Constater sans blesser - L'Infirmière Magazine n° 232 du 01/11/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 232 du 01/11/2007

 

une unité médico-judiciaire

24 heures avec

En coordination avec la police et la justice, l'UMJ pour mineurs de l'hôpital Trousseau écoute et examine des enfants et adolescents victimes de violences.

Dès que l'on passe la porte d'entrée, largement ouverte sur l'extérieur ce jour-là, elles sautent littéralement aux yeux. Elles sont une bonne douzaine, sagement alignées à l'accueil. En peluche, en bois, en céramique, c'est une belle collection de grenouilles...

De quoi surprendre les visiteurs, en l'occurrence quatre policiers. Ils encadrent un jeune homme tout juste arrêté dans une gare parisienne. Il a donné son identité et sa date de naissance, qu'il faut maintenant vérifier par une détermination de l'âge osseux. C'est l'une des missions du service. Le docteur Caroline Rey-Salmon, pédiatre, longue blouse blanche et cheveux blonds, se présente à l'adolescent (« Je suis le médecin »). Elle passe avec lui en salle d'examen, avant de demander une radiographie. Les policiers, eux, restent en salle d'attente. Une scène pas tout à fait ordinaire dans cette unité médico-judiciaire (UMJ). Car ici, on ne travaille que sur rendez-vous, et cette visite n'était pas prévue.

« Ne pas en rajouter »

L'unité, située au coeur de l'hôpital pédiatrique Armand-Trousseau, à Paris, est conçue pour accueillir des mineurs, âgés de zéro à dix-huit ans. Sur environ 1 000 jeunes, victimes de violences, reçus chaque année à l'UMJ, 250 à 300 ont subi des agressions sexuelles. L'équipe (pédiatre, infirmières, médecin généraliste et pédopsychiatre, secrétaire) a le temps et les moyens de s'adapter à chaque situation. « Ils viennent de subir une agression : ce n'est pas la peine d'en rajouter en les bousculant un peu plus, explique le Dr Rey-Salmon, responsable de l'unité. Nous nous arrangeons pour prendre en compte le temps scolaire, les activités, ou même la sieste pour les plus petits. Nous donnons des rendez-vous qui respectent leur rythme. De ce fait, le mercredi est une journée particulièrement bien remplie. »

Ouverte en 2003, unique en France sous cette forme, l'UMJ est un centre d'examens et de prélèvements médico-légaux où l'on peut pratiquer, si nécessaire, une évaluation du retentissement psychologique des faits constatés. L'équipe ne travaille que sur réquisition judiciaire ou policière. Toute la ville de Paris est de son ressort, mais elle répond aussi à des sollicitations extérieures, toujours sur demande. La mission de l'UMJ relève d'un cadre extrêmement précis : il s'agit de constater et de décrire en détail les blessures et lésions chez la jeune victime, mais également, très souvent, de déterminer une incapacité totale de travail (ITT), « au sens pénal du terme », précise le docteur Rey-Salmon. « Cela signifie la durée pendant laquelle la victime sera dans l'incapacité d'accomplir les gestes de la vie quotidienne. Cette notion, applicable même à un nourrisson, permet de qualifier l'infraction pénale. »

Chacun ses urgences

À l'issue de l'examen, un rapport de constatations médico-légales très détaillé est rédigé, faxé, puis adressé par courrier aux policiers. Il sera partie intégrante du dossier judiciaire. Pour mener à bien sa mission, le personnel de l'UMJ a dû apprendre à travailler avec la police, en particulier la brigade de protection des mineurs, dont relèvent, à Paris, toutes les affaires d'agressions sexuelles et de coups et blessures familiales sur mineurs. L'occasion de constater que le temps de la justice ou de la police n'est pas le même que celui du soignant. « Il en est ainsi des urgences, observe Caroline Rey- Salmon. Pour nous, l'urgence, c'est le soin. Nous ne l'assurons pas dans nos murs, mais si le patient en a besoin, s'il est blessé, nous l'adressons aux urgences ou à un autre service. »

Pour la police, une urgence peut être, par exemple, un flagrant délit d'agression sexuelle. Dans ce cas, la jeune victime doit être examinée par un médecin dans les vingt-quatre heures, afin de rechercher des preuves, en effectuant tous les prélèvements utiles à la procédure, et pour pouvoir la mettre, si nécessaire, sous trithérapie.

« Toutefois, explique la responsable de l'UMJ, la brigade des mineurs est habituée à travailler avec nous. On se connaît bien [elle désigne d'un geste la grenouille que l'un des policiers de la brigade a offerte à l'UMJ] et ils savent que nous travaillons sur rendez-vous. Mais ils savent aussi que ce rendez-vous, s'il est urgent, peut être fixé rapidement. Par exemple, dans un délai d'une heure et demie, le temps pour la victime de passer chez elle manger ou dormir un peu après son audition. On se cale aussi sur l'urgence policière lorsqu'une garde à vue va se terminer et qu'il faut déterminer l'ITT avant la mise en examen du suspect. »

Des stages du personnel de l'UMJ au sein de la brigade, mais aussi des visites de l'unité par des policiers ou des magistrats ont permis d'atténuer le « choc culturel » entre ces institutions très différentes. Sans parler d'un travail permanent d'explication : la communication est un maître-mot dans le service, même si elle revêt souvent un aspect informel. « Il n'y a pas de "staff" chez nous », lance Michèle Myara, infirmière, un demi-sourire aux lèvres. Pas de réunion, donc, pour débriefer ou passer en revue les dossiers. « En revanche, on prend le café ensemble ! »

Le dialogue est le ciment de l'équipe, visiblement soudée. Caroline Rey-Salmon, Michèle Myara, Patricia Vasseur, infirmière puéricultrice et Blandine Mailleux, secrétaire, se connaissent bien : « Nous avions déjà travaillé ensemble dans un service de médecine pour adolescents, se souvient cette dernière. Et les deux infirmières qui exercent ici ont quelques kilomètres au compteur : elles sont expérimentées, et c'est précieux. »

Accueil personnalisé

Les deux infirmières ont largement participé, au fil des mois, au développement d'un accueil personnalisé des enfants et adolescents. Pour une victime de coups et blessures, un examen général, relativement court, est pratiqué pour constatation. Le patient peut ensuite être dirigé, par exemple, vers un service de chirurgie maxillo-faciale ou une consultation ophtalmologique. L'équipe de l'UMJ l'informe, aux côtés de ses parents, sur le stress post-traumatique. Il peut alors être orienté vers une consultation spécialisée. Pour les victimes d'agressions sexuelles, le temps de l'accueil et de l'examen peut être beaucoup plus long. Et les fameuses peluches y jouent leur rôle...

Grenouille

« Pour examiner les petites victimes d'une agression sexuelle, on les met dans la position de la grenouille, explique Michèle Myara. Ma collègue Patricia Vasseur a pris l'expression au pied de la lettre : elle a eu l'idée d'utiliser une grenouille pour leur expliquer. Elle en a acheté une première, Joséphine, disparue depuis mais remplacée par sa fille Géraldine. » Ce batracien en peluche, grand comme la main, et qui croasse « pour de vrai », donne une autre dimension à l'examen. « Il plaît bien aux enfants, permet de dédramatiser ; les pédopsychiatres utilisent ensuite nos peluches pour mettre en scène des scénarios dans lesquels les enfants vont mimer ce qui leur est arrivé. »

Avant l'examen génital, c'est donc la grenouille qui mime, avant que l'infirmière ne se mette elle-même dans la position requise, afin de bien expliquer à l'enfant comment il faudra s'installer. Car ici, on ne fait rien sans expliquer. Lorsque l'infirmière reçoit le jeune et l'adulte qui l'accompagne, elle détaille le déroulement de l'examen avant de faire signer aux parents un consentement à la prise de photographies et à la réalisation de prélèvements biologiques. Une formalité « qui n'est pas légalement nécessaire, note le docteur Rey-Salmon, mais qui permet de redonner une place de responsable aux parents vis-à-vis de leur enfant ».

Tête-à-tête

Lorsqu'il s'agit d'enfants (pour les adolescents, les parents sont vus après l'examen), le médecin reçoit d'abord les parents. Des adultes souvent angoissés, qui racontent ce qui s'est passé et disent « ce qu'ils ont sur le coeur, une immense culpabilité souvent ». Pendant ce temps, juste à côté de la salle d'examen, l'infirmière joue avec l'enfant. Tout en lui expliquant que l'examen ne fait pas mal, qu'aucun instrument ne sera utilisé. « On gagne sa confiance en jouant, raconte Michèle Myara. Mais on ne lui pose aucune question, parce qu'il vient de vivre une audition par des policiers. »

Ce moment en tête-à-tête permet également d'appliquer un patch analgésique, en prévision d'un éventuel prélèvement sanguin. Lorsque vient l'heure de passer en salle d'examen, chaque acte est de nouveau expliqué. Les petits entrent avec leurs parents, les adolescents sont seuls.

Toutes les précautions sont prises : demander à une jeune patiente si elle s'apprête à vivre son premier examen gynécologique, fournir une petite blouse bleue à un adolescent pour qu'il se sente moins gêné par sa nudité, lui donner des explications sur le fonctionnement de son corps. « À partir du moment où l'on fait l'examen, les ados ont souvent l'impression qu'on va tout savoir d'eux - s'ils ont un petit copain, s'ils ont déjà eu un rapport, remarque Caroline Rey-Salmon. D'où l'importance d'établir un climat de confiance. D'autant que la consultation n'est pas axée uniquement sur l'histoire présente : on essaie d'évaluer comment ils sont dans leur vie. »

Reconstruction

C'est une consultation globale : poids, taille, examen de tout le corps, complétée le cas échéant par une recherche de sérologie de MST, avec prélèvement sanguin, urinaire, gynécologique, etc. Une consultation pendant laquelle une vraie collaboration médecin-infirmière est nécessaire, et qui peut se prolonger. « Ce temps qu'on prend est hyper important, insiste le Dr Rey-Salmon. C'est la condition pour que le passage à l'UMJ ne fasse pas partie du traumatisme. Jeunes et adultes arrivent ici stressés ; mais ils partent souvent avec le sourire et en remerciant. C'est le début d'une reconstruction. »

Contact : UMJ pour mineurs, Hôpital Armand- Trousseau, 26, avenue du Docteur-Netter, 75571 Paris cedex 12. Tél. : 01 44 73 54 10.