Au chevet des brûlures d'enfance - L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007

 

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À l'hôpital Clocheville de Tours, un service prend en charge les enfants gravement brûlés. La présence des parents y est résolument encouragée.

Discrètement logé dans un petit espace à l'écart des autres unités de soin, le service des « brûlés » de l'hôpital pour enfants Clocheville de Tours est à part à bien des égards. Théoriquement, trois patients seulement peuvent y séjourner. Mais, notoriété du service et pénurie de places dans les centres alentour obligent, l'équipe médicale peut recevoir jusqu'à cinq patients à la fois.

L'unité spécialisée (1), classée centre de référence, prend en charge chaque année plus de 200 enfants. Une soixantaine, les plus gravement touchés, sont hospitalisés pour un mois, en moyenne, dans l'un des trois lits de soins intensifs. Les 150 autres fréquentent l'établissement pour des soins réguliers. En général, après leur séjour, les victimes partent en rééducation dans un centre spécialisé en région parisienne ou au Mans, puis en cure thermale, souvent à La Roche-Posay (Vienne), pour assouplir la peau.

ne pas baisser la garde

Début juillet, deux nourrissons grièvement touchés par des accidents domestiques occupaient les lieux, aux côtés d'Ophélie, une adolescente de 14 ans. Pour elle, cela n'a rien de nouveau : depuis près de huit ans, elle enchaîne les opérations chirurgicales et les séances de rééducation.

En ce début d'été, un calme relatif plane sur le service. Mais le personnel n'a pas l'intention de baisser la garde à l'approche des grandes vacances. « Les accidents domestiques surviennent souvent à cette période. Des pratiques comme le barbecue accroissent le risque. Dans le même temps, Paris ferme la moitié de ses lits, Nantes est très vite saturé. Comme les centres de référence inter-région ne sont pas légion dans le Centre-Ouest, on fait vite appel à nous », explique Anne Letouze, médecin en chirurgie viscérale.

Ainsi, au début du printemps dernier, l'hôpital Clocheville a pris en charge la petite Anaïs. La fillette de six ans « était à proximité d'un allume-barbecue liquide posé trop près d'une source de chaleur, qui a explosé, explique le chirurgien qui exerce à Tours depuis son internat. Elle s'est enflammée très vite. Son père, qui l'a aspergée d'eau, a été brûlé au visage. Sa mère a été blessée à la main. Malheureusement, ce sont des cas assez ordinaires. »

la cuisine, pièce à hauts risques

Par définition, les accidents domestiques ne préviennent pas. Anne Letouze cite le cas d'un bébé de dix jours sévèrement brûlé un 31 décembre. Le contact prolongé avec une bouilloire lui a coûté la perte de deux orteils. Elle se souvient d'un autre enfant, d'une dizaine d'années, qui a reçu le contenu d'une friteuse sur la tête. « La brûlure a été très profonde. Nous lui avons greffé du derme artificiel. Aujourd'hui, il n'a plus de cheveux. » La cuisine arrive d'ailleurs en tête des pièces à risque. Autre lieu dangereux : la salle de bain où l'eau de douche mal réglée peut occasionner des brûlures profondes. « Les situations dangereuses sont multiples. Prenez par exemple les ados qui bricolent leur scooter la cigarette au bec, ou les pétards qui font des ravages... »

Anne Letouze évoque, enfin, des histoires de maltraitance, des brûlures intentionnelles ou par négligence, « plus fréquentes que ce que l'on pourrait croire ». Au-delà de ces situations dramatiques, le docteur Letouze constate que « les victimes de brûlures, accidentelles ou non, proviennent souvent de milieux sociaux en grande difficulté. C'est une remarque qui, malheureusement, n'a rien de caricatural. »

à l'écoute

D'où la présence d'Yvette, la psychologue clinicienne du service, qui assure un travail d'accompagnement des enfants et des parents. « Elle ne force pas les gens à prendre des rendez-vous fixes. C'est plutôt elle qui vient à leur rencontre. Elle se promène dans le service, prend la température, montre qu'elle est là si les patients ont envie de se livrer. En parallèle, elle gère les échelles de douleur. C'est très important, notamment pour les plus petits, pour lesquels il est difficile de mesurer le niveau de souffrance. » Son rôle s'étend à l'écoute du personnel soignant, auquel il arrive d'être désarmé. « Elle intervient lorsqu'il y a un rapport conflictuel avec la famille. Elle est aussi là quand les enfants sont confrontés à la mort. Nous avons déjà reçu des enfants dont les parents avaient péri au cours d'un incendie », poursuit Anne Letouze.

soutien familial

Yvette met sur les rails un travail de longue haleine, qui se poursuit, dans la plupart des cas, sur plusieurs années. « Dans un premier temps, les familles doivent apprendre à vivre avec le risque. Je suis là pour déculpabiliser les parents qui sont désemparés après un accident, explique-t-elle. Ensuite, il faut qu'eux-mêmes acceptent l'idée que le corps de leur enfant va changer. Plus tôt ils intègrent cette donnée, plus tôt l'enfant sera en mesure d'appréhender ces changements. » La psychologue passe ensuite le relais à l'équipe soignante. Avec comme objectif de transformer ce lien en travail de coopération.

Dans le processus de rééducation, l'association des parents se fait graduellement. « Au départ, certains se sentent exclus. On essaye de les intégrer progressivement. À la sortie de l'hôpital, leur rôle sera essentiel. Par exemple, on leur apprend à faire des massages. C'est très important pour la cicatrisation », précise le médecin-chef.

Durant la phase d'hospitalisation, le soutien affectif et psychologique des parents est un précieux atout. À tel point qu'on les autorise à prendre des nouvelles par téléphone, et même à se rendre à l'hôpital à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. « C'est utile, notamment quand les enfants sont agités. Le maintien du contact familial est essentiel dans les deux sens. C'est l'une des spécificités de Clocheville. »

Ceux qui sont hébergés dans la « maison des parents », créée dans une rue parallèle il y a une dizaine d'années, ont à peine quelques mètres à faire en cas de besoin. « Cette structure est salutaire. Surtout quand l'hospitalisation est de longue durée ! »

entamer la rééducation

Les plus soucieux sont apaisés par l'idée de se savoir proches. Peu après l'arrivée de la petite Lola à Clocheville, Emmanuel, son père (lire encadré ci-dessus) a appelé plusieurs fois le service en pleine nuit : « Au début, c'était très angoissant. J'avais beau accorder une confiance totale à l'équipe médicale, il fallait que je suive l'évolution de l'état de santé de ma fille. Je dormais très mal, ça m'a vraiment aidé. » Car il faut beaucoup de temps à chaque membre de la famille pour se remettre d'un tel traumatisme. Et il est tout aussi difficile pour les parents de prendre conscience que la rééducation est un processus de longue haleine. Qui dure parfois toute une vie.

1- La France ne compte que cinq autres unités pédiatriques analogues.

interview

« On a toujours un sentiment de culpabilité »

La mère de Lola, huit mois, hospitalisée à Clocheville, raconte : « J'étais dans la cuisine avec elle quand l'accident a eu lieu. Elle devait jouer avec le fil de la cafetière, qui lui est tombé dessus.

Son père était au travail. J'étais paniquée. J'ai appelé mes parents, on l'a emmenée aux urgences de Châteauroux. Ils ont à leur tour alerté le Samu, qui lui a donné les premiers soins. Elle a été transférée au service des brûlés, cela fait un mois maintenant. D'après les médecins, elle va bientôt sortir : son état s'est considérablement amélioré.

Quand elle est arrivée, ma fille était touchée à 15 % (deuxième degré profond). Elle a été greffée sur l'avant-bras, la main, la face dorsale du doigt et sur la racine de la cuisse. Maintenant, elle joue, elle bouge, elle mange sans problème. Elle est donc au niveau le plus bas de l'échelle de douleur. Elle ne reçoit plus de morphine. La seule chose qui soit source de douleur, d'après le docteur Letouze, ce sont ses pansements. C'est la raison pour laquelle ces opérations ont lieu sous anesthésie. Elle est plus courageuse que nous, ses parents !

J'ai appris à faire des massages. Étant mère au foyer et sans autres enfants, je vais m'occuper d'elle à sa sortie. Exclusivement. On a toujours un sentiment de culpabilité qui s'empare de nous comme un aimant. Même si on nous apprend à nous en sortir. »