« Demain, on mourra de moins en moins chez soi » - L'Infirmière Magazine n° 231 du 01/10/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 231 du 01/10/2007

 

Démographie

Questions à

Hausse de la mortalité, espérance de vie qui s'allonge... Dans les quarante prochaines années, ces tendances ne feront que s'accentuer : établissements et soignants doivent s'y préparer.

Dans un futur proche, faut-il s'attendre à une augmentation de la mortalité en France ?

On prévoit de nouveaux progrès en matière d'espérance de vie dans les dix à quinze prochaines années. Mais après une longue période de stabilité, qui aura duré environ cinquante ans, le nombre total de décès va augmenter de façon très importante. 530 000 personnes, tous âges confondus, sont mortes en 2005. On en dénombrera 640 000 en 2030 et 775 000 en 2050. Fait notable, toujours d'après les prévisions, ces décès frapperont un nombre croissant de personnes âgées et très âgées. Aujourd'hui, 75 % des décès surviennent déjà après 70 ans, mais en 2050, cela représentera 90 % des cas.

Et si l'on considère les nonagénaires, l'évolution à venir est tout aussi remarquable. En 2005, on relevait 116 000 décès de personnes de 90 ans et plus. En 2030, on en prévoit 203 000 - près du double -, et en 2050, 365 000. Aujourd'hui, 22 % des décès concernent des personnes de 90 ans et plus. Mais en 2050, près d'un décès sur deux surviendra après cet âge. C'est un phénomène sans précédent.

Sera-t-il encore courant de mourir chez soi, sans être pris en charge par la collectivité ?

Aujourd'hui, la mort survient de plus en plus souvent dans le cadre d'une prise en charge par la collectivité. S'il y a cinquante ans, plus de 70 % des décès avaient lieu à domicile en France, à l'heure actuelle, c'est l'inverse : près de 70 % des décès se produisent en institutions (en 2002, 57,3 % en établissements de soins et 10,5 % en maisons de retraite).

Et ce malgré des tentatives indéniables pour favoriser la mort à domicile. Les enquêtes d'opinion montrent que le souhait de mourir à domicile domine très largement parmi les personnes sondées. Mais dans la réalité, les décès surviennent massivement à l'hôpital ou dans des institutions sanitaires. Sans doute parce que le souhait de mourir chez soi est exprimé par des personnes qui sont encore en bonne santé. Quand les problèmes se posent réellement, les intéressés eux-mêmes, et plus encore leur famille, ne sont pas hostiles au transport à l'hôpital ou en institution.

Pour quelles raisons ?

Mourir à domicile nécessite un accompagnement permanent, par les proches ou par du personnel salarié, ce qui suppose que la famille en ait les moyens. De surcroît, il est fréquent que les enfants soient eux aussi âgés, et ils peuvent avoir des problèmes de santé. Or, accompagner un proche représente une lourde charge physique et émotionnelle.

Certes, la situation est plus favorable chez nous que dans d'autres pays d'Europe : les personnes qui vont mourir dans les prochaines années en France ont en moyenne 2 enfants, contre 1,5 environ en Allemagne ou en Italie - où les proportions de femmes sans enfant sont plus élevées. Quoi qu'il en soit, la famille susceptible d'accompagner un parent en fin de vie tend à se réduire. Elle peut aussi être géographiquement éloignée du seul fait des migrations liées à l'emploi, plus fréquentes aujourd'hui que par le passé. Cela ne favorisera pas les décès à domicile.

Quelles conclusions devrait-on en tirer, en termes d'organisation sanitaire et sociale, et de formation des personnels ?

Les politiques sanitaires doivent préparer la collectivité à accueillir un nombre croissant de personnes en fin de vie dans les institutions, ce qui sous-entend des locaux et du personnel en conséquence. Toutes les formules possibles d'hospitalisation et d'accompagnement à domicile doivent être développées également. Mais ces mesures ne permettront pas de renverser la tendance : les décès surviendront majoritairement en institutions. Il faut procéder également à tout un effort de formation des personnels pour répondre de façon adéquate à ces besoins de santé en plein développement.

En définitive, le fait qui me semble le plus remarquable est l'augmentation à venir des décès des personnes très âgées, de plus de 90 ans. Dans deux cas sur trois, il s'agira de femmes, de décès féminins, d'une mort au féminin. Et ce seront des professionnels de santé, donc en majorité des femmes, qui accompagneront d'autres femmes.

Alain Monnier Démographe à l'Institut national d'études démographiques (Ined)

Il est l'auteur de Démographie contemporaine de l'Europe, (Armand Colin, collection U, 2006) et de l'article « Le Baby-boom : suite et fin », paru dans le bulletin Population et sociétés de février 2007.