Un amendement bien gênant - L'Infirmière Magazine n° 232 du 01/11/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 232 du 01/11/2007

 

Tests ADN

Éthique

Saisis en urgence par un sénateur, les sages du Comité consultatif national d'éthique disent tout le mal qu'ils pensent du recours à un test génétique pour établir la réalité d'une filiation.

« L'erreur est de laisser penser qu'en retrouvant le gène, la filiation serait atteinte. La filiation passe par un récit, une parole, pas par la science. L'identité d'une personne et la nature de ses liens familiaux ne peuvent se réduire à leur dimension biologique. La protection et l'intérêt de l'enfant doivent être une priorité quand il s'agit de décisions concernant la famille. Le doute devrait jouer a priori au bénéfice de l'enfant », estime le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dans son 100e avis, rendu public le 3 octobre dernier (1).

grand bruit

Contenu dans la loi sur l'immigration portée par le gouvernement, l'amendement introduit par le député UMP Thierry Mariani fait grand bruit depuis plusieurs semaines, y compris au sein de la majorité et de l'équipe du Premier ministre. Si, de lectures en relectures par les députés et sénateurs, l'amendement s'est vu amendé, il reste présent dans le projet de loi.

science sans conscience...

Pour l'heure, il ne concerne que les enfants faisant l'objet d'une demande de visa de plus de trois mois dans le cadre du regroupement familial. Les partisans du test génétique arguent qu'à la faveur de registres d'état civil défaillants, voire en leur absence, nombre de familles passeraient en fraude une progéniture qui ne serait pas la leur. Bref, le test garantirait que les enfants sont bien nés de leur mère. Les familles conserveraient le choix de ne pas se soumettre au test, mais, dans ce cas, la procédure pourrait durer des mois.

Une fois de plus, la science est appelée comme caution éthique et morale pour valider un projet politique qui en est totalement dénué - en l'état, l'article est même contraire à la loi de bioéthique, adoptée en 2004. S'agissant des tests génétiques, déjà utilisés en matière criminelle et civile, on est loin de leur objet originel. Rappelons que leur vocation est de permettre, pour faire court, d'identifier une anomalie génétique pouvant être à l'origine d'une maladie.

et l'adoption ?

« Le risque d'instrumentalisation de la génétique à des fins sociales et culturelles ne doit pas altérer l'image d'une discipline scientifique dont la contribution dans le champ médical au soulagement de la souffrance est majeure », insiste le CCNE. Et quid des enfants qui auraient été adoptés ? Devraient-ils voir se refermer les portes de nos frontières ? La question sera sans doute tranchée par le Conseil constitutionnel une fois la loi adoptée. Ce dernier pourrait, notamment, estimer qu'elle introduit une atteinte à l'égalité, puisqu'un enfant adopté ne pourrait prouver sa filiation via un test ADN. « Nos concitoyens comprendraient peut-être mieux l'exacte réalité de tels enjeux s'ils étaient confrontés à des exigences analogues lors de leur propre demande de visa », conclut le CCNE. On ne saurait mieux dire...

1- En ligne sur http://www.ccne-ethique.fr.

TÉMOIN Aurélie Lavolé

« Alarmant et dangereux »

« J'estime que l'emploi du test ADN dans le cadre de l'amendement Mariani est une déviance. C'est pour cette raison que j'ai signé la pétition lancée par SOS-Racisme et Charlie Hebdo, déclare Aurélie Lavolé, infirmière de secteur psychiatrique. Les liens familiaux, en effet, ne sont pas établis par les liens du sang. On est l'enfant de ses parents, pas de ses parents biologiques. Ce principe, qui vaut pour nous, doit également s'appliquer aux enfants de personnes migrantes. Et puis, comment expliquer à un enfant que l'on a décrété que ses parents ne l'étaient pas ou ne pouvaient plus l'être ? De surcroît, cette proposition nourrit une conception eugéniste de la société, puisqu'elle vise à caractériser les gens en fonction de leurs gènes et pas de ce qu'ils sont en tant que personne. Je trouve cette posture alarmante et dangereuse. Enfin, en tant que soignante, je suis contre l'utilisation des outils scientifiques à des fins de contrôle social. Leur vocation est d'offrir plus de liberté, pas de la restreindre. Si on accepte cet amendement aujourd'hui, qu'acceptera-t-on demain ? »