L'Institut vu du Maroc - L'Infirmière Magazine n° 232 du 01/11/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 232 du 01/11/2007

 

maroc

Reportage

À l'IFCS de Tétouan, les étudiants en soins infirmiers se préparent à enfiler la blouse, dans un pays où le manque de soignants les rend indispensables.

La proximité de la Méditerranée ne radoucit que faiblement les températures de Tétouan, ravissante cité du Rif aux senteurs encore très espagnoles (la ville a été sous protectorat de 1912 à 1956). Heureusement, l'Institut de formation aux carrières de santé (IFCS) a reçu, voici deux ans, de superbes locaux, entièrement neufs et dotés de la climatisation.

Stage en zone rurale

« Nous avons vécu pendant trente ans dans des préfabriqués sans l'air conditionné, c'était vraiment dur, se souvient Mohamed Lakhbiaz, le directeur de l'Institut. Maintenant, c'est un vrai bonheur ! » L'homme se fait un plaisir de nous faire visiter son établissement, situé dans l'enceinte de l'hôpital de Tétouan, l'un des meilleurs du Maroc : majestueux amphi de 150 places (aussi utilisé pour des congrès de médecins), cinq salles de cours, trois salles de démonstration pratique, un espace informatique avec connexion Internet... « Le programme des cours est calqué sur celui des écoles françaises, explique Moustapha El Mahoti, le directeur des études. La formation dure trois ans, avec une spécialisation en troisième année, et un mémoire à rédiger, de 30 à 70 pages. » Avec une différence notable : à la fin de la deuxième année, chaque étudiant doit partir faire un stage en zone rurale, et soigner des populations très pauvres, nomades pour certaines : « On peut se retrouver dans des dispensaires sans eau ni électricité, souligne Nasyra, 23 ans, étudiante en troisième année. Je ne vous explique pas la galère ! »

Le Maroc compte entre 20 000 et 22 000 infirmières (et 8 500 médecins), pour 30 millions de personnes. Récemment, le ministre de la Santé a déclaré qu'il manquait 9 000 infirmières pour couvrir les besoins du pays. En 2003, 17 anciennes écoles d'infirmières ont été rouvertes, ce qui porte leur nombre à 21 aujourd'hui(1). Cette pénurie de soignantes se ressent dans les rapports avec les médecins. « à l'hôpital de Tétouan, chaque service ne compte que cinq infirmiers au maximum, explique Wâdia, 27 ans, en troisième année. Le médecin est forcé d'entretenir de bonnes relations avec chacun d'eux, sinon son service peut vite se retrouver bloqué. »

Pas de flirt !

À l'IFCS, 120 élèves sont en formation polyvalente (59 garçons et 61 filles), auxquels s'ajoutent une vingtaine d'étudiantes sages-femmes. Entre midi et deux heures, tous ces étudiants se retrouvent à la petite cafétéria de l'hôpital pour manger un sandwich et boire un café. Nous y retrouvons Nasyra, Wâdia, et leurs camarades Mounir (29 ans) et Laïla (24 ans), eux aussi en dernière année. Tous ont choisi ce métier « essentiellement pour la sécurité de l'emploi ».

Ils préféreraient obtenir un poste « en ville » (sauf Laïla, que « les zones rurales n'effraient pas »), et de préférence près de leurs parents. « J'habite toujours chez eux, et j'attends d'être mariée pour les quitter », souligne Nasyra. À propos du mariage, l'IFCS se révèle souvent une bonne agence matrimoniale. « Mais attention !, s'amuse Wâdia. Interdiction de flirter à l'école ! Si on se fait prendre, c'est l'expulsion immédiate ». Au moins pour quelques jours, comme nous le confirmera Mohamed Lakhbiaz, le directeur.

Pourquoi le français ?

Principal problème de ces études, la langue : « Nous vivons une situation complètement schizophrène !, déplore Nasyra. En primaire et en secondaire, l'enseignement est en arabe, avec le français comme langue étrangère, soit quelques heures par semaine. à l'IFCS, tous les cours sont soudain en français. Mais lors des stages à l'hôpital, on s'aperçoit que la langue utilisée est à nouveau l'arabe, sauf pour quelques termes vraiment techniques. Alors pourquoi ne pas enseigner en arabe ? »

Nous renvoyons la question à Moustapha El Mahoti, le directeur des études. Il semble soudain gêné : « N'y voyez pas là une trace du Protectorat ! Mais c'est si jamais l'étudiant doit faire un exposé devant un public francophone »...

Quand la question de la religion est abordée, des débats deviennent soudain très animés. Laïla (qui porte un foulard cachant ses cheveux) : « La religion dit que c'est interdit qu'une femme soigne un homme, et inversement. J'aimerais que la loi, au Maroc, impose une règle dans ce sens. » Nasyra (qui porte elle aussi un foulard) : « Moi, ça ne me pose absolument aucun problème. » Mounir, légèrement agacé : « Je n'ai jamais rencontré de résistance de la part de patientes. J'ai même fait un stage dans un foyer de planification familiale : les femmes n'avaient aucune gêne à me parler de leur sexualité. Le vrai problème, au Maroc, ce sont les collègues qui pensent comme Laïla ! »

À l'issue des études, les nouveaux diplômés sont envoyés à travers toute la région sur des postes vacants, en fonction de leur classement aux examens de fin d'année. Seuls un ou deux envisagent de partir travailler à l'étranger (Espagne, Canada, Australie), malgré de lourdes difficultés administratives.

Sécurité de l'emploi

Certains choisissent-ils le libéral ? « Ils sont extrêmement rares, répond le directeur de l'institut. Les infirmières libérales ne représentent que 5 % de la profession. Ce sont essentiellement des femmes à la retraite, ou en préretraite. Nos élèves préfèrent la sécurité de l'emploi du secteur public. » Et les échanges avec des écoles étrangères ? « Je l'appelle de tous mes voeux !, lance le Docteur Belf'kih, délégué général de la Santé pour la province Tanger-Tétouan. Actuellement, nous avons une étudiante suisse et une japonaise. Cela me ferait vraiment plaisir de recevoir un jour une Française ! »

1- Le Maroc compte aussi des dizaines d'écoles privées, dont le diplôme n'est pas reconnu par le ministère de la Santé. Leurs étudiants trouvent des postes dans des infirmeries d'entreprises, avec des salaires souvent plus élevés.