La vaccination en question - L'Infirmière Magazine n° 229 du 01/07/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 229 du 01/07/2007

 

sécurité sanitaire

Enquête

La vaccination obligatoire des soignants, notamment contre l'hépatite B, suscite des craintes, confortées par certaines décisions de justice. Le ratio bénéfice-risque plaide toutefois en sa faveur.

Pour soi ou pour les autres ? Auprès des professionnels de santé, et en particulier des soignants, la vaccination s'est imposée pour prévenir la transmission de maladies. Des patients vers les soignants, d'abord ; mais aussi en sens inverse, pour protéger les malades, qui souffrent déjà d'un état de santé fragilisé. « La médecine du travail consiste à faire en sorte que le travail ne soit pas pathogène pour l'homme », relève Louis Léry, président de l'Association nationale de médecine du travail et d'ergonomie du personnel des hôpitaux (Anmteph).

Se protéger soi-même

Si l'on en croit une étude publiée par l'InVS en décembre 2005 sur les raisons qui ont poussé le personnel des hôpitaux de Vichy et Montluçon (Allier) à se vacciner contre la grippe, la protection de soi arrive largement en tête (70 %), suivie par la protection des patients (22 %). Viennent ensuite les antécédents de grippe et la protection de ses proches.

Pour Marie-Line Lepori, médecin du travail au CHU de Nancy, c'est clair : « La vaccination des personnels est une priorité en milieu hospitalier », qui conditionne l'aptitude au travail. Et la réglementation est sans ambiguïté : depuis la loi du 19 décembre 2005, l'article L3111-4 du Code de la santé publique prévoit que les professionnels exerçant une activité « les exposant à des risques de contamination » en établissement de soin, de prévention ou hébergeant des personnes âgées « doivent être immunisées contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite ». S'y ajoute l'obligation générale de vaccination contre la tuberculose (article L3112-1 du Code de la santé publique).

Même obligation pour les étudiants qui font leur stage dans ces établissements : à l'entrée en institut de formation comme à l'embauche, étudiants et professionnels doivent apporter la preuve que ces vaccinations ont bien été effectuées (attestation médicale avec nom de spécialité, numéro de lot, doses et dates d'injections le cas échéant).

L'hépatite B aussi

Qu'il s'agisse de protéger le professionnel au travail (protection « ontophylactique ») ou, également, les patients (protection « démophylactique »), la politique de vaccination fait l'objet d'une réflexion permanente menée jusqu'ici par le Comité technique des vaccinations du Conseil supérieur d'hygiène publique de France (devenu Haut conseil de la santé publique en mars 2007 par sa fusion avec le Haut comité de santé publique). Le calendrier vaccinal publié chaque mois de juillet par l'InVS dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, rappelle les obligations et émet les recommandations (entre deux publications, les mises à jour du calendrier figurent sur le site du ministère de la Santé(1)). Selon ses dernières versions, il préconise, pour les vaccinations obligatoires, un rappel tous les 10 ans pour la diphtérie, le tétanos et la polio, la preuve du BCG et une intradermoréaction à 5 unités de tuberculine liquide à l'embauche. En ce qui concerne l'hépatite B, un arrêté du 6 mars 2007 dispose que les infirmières doivent apporter la preuve, attestation médicale à l'appui, soit qu'elles ont été vaccinées avant 13 ans, soit qu'elles l'ont été plus tard, et qu'elles avaient alors présenté une concentration en anticorps anti-HBs supérieure à 100 U/l (ou comprise entre 10 et 100 U/l si les antigènes étaient indétectables). À défaut, une recherche de l'antigène anti-HBs est réalisée. S'il est détecté, il n'y pas lieu de vacciner mais s'il est indétectable, l'arrêté prévoit que la vaccination doit être faite jusqu'à détection d'anticorps, dans la limite de 6 injections. Une dose de rappel peut éventuellement être envisagée par le médecin du travail dans certains cas. « En l'absence de réponse à la vaccination(2) les postulants ou les professionnels peuvent être admis ou maintenus en poste, sans limitation d'activité, mais il doivent être soumis à une surveillance annuelle des marqueurs sériques de l'hépatite B », précise le décret. De plus, « nous donnons aux vaccinés non répondeurs des consignes de sérovaccination en cas d'accident d'exposition au sang à risque d'hépatite B », indique Marie-Line Lepori. Dans ce cas, une injection d'anticorps est réalisée ainsi qu'une vaccination afin d'induire une immunisation, même faible, pour les faibles répondeurs.

Soignants « frileux »

« Pour l'hépatite B, certains sont un peu frileux », constate le Dr Jérôme Rodriguez, médecin du travail au centre hospitalier de Narbonne, notamment en cas d'antécédents familiaux de sclérose en plaques. Ces réticences sont alimentées par les débats en cours depuis une douzaine d'années sur l'éventualité d'un lien avec le déclenchement de scléroses en plaques. Ce lien n'a pas été scientifiquement démontré mais les juridictions administratives l'ont reconnu, souligne Me Gisèle Mor, avocate qui s'occupe d'une centaine de dossiers sur la vaccination obligatoire. La DGS indemnise certaines personnes au titre de la responsabilité de l'État du fait de la vaccination obligatoire. En mars, le Conseil d'État a rendu une décision - qui fait jurisprudence - donnant à une infirmière ayant développé une sclérose en plaques à la suite d'une vaccination contre l'hépatite B le droit de demander à l'établissement où elle travaillait de reconnaître l'imputabilité au service de sa SEP. « La vérité juridique n'est pas la vérité scientifique », a argumenté Terry Olson, commissaire du gouvernement dans son rapport au Conseil d'État. Il s'est fondé sur trois critères juridiques (occurrence des symptômes deux à trois mois après la vaccination, chez une personne n'ayant jamais présenté aucun symptôme de ce genre, et identifiés par une expertise qui n'exclut pas ce lien) pour estimer que « si le lien causal classique, de cause à effet, entre l'inoculation et le développement de la SEP n'est pas actuellement établi, [il existe] suffisamment d'avis autorisés pour admettre que l'inoculation du vaccin peut jouer le rôle de facteur déclenchant au développement de la maladie sur des sujets présentant certaines prédispositions les exposant à un risque supérieur à la moyenne ». Cet « arrêt Schwartz » aurait, selon Me Mor, provoqué une recrudescence de plaintes d'infirmières.

Moins de refus

Pour Louis Léry, les refus de vaccination sont moins fréquents depuis la mise en place d'une « vaccination intelligente » avec titrage des anticorps. « Autrefois, on réalisait cette vaccination selon un calendrier moyen et des gens se retrouvaient non protégés ou faisaient une réaction car ils étaient trop protégés, souligne-t-il. Aujourd'hui, la surveillance du taux d'anticorps permet d'éviter les sous et sur-vaccinations. » Et le médecin de rappeler le rôle protecteur du vaccin contre la maladie. « Avant l'obligation vaccinale contre l'hépatite B, dans l'hôpital où je suis, qui compte environ 200 agents, on dénombrait une quinzaine de cas d'hépatite B par an dont un mortel tous les deux ans, se souvient le Dr Louis Léry. Aujourd'hui, ils sont largement couverts et il n'y a quasiment plus de cas d'hépatite B. »

En dehors des contre-indications réelles, le risque pour les agents refusant la vaccination, de se voir déclarés inaptes à leur fonction - ce qui est rare - ou, à défaut, affectés sur des postes non exposés au risque, médico-administratifs - qui ne sont pas très nombreux -, fait tomber bien des réticences, souligne le président de l'Anmteph.

Au final, donc, même si les données concernant la couverture vaccinale des professionnels de santé sont parcellaires, la quasi totalité des professionnels concernés par l'obligation vaccinale sont donc vaccinés. Il n'en est pas de même pour les vaccinations recommandées, même si, selon Louis Léry, « ces recommandations ont une valeur importante qui en fait de quasi prescriptions ».

La grippe tous les ans ?

C'est le cas pour la coqueluche, l'hépatite A, la rougeole, la varicelle ou la grippe saisonnière. « Les adultes sont peu couverts, observe Louis Léry. Le vaccin contre la coqueluche se fait donc souvent après une épidémie de coqueluche au sein de l'hôpital et en particulier dans les services de pédiatrie, néonatalogie et gynécologie-obstétrique. C'est un vaccin qu'on va faire de plus en plus souvent dans les années qui viennent », notamment lors des rappels décennaux du DTP. Le vaccin contre la varicelle concerne aussi les professionnels en contact avec les nourrissons. Récent, il est donc encore peu répandu. En ce qui concerne la rougeole, le vaccin n'est inoculé chez les personnels de plus de 25 ans non vaccinés et sans antécédents de rougeole - en priorité ceux en contact avec les enfants et ceux des urgences - qu'après une vérification de la sérologie négative, comme pour la varicelle.

Le vaccin contre l'hépatite A concerne une population ciblée différente : les personnels des crèches, des cuisines, des lingeries, ainsi que les humanitaires.

Quant à la vaccination contre la grippe, la loi l'avait rendue obligatoire en 2005. Beaucoup de médecins du travail s'étaient d'abord interrogés sur la capacité de la médecine du travail à vacciner tous les personnels concernés chaque année... Et sur les effets, à terme, d'une vaccination réalisée jusqu'à une quarantaine de fois dans une carrière. Selon Louis Léry, ces craintes ont été démenties par une étude récente. Comme le virus de la grippe, très contagieux, mute quasiment tous les ans lors de son passage de l'animal à l'homme, chaque nouveau vaccin est différent du précédent ; il ne s'agit donc pas d'une revaccination.

Peur et oubli

Quoi qu'il en soit, cette vaccination est assez peu suivie bien qu'en progression : une enquête de la DGS avec l'institut TNS-Sofres sur la couverture vaccinale contre la grippe saisonnière des professionnels de santé en 2004-2005 a constaté que « les infirmières, les personnels des maisons de retraite et des services d'urgences ont un recours nettement insuffisant à la vaccination » : 31 % des infirmières se déclaraient vaccinées mais 45 % disaient qu'elles ne l'avaient jamais été, et dans les services d'urgences, seuls 29 % des personnels étaient vaccinés pour l'hiver (51 % ne l'avaient jamais été). À l'origine de ces faibles taux : oubli, crainte des effets secondaires et sentiment d'immunité, notamment parmi les personnels jeunes. Pour Louis Léry, la vaccination des professionnels de santé contre la grippe saisonnière souffre aussi de la confusion entretenue par le fait qu'elle soit identifiée, dans la population générale, comme réservée aux plus de 65 ans. « On en a fait une vaccination ciblée, c'est une erreur, estime-t-il. On protégera d'autant mieux cette tranche d'âge que la vaccination sera large. » Selon lui, les effets secondaires longtemps décriés ne sont plus d'actualité avec les vaccins actuels, pour lesquels le virus est désormais inactivé chimiquement et non plus seulement par les UV. Autres avantages de la vaccination avancés par le médecin : une réduction de l'absentéisme au moment où le reste de la population est lui aussi touché et, même si le vaccin contre la grippe saisonnière n'immunise en rien contre la grippe aviaire, une vaccination large contre la première permettrait selon lui, en cas d'épidémie de la seconde, de mieux concentrer la lutte sur les cas les plus graves.

Obligation suspendue

Un décret du 14 octobre 2006 a « suspendu » l'obligation de vaccination contre la grippe saisonnière des professionnels de santé, la transformant en « simple » recommandation et suivant en cela un avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France du 19 mai 2006. Selon le CSHPF, les professionnels ne sont pas surexposés au risque de contracter la grippe saisonnière et l'obligation vaccinale vise avant tout à les protéger eux-mêmes, pas les personnes dont ils prennent soin. Il a toutefois préconisé le maintien de la recommandation en faveur d'une « vaccination altruiste » des professionnels de santé, le renforcement des campagnes d'information sur la vaccination contre la grippe mais aussi et surtout le rétablissement de l'obligation vaccinale en cas de pandémie grippale (phase 6 du plan de l'OMS) dès qu'un vaccin sera disponible.

Pas tous vaccinés !

L'ensemble de ces dispositions s'inscrit dans un cadre rôdé pour tous les agents permanents de l'hôpital. Quid des autres ? Si les soignants qui travaillent pour des entreprises d'intérim sont théoriquement pris en charge par leur médecine du travail, il n'en est pas de même des étudiants (hors instituts paramédicaux) et autres enfants du personnel qui se retrouvent parfois auprès des malades et ne sont pas forcément immunisés à leur arrivée en poste.

« C'est un gros problème », remarque Marie-Line Lepori. Ces personnels sont vus généralement - et au mieux - juste avant leur embauche par le médecin du travail, mais en cas de non-vaccination, le « rattrapage vaccinal » prend du temps. « Lorsqu'ils viennent travailler pendant un mois, ils ne sont parfois immunisés qu'à leur sortie », ajoute le médecin nancéen. À charge donc pour les médecins du travail de demander qu'ils soient affectés à des postes non-exposés au risque pendant ce temps, ce qui n'est pas évident. Un rendez-vous plus précoce, avant l'embauche, pourrait éviter cet écueil : une meilleure coordination entre directions du personnel et médecine du travail permettrait aux personnels d'être correctement immunisés, et aux médecins du travail de ne pas se retrouver en porte-à-faux. La vaccination est en effet un acte médical comme un autre. D'ailleurs, à Nancy, le Dr Lepori demande à tous les agents qui se font vacciner de signifier leur consentement éclairé. Une disposition qui n'est pas choisie partout.

Inscrit dans le dossier

Le document « explique les raisons de la vaccination, précise qui la réalise, le numéro du lot, les effets secondaires éventuels et l'état de santé de la personne, les traitements qu'elle prend, les problèmes de santé qu'elle a, etc., indique Marie-Line Lepori. Une fois signé, le document est inséré dans le dossier de chaque agent. » Au même titre que tous les éléments concernant la santé au travail des infirmières, tout au long d'une carrière sans cesse exposée.

1- Selon le Dr Marie-Line Lepori, environ 5 % des personnels vaccinés contre l'hépatite B ne répondent pas ou peu à la vaccination.

2- http://www.sante.gouv.fr.

hépatite b et bcg

« UNE SÉCURITÉ POUR NOUS »

« La vaccination du personnel hospitalier, c'est tout à fait normal, estime Élodie, infirmière en réanimation dans un établissement du Nord. Du fait de mon activité professionnelle, j'ai dû me refaire vacciner contre l'hépatite B et le BCG. C'est mon médecin traitant qui m'a vaccinée contre l'hépatite B avant l'entrée en Ifsi. C'était à l'époque où, si on ratait une injection, il fallait recommencer le processus de vaccination au début et de ce fait, j'ai subi trois ou quatre injections en trop... Après coup, je me suis un peu inquiétée, d'autant qu'il y avait des débats sur cette vaccination. Mais un jour, j'ai eu un accident d'exposition au sang avec un patient atteint d'hépatite B et à ce moment là, je me suis dit "heureusement que je suis vaccinée !". Je ne le regrette donc pas du tout : c'est une sécurité pour nous.

Cependant, je ne me suis jamais vaccinée contre la grippe. On m'a interdit cette vaccination car elle contient des protéines d'oeuf. Mais apparemment, s'il y avait une épidémie de grippe aviaire, on aurait l'obligation de se faire vacciner...

Globalement, je me vaccine avant tout pour moi et pour mon entourage. En faisant ce métier, nous sommes en contact avec beaucoup de maladies : j'y pense surtout depuis que j'ai un enfant ! »

vrai/faux

GRIPPE, MÉDECIN GÉNÉRALISTE, ALTRUISME...

> La vaccination contre la grippe saisonnière est obligatoire.

FAUX. Bien que la loi de santé publique du 19 décembre 2005 le prévoyait, cette obligation a été suspendue par un décret du 14 octobre 2006. Elle fait toutefois partie, désormais, des vaccinations recommandées aux professionnels de santé.

> Les vaccinations peuvent être réalisées par un médecin généraliste.

VRAI. Les médecins généralistes peuvent réaliser les vaccinations des professionnels de santé. Mais lorsqu'elles sont faites dans le cadre de la médecine du travail, elles sont complètement gratuites puisque prises en charge en totalité.

> Les vaccinations des soignants sont destinées à protéger les patients de certaines maladies.

FAUX ET VRAI. Elles visent tout d'abord à protéger les professionnels dans l'exercice de leur mission soignante, en vertu du principe selon lequel le travail ne doit pas être source d'atteinte à la santé. Mais la dimension altruiste de la vaccination - sa dimension protectrice vis-à-vis des tiers, par prévention de la contagion ou de la transmission, est néanmoins prise en compte pour l'immunisation contre certaines maladies, comme la grippe saisonnière, par exemple.