Cellule nerveuse - L'Infirmière Magazine n° 231 du 01/10/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 231 du 01/10/2007

 

Marie-José Barbier

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Stress permanent, ambiance lourde, procédures tatillonnes... En prison, le soin est crucial mais se révèle souvent pesant. Aux Baumettes, Marie-José Barbier tente de soulager et d'accompagner les détenues, tout en restant sur ses gardes et en respectant à la lettre les consignes de sécurité.

Une blouse blanche dans le couloir gris des Baumettes : ce matin, Marie-José Barbier, infirmière référente depuis trois ans du centre pénitentiaire pour les femmes (CPF), est attendue avec fébrilité. Dans la salle de soins, une détenue se tortille sur sa chaise, angoissée. Elle vient pour recevoir un soin. Au contact de l'infirmière, elle s'apaise. Lorsqu'elle regagne sa cellule, elle est sereine, détendue. Pour un instant, elle s'est libérée du stress de la détention.

unités difficiles

Pendant près de trente ans, Marie-José Barbier a exercé dans des unités difficiles. D'abord en infectiologie, auprès de patients atteints du sida, puis en addictologie, en chirurgie et enfin aux urgences. Pour pouvoir ralentir la cadence de ses horaires de travail sans sacrifier l'intensité de l'action, elle se tourne vers le milieu carcéral. La voie de la reconversion est libre : dans le cadre du service public hospitalier, ce sont les hôpitaux publics qui assurent les soins aux détenus dans les unités de consultations et de soins ambulatoires.

gérer le stress et l'agressivité

Les formations spécifiques de Marie-José Barbier, liées à la gestion du stress, de l'agressivité et de la violence, associées à son parcours professionnel, correspondent au profil du poste recherché. Il n'existe pas de concours pour devenir infirmière en Ucsa. Mais les aptitudes et compétences nécessaires à l'exercice sont évaluées au cours d'un entretien avec le directeur des soins du centre hospitalier.

prise d'otages

En 2004, Marie-José Barbier intègre donc, en qualité d'infirmière référente, l'unité de consultation en soins ambulatoires du CPF des Baumettes. L'unité, dirigée par le Dr Anne Galinier, est composée d'une équipe médicale mobile et paramédicale. Avec deux collègues, Marie-José représente désormais le service hospitalier au sein du centre pénitentiaire.

Lors de sa prise de fonction, certaines appréhensions suscitées par l'enfermement et l'insécurité sont ressenties par ses proches. Elle les rassure : « Le milieu carcéral présente moins de risques que les services d'urgence, car nous sommes constamment accompagnées d'une surveillante. Mais nous ne sommes malheureusement pas à l'abri d'une prise d'otages, comme il s'en est déjà produit dans l'établissement. »

Cinq jours par semaine, elle prend seule en charge 180 détenues, incarcérées le plus fréquemment pour vol, trafic de drogue ou infanticide.

cohabitation

Le CPF des Baumettes réunit au sein du même établissement des détenues de centres de détention et de maisons d'arrêt. Regroupées par unité, des prévenues cohabitent avec des condamnées, des mineures avec des détenues de longue peine. Une nurserie accueille également les jeunes enfants, qui restent avec leur mère incarcérée jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de 18 mois. En outre, des condamnées en semi-liberté, porteuses de bracelets électroniques, travaillent pendant la journée et sont réincarcérées le soir. Soigner des prévenues peut susciter certains a priori dans les équipes soignantes. C'est la raison pour laquelle Marie-José préfère ne pas connaître les motifs de leur emprisonnement.

gare aux trafics !

Dans cet établissement pénitentiaire, tous les services administratifs sont regroupés dans le bâtiment « hommes ». Entravée par le nombre de barrages de sécurité, Marie-José se retrouve isolée dans le bâtiment « femmes ». Là, elle dispense des soins classiques de courte durée ou permanents, reçoit toutes les détenues qui présentent des problèmes de santé et qui en ont émis la requête par écrit, accueille les entrantes, gère les consultations médicales et les urgences. Marie-José évalue ensuite la nécessité d'une consultation médicale. « Toutes les détenues désirent une consultation médicale, remarque-t-elle, quelle que soit la spécialité, car ici tout est gratuit. » Puis a lieu la dispense des médicaments. Cet instant permet une prise de contact avec chacune des détenues, mais il nécessite une extrême vigilance. Certains traitements de substitution aux opiacés peuvent faire l'objet de trafic, et pour déjouer la fouille corporelle, les détenues n'hésitent pas à cacher les médicaments dans leur vagin. Autre difficulté, elles connaissent parfaitement la loi et peuvent chercher à provoquer une faute de la part du soignant.

L'incarcération induit inévitablement une détresse morale. Dès les premiers signes annonciateurs de dépression, Marie-José tente d'amener ces patientes à traduire leur mal-être au cours d'un entretien, ou à travers l'écriture d'un poème. Là, elles parlent volontiers de leur vécu, des tensions familiales qu'elles ont subies. Elles sont suivies par un psychiatre. Afin de diminuer les risques de suicide par pendaison, les bandes de maintien sont proscrites.

gérer les urgences

Être infirmière dans un milieu carcéral, c'est aussi être apte à secourir une détenue retrouvée pendue dans sa cellule ou qui s'est auto-mutilée. « Le plus dur, dit Marie-José, consiste à gérer seule les urgences le temps que le médecin de garde arrive. De même, il est impossible de passer le relais quand vous soignez les mêmes patientes tous les jours. » Autre nécessité de l'exercice en milieu carcéral : prendre en charge les détenues qui entament une grève de la faim et de la soif pour obtenir quelque chose qu'on leur refuse. Dans ce cas, les procédures spécifiques prévues sont aussiôt mises en place.

éviter le cachot

Certaines détenues peuvent présenter des comportements agressifs. « Dans ce cas, précise Marie-José Barbier, nous tentons de faire descendre la pression afin d'éviter le clash, qui est sanctionné bien souvent par un isolement au cachot. Face à cette agressivité, il faut savoir s'imposer tout en restant leur alliée. » Ainsi, les mesures de sécurité sont à respecter impérativement : ne jamais entrer dans une cellule, sauf urgence, ne pas tourner le dos à une patiente dans la salle de soins. En cas de problème, l'alarme est activée et l'incident est maîtrisé par des surveillantes non armées.

tabac, dents, vue...

L'exercice en milieu carcéral ne se limite pas à l'observation de ces règles. Il est même très varié : toutes les spécialités sont représentées. L'infectiologie, par exemple : un suivi est prodigué aux patientes infectées par le VIH ou par le virus de l'hépatite C. Les soins en gynécologie-obstétrique sont également assurés lors de la surveillance des modes de contraception ou de la prise en charge d'une grossesse. Compte tenu de la consommation tabagique des détenues, les soignants assurent des consultations antitabac où ils mettent gratuitement à disposition des patchs antitabac. L'ophtalmologie n'est pas négligée, des lunettes peuvent être attribuées gratuitement aux détenues. Enfin, un cabinet dentaire flambant neuf est également à leur disposition.

vigilance pesante

L'ambiance en prison peut être assez lourde : une vigilance pesante s'impose afin d'éviter tout risque d'évasion. Lors d'une extraction médicale, la détenue est menottée et escortée par des policiers et des employés pénitentiaires. Au même titre, les intervenants extérieurs doivent présenter leur pièce d'identité. De plus, les liaisons Internet sont proscrites.

En prison, l'organisation hebdomadaire des radiographies est insolite. Les détenues sont conduites en fourgon dans le bâtiment hommes, où les radiologies sont réalisées. Comme elles sont autorisées à téléphoner à leur famille, le soignant ne doit donc les en informer qu'au dernier moment. La peur de l'évasion, toujours.

Pour connaître l'existence d'une Ucsa, il faut contacter les établissements de soins de sa région.

moments clés

- 1974 : diplômée d'État.

- 2000 : formation de gestion du stress et de l'agressivité.

- 2004 : embauchée pour occuper le poste d'infirmière référente du centre carcéral des Baumettes.