« Super maman » est malade ! - L'Infirmière Magazine n° 232 du 01/11/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 232 du 01/11/2007

 

Vous

Vécu

Je souhaite revenir sur le vécu quotidien, tel qu'il apparaît dès le début de la maladie [d'Alzheimer], et sur les modifications que cela entraîne pour la famille. Il s'agit bien pour le malade d'une perte progressive d'autonomie et pour l'entourage, de comprendre cette transformation.

tâches « rassurantes »

Quand elle était à la maison, maman se raccrochait à certaines tâches qu'elle savait encore faire. C'est ainsi qu'elle pouvait balayer dix fois de suite la terrasse, ne se souvenant pas qu'elle venait de le faire ! J'avais à ce moment-là des mouvements d'humeur et d'impatience. Je n'avais pas bien compris qu'elle se sécurisait elle-même, se persuadant qu'elle pouvait encore accomplir de petits travaux.

En discutant avec le médecin, j'ai perçu au contraire que je devais lui donner des choses simples à faire pour l'aider à continuer d'être utile et d'exister dans la famille. Mais il est si difficile d'admettre que « sa super maman est malade ». On a tellement envie de s'accrocher à l'espoir qu'elle est encore, d'une certaine façon « au-dessus de vous et qu'elle vous protège ».

honte

Au cours du temps, mes réactions vives et mon énervement m'ont culpabilisée, j'en pleurais beaucoup. Mon sentiment d'agressivité envers ma mère me faisait mal ; je m'en voulais de ne pas être assez forte pour pouvoir l'aider. C'est bien à moi que j'en voulais. À ce moment là, on se fait l'effet d'être un monstre. Une certaine honte de soi-même... Et pourtant, on sait qu'il s'agit d'une maladie, mais on est trop meurtri pour l'accepter.

Ma soeur et moi parlions beaucoup de cela, car elle éprouvait les mêmes difficultés, les mêmes tourments. Nous nous épaulions toutes les deux, essayant de nous rassurer réciproquement, attribuant en partie nos réactions négatives à une fatigue immense.

engrenage

Il faut ajouter à tout cela que ce dur et long chemin s'est confondu durant plusieurs années avec le rythme rapide de ma vie professionnelle et familiale. J'avais un peu moins de quarante ans, ma vie était chargée entre mon rôle d'épouse, trois jeunes enfants, maman, ma belle-mère, une maison à rebâtir... ou presque ! Plusieurs problèmes graves à gérer en même temps. Je me sentais prise dans un engrenage et sans cesse rattrapée par le temps qui me manquait. Comment garder le calme et la sérénité si nécessaires ?

sentiments contradictoires

Face à la souffrance que je ressentais et que j'ai pu exprimer, j'ai apprécié le soutien moral qui m'a été apporté par l'ensemble de votre équipe (NDLR : lire l'encadré ). On m'a bien expliqué que mon désarroi, entraîné par des sentiments contradictoires, était couramment vécu par les familles, que mes réactions étaient, d'une certaine façon, normales. Cela m'a beaucoup aidée à parcourir ce chemin, d'autres l'avaient connu avant moi.

hors des schémas

Devant une telle maladie, j'ai éprouvé le besoin de faire un point sur moi-même, me remémorant ma jeunesse et la vie avec mes parents, essayant de retrouver dans le passé ce qui pourrait peut-être expliquer le présent. J'avais lu des écrits sur la maladie d'Alzheimer, sur ce qui pouvait la favoriser.

La vie qu'avait menée maman jusque-là ne correspondait pas aux schémas décrits. En raison de la profession de mon père, elle était très souvent seule, faisant face aux circonstances, ne baissant jamais les bras et résolvant les problèmes.Elle a été un exemple pour nous ; peut-être est-ce sa grande réussite en tant que mère, car nous avons, ma soeur et moi, la même attitude, essayant de rester malgré tout positives, battantes et autonomes.

en savoir plus

Ce témoignage est issu de Rencontres avec les malades Alzheimer, ouvrage écrit par deux bénévoles d'accompagnement. Étonnement, admiration, tendresse, mais aussi agacement, impression d'impuissance... Françoise Gourgues et Marie-Hélène Wagner dévoilent les sentiments mêlés que ces malades éveillent. Riches de longs moments partagés avec les patients, elles tracent de précieuses pistes sur le chemin de l'écoute. Elles livrent également aux soignants une réflexion, modeste mais précieuse, sur la rencontre avec « l'être souffrant ».

Rencontres avec les malades Alzheimer, Françoise Gourgues, Marie-Hélène Wagner, L'Harmattan.