Architecture du chaos - L'Infirmière Magazine n° 230 du 01/09/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 230 du 01/09/2007

 

urgences

Reportage

Désorganisation, problèmes d'effectifs, imprévus... aux urgences d'Aix-en-Provence, les équipes doivent composer avec la confusion.

Il y a déjà du monde, aux urgences du centre hospitalier du pays d'Aix (Bouches-du-Rhône). « Ce n'est rien par rapport à hier après-midi ! s'écrie Josette Moya, infirmière faisant fonction de cadre. Tous les boxes étaient pleins et il y avait plus de douze personnes installées sur les brancards dans les couloirs. L'équipe était en surchauffe jusque tard dans la nuit. » « On a vu 160 personnes dans la journée, poursuit Marie-Hélène Siary, médecin urgentiste. Il était 4 h du matin quand on a pu souffler. Parmi les urgences vitales, un infarctus aigu a failli ne pas être pris en charge à temps. Heureusement qu'une infirmière l'a repéré dans la foule de gens qui attendaient d'être soignés et qu'elle lui a fait un électro ! »

Pas d'IAO !

Cet exemple traduit l'un des problèmes de fonctionnement du service : aucun poste soignant n'est dédié à l'accueil des urgences, et on ne peut pas demander à un agent administratif de repérer les urgences vitales et de trier les arrivées. Ce manque a une répercussion sur la qualité de l'accueil et la gestion du service des urgences. « Pour l'instant, nous attendons toujours la création de ce poste d'infirmier d'accueil et d'orientation, mais nous ne savons plus quoi faire pour être entendus, soupire Jean-François Laude, praticien hospitalier, dans le service depuis douze ans. De l'argent a été débloqué pour des postes administratifs, et rien pour les postes de soins. »

« Réa' tiède »

L'organisation de l'équipe est pourtant le nerf de la guerre dans un service d'urgence. « Son principe même est de gérer la désorganisation et le chaos, explique Paule Lo Cascio, infirmière du service faisant fonction de cadre. D'autant que nous couvrons un secteur sanitaire très étendu, allant de Gardanne à Pertuis, de Lambesc à Rians, regroupant 450 000 habitants. Et la population ne cesse de croître dans cette région, tandis que notre service reste à l'identique. » Heureusement, l'équipe est solide : 62 paramédicaux (infirmiers, aides-soignants, agents de service hospitaliers, brancardiers) et 13 médecins se relaient en trois huit. Deux équipes distinctes sont nommées chaque jour : une dédiée aux urgences médicales, l'autre aux urgences chirurgicales. Chaque équipe compte deux infirmiers, un praticien hospitalier, deux internes et deux aides-soignants. Une troisième équipe gère l'unité d'hospitalisation de courte durée. « L'UHCD est, dans notre jargon, une "réa' tiède", reprend Paule Lo Cascio. Les patients qui y séjournent ne sont pas suffisamment bien pour aller dans un service d'hospitalisation, mais pas suffisamment mal pour être en réa'. L'unité est calme et géographiquement un peu à l'écart. L'équipe qui y est affectée peut se sentir isolée. Nous sommes tellement dans l'action que le calme et la tranquillité nous plombent facilement ! »

Pneumothorax

Jean-Claude Burles, un patient d'une cinquantaine d'années, est venu aux urgences pour une douleur thoracique. Rapidement examiné, il souffre en fait d'un pneumothorax. Romain Camia, infirmier, talonné par une jeune infirmière, et Jean-François Laude, escortent le patient en salle de déchocage. Le silence de la pièce, ponctué par les « bips » rapides et réguliers des différentes machines surveillant la saturation cardiaque et la tension, contraste fortement avec le brouhaha du service. Pendant que le médecin se désinfecte méticuleusement mains et bras à la Bétadine®, Romain Camia prépare le matériel. Le patient est déjà sous l'effet de la morphine lorsque Jean-François Landes incise le carré de chair délimité par les champs opératoires, et pose un pleuro destiné à aspirer l'air entre le poumon et la plèvre.

Les heures défilent, les malades se succèdent. Nouvelles têtes, nouveaux accidents de la vie. Écrasement du doigt, évanouissement et plaie ouverte du front, entorse de la cheville, fracture du col du fémur, brûlures, tentative de suicide, syndrome méningé... Les dossiers des patients, étiquetés dès leur arrivée, s'accumulent. Certains ont la chance d'avoir un box, d'autres pas. « Il te reste un lit en porte ? » demande une interne à Sandrine Couton, infirmière. « Ah non, c'est complet. C'est Gérontoland en porte, aujourd'hui ! »

Aquarium

Ce secteur des urgences est géré par un médecin, un infirmier et un aide-soignant référents pour la journée. Ses quatre lits, un peu à l'écart de l'agitation, permettent de surveiller des personnes en attente de places dans un service de l'hôpital. Les lits sont aussi utilisés pour que des personnes âgées de passage aux urgences soient au calme.

Médecins, infirmiers et aides-soignants vont et viennent entre les boxes et leur salle de travail, pièce vitrée carrée en forme d'aquarium, d'où ils peuvent voir et être vus. Les médecins remplissent les dossiers à la chaîne, en permanence dérangés par les téléphones. Les infirmiers installent les patients et leur font passer les examens nécessaires (tétanos, examens d'urine, prise de sang, encéphalocardiogramme), les renseignent et rassurent les familles.

L'angoisse du calme

Un appel téléphonique signale une défenestration. Le Dr Lionel Castanier et Béatrice Ghisoni, infirmière, affectés au Smur pour la journée, partent au pas de course prendre un véhicule de réanimation mobile. Leur départ est relayé par l'arrivée d'un véhicule des pompiers. Deux brancardiers accourent pour transférer deux personnes victimes d'un accident de la voie publique. Les pompiers débriefent l'équipe des urgences et repartent aussitôt.

Une infirmière apostrophe un médecin : « C'est incroyable, ce qui se passe aujourd'hui ! » - « Ah bon, que se passe-t-il ? » - « Rien, justement ! » Aux urgences, ce n'est pas la surcharge de travail qui angoisse, c'est le calme.