Patients et soignants en quête de sens - L'Infirmière Magazine n° 229 du 01/07/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 229 du 01/07/2007

 

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Horizons

Après un diagnostic grave, le patient est une proie idéale pour les sectes. Sans se mêler de religion, l'hôpital marseillais de la Timone veut répondre au besoin de spiritualité exprimé par les malades... et par les soignants.

Ce qui se déroule entre les murs de l'unité de soins spirituels, dans le service d'oncologie médicale et de soins palliatifs du Pr Roger Favre, à la Timone (AP-HM) n'a rien de commun dans l'univers hospitalier : ici, les soins ne visent pas le corps, mais l'esprit. Il ne s'agit ni de psychiatrie, ni de psychologie, mais de « spiritualité ». Pas question de religion - c'est l'affaire des aumôneries - ni d'idéologie : c'est l'écoute et le bien-être de l'esprit qui importent.

À l'initiative de cette unité, Éric Dudoit et Geneviève Botti. L'un est psychologue clinicien, notamment dans l'unité d'oncopsychologie, et enseignant au sein du DU de soins palliatifs ; l'autre est médecin et a suivi ce DU. Lorsque leur proposition a été acceptée par la direction de l'hôpital, ils ont été les premiers surpris. Il y a deux ans, le feu vert du Pr Favre leur a permis de créer cette unité. Même risqué, le pari a séduit.

une question de sens

Chimiothérapie, radiothérapie, intervention chirurgicale... face au monde médical qui intervient sur le corps, c'est toute la personne qui est bouleversée, qui s'interroge sur le sens du soin. « Nous nous sommes aperçus que les patients avaient une demande de spiritualité, mais pas de religiosité », observe Éric Dudoit, responsable de l'unité. Le malaise qui habite souvent les personnes atteintes de cancer peut les conduire à se tourner vers la médecine parallèle dont certaines tendances relèvent du charlatanisme, voire de la dérive sectaire. Le but de l'unité consiste à accompagner les gens dans leurs questionnements et à apporter une réponse à cette demande spirituelle dans un cadre laïc et « sûr ». Bien qu'il ne soit pas question pour les membres de l'unité de s'instaurer « législateurs du bien et du mal », comme le précise le psychologue, leur activité comprend un volet de soins mais aussi de recherche et d'enseignement qui les conduit à avancer à pas mesurés, afin de valider les différentes démarches. « Notre règle, c'est de rester laïcs et de faire la part de ce qui relève de la croyance individuelle et de la science, qui ne sont jamais très éloignées », souligne Éric Dudoit.

aucun prosélytisme

L'activité de soin de l'unité se décline en plusieurs volets : relaxation, soins restructurants et « thérapies énergétiques ». Un atelier de « relaxation-méditation » est organisé une à deux fois par semaine et animé par Geneviève Botti, dans l'esprit de la méditation bouddhiste, « car c'est celui qu'elle connaît bien », explique Éric Dudoit. Mais toute référence au bouddhisme est gommée : aucun prosélytisme n'a droit de cité dans l'unité.

Jeanne-Francette Futo, infirmière clinicienne dans l'unité, est en charge des soins restructurants via le toucher. « J'interviens auprès de personnes en difficulté au niveau de l'estime de soi, de l'image corporelle, de la douleur ou simplement de la famille, pour apporter de l'humanité dans la pratique thérapeutique, explique-t-elle. C'est un soin comme un autre, qui répond à un des besoins élémentaires de l'homme. » Une fois par mois, elle organise un atelier de groupe qui réunit six à huit personnes. « Pour certains, ça se passe dans le silence alors que pour d'autres, les soins ouvrent les vannes, la parole se libère », constate l'infirmière.

Contre toute attente, la grande majorité des participants aux ateliers de méditation comme de soins restructurants est constituée de soignants. Eux aussi sont malmenés dans les services « lourds », selon Éric Dudoit. La quête de sens des patients se répercute sur les soignants : « plus ils seront à l'aise avec ces questions, plus ils seront à l'aise avec les patients », ajoute le psychologue. Du cadre de santé à la puéricultrice, ils viennent en dehors de leurs horaires de travail. « C'est un besoin de reprendre conscience des choses les plus simples dans la relation, de reprendre contact avec l'essentiel », souligne Jeanne-Francette Futo.

Les patients sont donc encore assez peu nombreux à participer à ces ateliers. « Leur demande s'exprime différemment, observe l'infirmière. Parfois, ils demandent directement à participer aux ateliers après que les médecins leur ont parlé de l'unité de soins spirituels et de psycho-oncologie. D'autres fois, la demande émane des infirmières, des ASH, des familles ou des voisins de chambre... » Un petit dépliant informe en effet patients et visiteurs de l'existence de cette offre de soins un peu particulière. En outre, Jeanne-Francette Futo se rend au chevet des personnes en soins palliatifs « pour faire connaissance. Et plus de neuf fois sur dix, il se passe quelque chose. » Le besoin d'une « autre » écoute est patent et la conduit parfois à mener des séances individuelles pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer mais aussi, parfois, à pratiquer l'hypnose ericksonienne au bloc, lors de la pose d'un site implantable, par exemple.

regards croisés

Depuis deux ans, l'équipe a accueilli des professions différentes et des sensibilités spirituelles diverses. Outre le responsable de l'unité, le médecin et l'infirmière, elle compte également, dans le cadre de son activité de recherche, un autre médecin, un algologue (Philippe Roussel, le président du comité de lutte contre la douleur de la Timone), un kiné, trois autres psychologues, deux psychologues cliniciens et un sociologue. L'unité dispose aussi de l'appui du Groupement d'étude des mouvements de pensée en vue de la prévention de l'individu (Gemppi), qui lutte contre les dérives sectaires et pilote la commission « Santé, éthique, idéologies » de l'espace éthique méditerranéen. « Il nous aide beaucoup à éviter toute dérive involontaire de notre part », souligne Éric Dudoit. L'équipe de l'unité a « passé un an à réfléchir à ce qu'est l'esprit, poursuit le psychologue. Chacun a exposé sa vision, qu'elle relève de la psychanalyse, des neurosciences, du bouddhisme ou des thérapies cognitivo-comportementales, afin de constituer un socle commun. » Ce dialogue entre les disciplines, cette confrontation des regards prend du temps même si « c'est une expérience extraordinaire de richesse », remarque-t-il. L'équipe a organisé l'année dernière un séminaire avec le penseur tibétain Sogyal Rinpoché et en mai une conférence avec un historien des religions.

explorer

« Nous nous interrogeons sur l'opportunité de mener une recherche sur les thérapies énergétiques et de méditation, comme le reiki, fait observer Éric Dudoit. Mais nous avons très vite cessé d'utiliser ce terme car hors de l'hôpital, on entendait dire "c'est scientifique puisqu'ils en font au CHU !" » Or il n'est pas question ici de cautionner qui que ce soit mais d'explorer et d'évaluer une démarche ou une autre, dans le but unique d'apporter un mieux-être spirituel aux patients et aux soignants qui en expriment la demande. « Le domaine de l'esprit est tellement vaste qu'on a encore de longs siècles devant nous pour en explorer les paysages », conclut Éric Dudoit.

témoignage

« Une voie plus zen »

« Au sein de l'unité, je m'occupe des soins par le toucher, qu'on a appelés "soins restructurants", car j'ai été formée au toucher relationnel via l'haptonomie, la réflexologie et la bio-énergétique douce, confie Jeanne-Francette Futo. J'exerce un mélange des trois. Je ne perfuse plus, je ne suis plus du tout dans le rôle prescrit mais dans un rôle propre et collaborant.

Travailler dans cette unité, pour moi, c'est vraiment une continuité de ma vie et un enrichissement. Je suis en accord avec moi-même. J'ai longtemps exercé en rééducation fonctionnelle et en court séjour avec des patients amputés, hémiplégiques ou dans un état végétatif prolongé. Certains exigeaient des soins invasifs lourds. Cela m'était devenu très difficile et j'ai eu besoin de passer à autre chose. J'ai cherché une voie plus "zen", dans laquelle je pouvais être complémentaire à l'approche infirmière et médicale, plus dans le soulagement et l'apaisement. »

contact

- L'unité de soins spirituels fait partie du service d'oncologie médicale et de soins palliatifs du Pr Favre, à l'hôpital de la Timone (Assistance publique- Hôpitaux de Marseille).

Mél : eric.dudoit@ap-hm.fr.

- Le Gemppi est basé à Marseille. http://sectes-info-gemppi.ifrance.com. Mél : gemppi@wanadoo.fr.