

infirmières

15 MILLIONS DE VISITES

À l'Éducation nationale, près de 6 600 infirmières accueillent, écoutent et soignent, tous les jours, les élèves des 8 300 collèges et lycées, des 55 000 écoles, ainsi que les 2 millions d'étudiants. Au total, chaque année, près de 15 millions d'élèves et étudiants viennent, de leur propre initiative, les consulter tant pour des soins « techniques » que des soins relationnels ou des conseils en santé.

40 % de ces élèves se présentent pour des demandes d'écoute, 30 % pour des demandes de soins et petits traitements et 16 % pour des demandes de conseils en santé. Ces mêmes infirmières conçoivent, élaborent et mettent en oeuvre plus de 150 000 séances d'éducation à la santé, dont plus de 55 % avec les enseignants de leurs établissements, ce qui représente près de 14 millions d'élèves bénéficiaires de séquences d'éducation à la santé menées par les infirmières, et plus de 36 000 heures d'intervention.

communication

PAS DE « SECRET PARTAGÉ »

Seule professionnelle de santé dans l'univers scolaire, l'infirmière a parfois du mal à faire respecter le caractère intangible du secret professionnel. Ses collègues estiment souvent que dans l'intérêt de l'enfant, on devrait tout partager : « Mais la notion de secret partagé n'existe que dans le cadre de continuité de soin, note Christian Allemand. C'est la logique de communication de l'hôpital, mais pas de l'école. L'approche holistique du soin infirmier appelle à un climat de confiance, afin que le jeune puisse se livrer dans son intimité. Un mal de tête ou de ventre cache souvent un autre problème. Intrigué, le prof ou le CPE envoie l'élève à l'infirmerie. Il ne résiste parfois pas à la tentation de la curiosité. De même que l'infirmière qui assiste au conseil de classe, peut demander à ce que soit nuancés tel jugement et telle décision sur un élève, lorsqu'elle connaît ses difficultés... Elle ne peut pas les expliciter, mais on doit la croire. » L'infirmière recevant les confidences d'un enfant ayant subi abus ou maltraitance fera son métier en lançant un signalement, mais ne pourra en livrer le contenu au chef d'établissement. Lorsque la fonction et la place de chacun sont respectées, soignants et éducateurs peuvent accompagner les difficultés d'un élève, aménager son temps à l'école et réfléchir au danger du travail en atelier pour un élève atteint d'un trouble.

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