Fête de la musique, le concert des civières - L'Infirmière Magazine n° 232 du 01/11/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 232 du 01/11/2007

 

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Chaque année, le 21 juin, c'est la même histoire : la Fête de la musique s'accompagne d'un cortège de bras cassés. Certains hôpitaux, tel celui d'Aix, prennent les devants et installent un « poste avancé » en ville.

Et glou et glou et glou et glou ! Tandis que le chanteur d'un petit groupe de rock hurle « Knocking on heaven's door » dans son micro, Marie, 18 ans, gît sur une civière, sans connaissance. Longiligne, frêle, les cheveux blonds en bataille, vomissures éparses sur ses vêtements, Marie a bu, beaucoup bu. « Trop de vodka, de bière, de cannabis. Et elle n'a rien mangé de la journée », explique un ami qui l'accompagne. Il la regarde d'un air désolé. La Fête de la musique, c'est fini pour lui. Il a laissé son groupe de copains pour l'accompagner, ou plutôt la porter, jusqu'à la grande tente où infirmiers et médecins volontaires du service des urgences du centre hospitalier du pays d'Aix dispensent les premiers soins. Il n'est pas encore 23 heures dans la tente, appelée poste médical avancé (PMA), installée sur la place de la Rotonde d'Aix-en-Provence, et les jeunes arrivent déjà. « Nous prenons en charge tout ce qui relève de la "bobologie", explique Béatrice Ghisoni, infirmière. Nez râpés, ivresse, etc. c'est pour nous. Tout ce qui est plus grave part en VSAB (1) à l'hôpital. »

avec les pompiers

Chaque année, c'est la même histoire. La Fête de la musique représente le pic d'affluence des urgences de l'hôpital d'Aix. Plus que le jour de l'An, plus que le 14-Juillet, le rendez-vous du 21 juin est devenu une grande beuverie, avec toutes les conséquences induites par l'abus d'alcool : comas éthyliques, plaies ouvertes, fractures, égratignures, brûlures, coupures, rixes...

Le chef de service des urgences, le Dr Pierre Kiegel, doit anticiper. « On ne peut pas tout gérer à l'hôpital, le service serait complètement débordé, et pas forcément par les véritables urgences. C'est la raison pour laquelle un PMA est dressé sur la place de la Rotonde. Cela permet de désengorger les urgences et de prendre en charge au coeur de la ville les cas les moins graves. Cette année, la Croix-Rouge n'y participe pas. Apparemment, le maire n'aurait pas anticipé suffisamment l'événement et ne l'aurait pas prévenue à temps. Heureusement, les pompiers vont travailler main dans la main avec nous », observe Pierre Kiegel.

plans rouges

Le lieutenant-colonel Puget, qui supervise l'opération pour les sapeurs-pompiers, détaille les moyens engagés : « Nous avons trois binômes qui tournent dans le centre-ville, avec des sacs d'abordage. Ils peuvent dispenser les premiers soins. Ils repèrent aussi les personnes destinées à être transportées au PMA ou à l'hôpital. Deux VSAV (2) sont postés dans des endroits stratégiques de la ville et ne bougent pas. Deux camions incendies sont réquisitionnés. Enfin, deux autres VSAV ainsi qu'un véhicule de liaison médicalisé sont postés place de la Rotonde. » « Ils rapatrient les victimes au PMA, poursuit-il. Selon le degré de gravité, la personne peut y rester, puis être transférée au centre de dégrisement, une grande tente où des lits de camp sont alignés et où nos victimes sont installées et surveillées. Si la situation est plus grave, la victime est transportée aux urgences. »

flot d'insultes

La soirée va crescendo. Thierry, 20 ans, arrive le visage en sang. Un groupe de dix jeunes lui est tombé dessus. Bilan : une côte cassée, deux dents brisées, arcade sourcilière ouverte, plaie sur le crâne. Il a perdu connaissance et il lui faut quelques points de suture, donc il est transporté à l'hôpital. Un autre jeune homme hurle sur une civière. Il semble avoir l'alcool agressif. Maintenu par pompiers et infirmiers, il part dans une grande tirade d'injures, est arrêté par un jet incontrôlable de vomi et repart dans un flot d'insultes...

À l'intérieur de la tente de dégrisement, un jeune homme emmitouflé dans une couverture de survie argentée reprend doucement ses esprits : « Je ne comprends pas, je n'ai bu que six verres de vodka. » Il est là depuis 10 heures, atteste un sapeur-pompier qui garde un oeil sur lui. « Il va beaucoup mieux depuis qu'il sait que sa mère va venir le chercher. » Habiba Jennane, assistante PH des urgences, vient vérifier l'oxygénation d'une jeune fille. Elle a trop bu, mais n'a pas perdu connaissance. Le médecin s'inquiète car elle se plaint d'avoir très mal quand elle respire. À côté d'elle, un jeune homme est sous perfusion, il dort. Amandine Bienaimé, infirmière, vérifie le débit de la perfusion. Cinq jeunes éméchés se provoquent à moins de dix mètres de la tente. La vue des pompiers en uniformes et des policiers un peu plus loin ne les réfrène pas le moins du monde. Ils cherchent au contraire à se faire remarquer.

crâne en sang

Vingt-cinq policiers municipaux sont mobilisés pour la soirée. Et 110 personnes appartenant à la police nationale, dont deux sections de CRS, sont déployées sur le terrain. Enfin, 28 agents de médiation tentent de désamorcer des situations à risque.

Pendant ce temps, le groupe de rock provoque un regain d'enthousiasme en entonnant Another Brick in the Wall des Pink Floyd. La sirène d'un VASB retentit , une femme sérieusement blessée au pied est installée sur un brancard. Tiphaine, interne au service des urgences, l'examine. La plaie est profonde. La jeune femme a marché sur de gros débris de verre. La tong n'a pas résisté à cet affront. Sa plaie soigneusement désinfectée, la jeune femme part à l'hôpital avec les pompiers. Un garçon d'une trentaine d'année titube, le crâne en sang : « C'est une fille genre racaille qui m'a éclaté une bouteille sur la tête ! »

pma démonté

Lorsque, vers deux heures du matin, il faut rapatrier les victimes à l'hôpital, le PMA a accueilli une quarantaine de personnes avant d'être démonté. Aux urgences, la nuit n'est pas terminée. L'équipe de l'hôpital aurait aimé que le PMA les épaule un peu plus longtemps, mais l'installation dépendant des pompiers, il faut s'adapter.

Le service est plein. Tous les boxes, en chirurgie comme en médecine, sont occupés. Les brancards s'accumulent dans les couloirs, tandis qu'à l'accueil, la tension monte. Beaucoup de visiteurs attendent de voir leur proche. Mais pour l'instant, les instructions du médecin sont formelles. « C'est non, il y a trop de monde, on ne peut pas circuler. » L'équipe apprend qu'il vient d'y avoir une rixe sur le cours Mirabeau. Un médecin anticipe : « Ils vont arriver dans deux heures. En général, ils refusent d'être pris en charge par les pompiers sur place et une fois chez eux, ils paniquent parce qu'ils saignent toujours beaucoup. Ils viennent alors d'eux-mêmes aux urgences. » « Ça et la sortie des boîtes de nuit, ce sera le dernier coup de feu de la soirée, glisse Habiba Jennane avec un sourire. J'espère me coucher vers cinq heures. »

1- Véhicule de secours aux asphyxiés et blessés.

2- Véhicule de secours et d'assistance aux victimes.

zoom

Le même soir...

À Nantes, une bagarre entre deux bandes amène les forces de police à intervenir. Les deux groupes rivaux se liguent et se retournent contre les hommes en uniforme... D'autres agitateurs viennent renforcer les rangs. Conclusion : 34 interpellations et 11 policiers légèrement blessés.

À Reims, « la fête de la musique s'est terminée au rythme des sirènes de la police et des pompiers hier », relate le quotidien L'Union-L'Ardennais.

Dix-sept personnes ont été blessées (dont une sérieusement à l'arme blanche) au cours d'agressions survenues pour l'essentiel en centre-ville. Le bilan aurait pu être plus lourd sans l'important dispositif mis en place (80 hommes dont 50 gendarmes mobiles), qui a permis de procéder à 10 arrestations.

À Nice, quelque 15 000 personnes sont venues assister au concert techno donné sur le port par le DJ David Vendetta. Un incident entre les forces de l'ordre et des personnes assistant au concert dégénère en un grand mouvement de foule. Des canettes, des bouteilles en verre, des chaises volent.

Des policiers lancent alors des bombes lacrymogènes pour s'assurer un périmètre de sécurité et tirent au flash-ball sur la foule.

Des familles, des personnes handicapées en siège roulant sont au milieu. Plusieurs personnes, matraquées par les forces de l'ordre, se retrouvent aux urgences dans un état critique. Neuf personnes ont été placées en garde à vue.