La beauté cachetée du lait - L'Infirmière Magazine n° 229 du 01/07/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 229 du 01/07/2007

 

lactarium

Reportage

Collecte, examens, traçabilité... Tout au long de la chaîne, l'équipe du lactarium de Marmande, dans le Sud-Ouest, veille sur la qualité du lait destiné aux enfants fragiles.

C'est l'heure de la tétée pour Lola, 7 mois. Confortablement installée au creux du bras de Julie, sa maman, elle se nourrit du lait maternel sans se douter que ce breuvage va également servir à d'autres bébés : pendant que sa petite fille tète, Julie a appliqué un tire-lait sur son autre sein.

Simple mais utile

« Ma mère donnait son lait à ma naissance... J'ai fait don du mien dès mon premier enfant. C'est un geste simple mais utile qui peut sauver la vie d'enfants nés prématurément. » Lola s'endort. Consciencieusement, sa mère place le liquide dans un flacon qu'elle dépose dans le réfrigérateur. « Pas besoin de congeler ce biberon, Mireille doit passer aujourd'hui », précise Julie. Mireille, c'est l'une des 20 collectrices qui travaillent au lactarium de Marmande. Elles couvrent une quinzaine de départements du grand Sud-Ouest.

Mireille passe chaque semaine pour récupérer le lait auprès des mères. « Dans cette région rurale, nous pouvons faire des dizaines de kilomètres entre deux foyers, pour quelques flacons, reconnaît-elle, mais cela fait partie de la mission du lactarium. »

Les collectrices sont essentielles dans la « chaîne du lait ». Elles se rendent régulièrement dans les maternités pour rencontrer les nouvelles mères, à qui elles laissent une brochure présentant le lactarium. « Sans jamais insister, je leur explique cette démarche, quand cela n'a pas déjà été abordé par la sage-femme. Certaines font leur premier don ici dès leur première montée de lait, s'il y a excédent évidemment. Hélas, les jeunes mères restent de moins en moins longtemps à la maternité. Elles me contactent donc plus tard, une fois de retour à la maison avec leur bébé. »

Biberons et conseils

Le lactarium fournit le matériel, tire-lait et biberons. Et beaucoup de conseils ! La maman doit impérativement faire remplir par un médecin un questionnaire médical relativement strict qui permet d'écarter les mères représentant un risque potentiel : les personnes ayant été transfusées, par exemple.

27 % de déchet

Pour des raisons de coût, les examens sérologiques et biologiques ne seront effectués que lorsque la quantité de lait collectée aura atteint 800 ml. Le lait doit être d'une qualité sanitaire irréprochable. « On ne lésine pas sur les contrôles, insiste Patrice Piquet, le directeur du lactarium de Marmande. Nous ne prenons aucun risque. En 2006, nous avons traité 15 492 litres et en avons jeté 4 155 pour des raisons diverses : sérologie et bactériologie non conformes, acidité... Dès qu'il y a un doute, on détruit le don. Ce qui représente tout de même près de 27 % de déchet ! »

C'est seulement à partir de cette sélection que commence le processus de transformation. Marmande est l'unique lactarium français à produire du lait lyophilisé. Cet établissement, créé en 1955, dépend de la Croix-Rouge française.

Gratuité du don

À l'arrivée au lactarium, le lait est stocké en chambre froide à -30°C, le temps d'avoir les différents résultats sérologiques. Pour les nouvelles donneuses (et également tous les trois mois pour toute donneuse), un bilan sérologique est obligatoire.

Dans le laboratoire de coulage, chaque don est mis dans un sachet personnalisé (cf. photo ci-dessus). Pour les nouvelles donneuses (et tous les trois mois), un prélèvement part en bactériologie. Sont recherchés les staphylocoques dorés et d'autres bactéries spécifiques au lait. « Il peut y avoir diverses possibilités de contamination, précise Annick, technicienne de laboratoire. Par exemple, la maman a une crevasse à un sein qui s'est infectée. Ou bien une mauvaise manipulation ou un souci de congélation au domicile. Ce phénomène peut être expliqué à la mère qui corrigera ses pratiques ». Un contrôle permet également de repérer s'il n'y a pas eu, par erreur, mélange avec du lait de vache. Le don de lait est gratuit, ce qui élimine les risques de tricherie.

Après le retour des résultats des analyses bactériologiques, les sous-lots, qui ont séjourné au réfrigérateur à 4°C, sont versés dans des récipients en inox. Ces lots (numérotés), constitués du lait de 4 à 8 mères pour une quantité de 4,4 litres, sont ensuite mis en flacons de 220 millilitres, avant la pasteurisation à 63°C pendant 30 minutes, suivie d'une congélation en coquille. Un ultime test bactériologique sera effectué sur chaque lot avant la lyophilisation.

À Marmande, les stocks de lait sont variables. « Parfois, nos réserves ne permettent pas de répondre aux commandes. À d'autres moments, nous pouvons livrer le jour même, explique Patrice Piquet. Il y a un retour évident à l'allaitement, et donc au don de lait. »

Le lait de Marmande (qui représente 40 % des dons de lait en France) est ensuite envoyé dans tout l'Hexagone mais aussi dans les départements et territoires d'outre-mer. Le lait lyophilisé, produit médicamenteux, n'est pas seulement destiné aux bébés prématurés : « 75 % de notre lait est vendu aux hôpitaux, le reste est prescrit à des particuliers dont les enfants sont allergiques au lait de vache. »

Le prix du lait

La fabrication du lait lyophilisé a un coût. Les cent grammes sont vendus 106,11 euros. « Ce prix ne couvre pas les frais de fabrication, les contrôles et les analyses, précise le directeur. Nous aimerions que le ministère de la Santé, qui fixe le prix du lait, décide de l'augmenter. » En effet, tous les lactariums sont déficitaires.

Au bout de la chaîne, les flacons sont étiquetés et encartonnés. Un transporteur se chargera de la livraison. Le lait de Julie se retrouvera demain dans un hôpital à Strasbourg ou Ajaccio, où il aidera un autre petit enfant à vivre.