Dépister les retards de croissance - L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007

 

endocrinologie

Cours

Quand un enfant ne grandit pas normalement, surtout s'il a des parents et des frères et soeurs de taille normale, il ne faut jamais dire « on a le temps, on verra plus tard ! » Même si les traitements contre les retards de croissance sont de plus en plus efficaces, encore faut-il savoir repérer les symptômes avant qu'ils ne s'aggravent. Cela confère à l'infirmière d'importantes responsabilités.

LA CROISSANCE NORMALE

Un enfant ne grandit pas en suivant un chemin tracé d'avance. On imagine trop souvent qu'il est possible de donner une recette simple pour s'assurer que « tout va bien » : ce n'est pas le cas, car la croissance obéit à de multiples facteurs. Certaines courbes de croissance positionnées en dessous de la moyenne pendant l'enfance évoquent une maladie, mais aboutissent à une taille normale à l'âge adulte... Il faut donc garder en mémoire les éléments qui permettent de distinguer le normal du pathologique.

Critères de la croissance normale

Auxologie. L'auxologie est la science métrique de la croissance. Elle définit les normes de taille, de poids, la mesure des divers segments corporels (tronc, membres) en tenant compte, à partir de la période néonatale, de leur évolution jusqu'à l'âge adulte dans les deux sexes. En pratique, c'est d'abord le profil de croissance qui intéresse les parents : plus il se rapproche de la moyenne, plus c'est rassurant ! C'est pourquoi les courbes de croissance figurent dans le carnet de santé : il importe de les avoir sous les yeux pour comprendre ce qui suit. On constate le dessin de diverses courbes de la naissance à l'âge adulte. Il existe une courbe médiane ou moyenne entourée au-dessus et en dessous d'autres courbes séparées par des « couloirs ». Au bout de ces courbes, en fin de croissance, sont indiqués, soit des percentiles, soit des déviations standard (DS). De quoi s'agit-il ?

- Le 50e percentile correspond à la croissance et à la taille moyennes pour la population française, exprimées en DS. Le 97e percentile marque un écart de + 2 DS par rapport à la moyenne. Le 3e percentile, lui, représente une déviation de - 2 DS. Ces valeurs indiquent les limites extrêmes de la taille normale pour les plus grands et les plus petits. En pratique, les tailles normales, en France, sont statistiquement les suivantes :

- pour les hommes, entre 1 m 63 et 1 m 86, avec une moyenne située à 1 m 75 ;

- pour les femmes, entre 1 m 51 et 1m 75, avec une moyenne d'1 m 63.

97 % de la population se situent dans ces normes. Ainsi, nous sommes entourés de grands, de moyens et de plus petits... mais qui sont presque tous « normaux ». Ceci dit, chaque population doit établir ses propres standards de taille : par exemple, les habitants du nord de l'Europe sont en moyenne plus grands que les Latins.

Comment interpréter une courbe de croissance ? La taille est mesurée deux fois par an et elle est inscrite dans le carnet de santé. C'est à partir de l'âge de 2 ans que l'enfant se positionne dans son couloir, sur la courbe moyenne dans l'idéal. D'après les normes de taille mentionnées ci-dessus, un sujet dont la taille adulte est située dans la zone des « petits normaux » se positionnera naturellement dans le couloir entre - 1 et - 2 DS, et il doit normalement y rester.

Avant la puberté, et spécialement chez les garçons, on observe un ralentissement dit « prépubertaire » physiologique : une sortie du couloir est alors possible. Ce ralentissement précède la poussée de croissance de la puberté qui se produit dès l'apparition des bourgeons mammaires chez la fille vers l'âge de 10 ans et demi à 11 ans. Ce pic de croissance est plus tardif chez le garçon, dont les caractères sexuels apparaissent deux ans après ceux des filles ; en outre, leur poussée de croissance survient en milieu de développement pubertaire : un décalage de taille important existe chez les adolescents, ce qui n'est pas sans conséquence psychologique au lycée. Les modifications de la taille à l'adolescence doivent donc être connues pour interpréter les accidents de croissance.

Avant la période pubertaire, tout ralentissement de la croissance, aussi appelé « cassure de la courbe », doit être pris en considération. L'enfant ne doit pas quitter son couloir ! Il faut aussi le peser et comparer les profils des courbes de taille et de poids. Les courbes d'indice de masse corporelle ou BMI (body mass index) de Rolland Cachera sont très utiles pour apprécier le rapport poids-taille et suivre l'évolution.

L'âge osseux. La croissance étant dépendante du squelette osseux, il est logique d'en suivre le développement pour surveiller la concordance entre la taille et la maturation osseuse. Une grande part du raisonnement repose sur cette notion de maturation osseuse : on peut en effet établir une relation entre l'âge civil, la taille et le degré de maturation du squelette.

Deux anatomistes américains ont analysé les radiographies prises de face du poignet et de la main gauches des garçons et des filles ayant une croissance normale. Ils ont ensuite sélectionné les clichés de ces sujets de leur naissance jusqu'à la fin de leur croissance, les réunissant dans le fameux atlas de Greulich et Pyle, universellement utilisé dans les consultations de croissance et les services de radiologie. La progression de la maturation osseuse a ainsi été établie une à deux fois par an sous forme de grandes photographies.

La main et le poignet ont l'avantage d'être faciles à radiographier (faible irradiation et faible coût) et de comporter des os plats et des os longs, fournissant un panorama représentatif de la maturation de l'ensemble du squelette. Néanmoins, à la naissance et au cours de la première année de vie, cet atlas ne fournit pas assez d'informations et il faut aussi radiographier les genoux et les chevilles.

Le médecin peut ainsi observer, tous les six mois, les modifications anatomiques des cartilages de croissance et leur degré de fermeture. Le but est de comparer lors des consultations le cliché de la main, posé sur le négatoscope, à la photographie qui s'en rapproche le plus dans l'atlas : normalement, on observe une concordance entre le degré de maturation des os chaque année ou demi-année et l'âge civil donné.

Si l'âge osseux est en retard de plus de deux ans sur l'âge civil, c'est une alerte. Autrement dit, un enfant qui casse sa courbe et sort de son couloir, et dont l'âge osseux s'écarte de plus en plus des tailles marquées sur celle-ci, doit subir des examens en hôpital de jour, en particulier un dosage de son hormone de croissance.

L'âge osseux est aussi un indicateur du pronostic de taille puisque l'écart entre l'âge civil et l'âge osseux est d'une certaine manière favorable s'il existe une possibilité thérapeutique : on observe alors une reprise de la croissance, dite de « rattrapage » : d'où la notion de « capital osseux ». À l'inverse, en cas de petite taille sans retard d'âge osseux, le pronostic est moins favorable.

Pronostic de taille. Il existe plusieurs formules pour calculer la taille cible génétique, niveau projeté de ce que devrait être la taille adulte en fonction de la taille des parents, tous autres facteurs étant exclus. La formule classique est : [Taille du père + celle de la mère + 13 (garçon) ou - 13 (fille)]/2, avec une marge d'erreur de 8,5 cm.

Cette méthode est théorique car elle suppose une certaine homogénéité de la taille des parents. Si le père mesure 1 m 80 (+ 1 DS) et la mère 1 m 56 (- 1 DS), le risque est grand de se tromper : c'est pourquoi on constate parfois des variations de taille chez les enfants issus de parents dont les tailles ne sont pas homogènes. À l'inverse, quand les parents sont tous deux de grande taille, le pronostic est en général assez précis.

Ceci dit, il est plus intéressant d'envisager le pronostic de taille finale en regardant dans quel couloir se situent la taille et l'âge osseux : avec de l'expérience, on peut obtenir une assez bonne prévision.

Régulation hormonale de la croissance.

Les systèmes hormonaux contrôlant la croissance partent de l'axe hypothalamo-hypophysaire, structure anatomique située au centre du cerveau, entourant le chiasma optique : on le nomme aussi le « cerveau endocrinien ». Il a pour rôle d'envoyer par voie sanguine des signaux hormonaux à distance vers le squelette et les glandes endocrines (surrénales, thyroïde, testicules et ovaires) où ils sont reconnus dans des tissus munis de récepteurs, qui sont chargés de transmettre et d'exécuter la cascade de messages venant de la commande centrale, selon un mode de fonctionnement qui rappelle celui d'un système informatique : un central et des périphériques.

Trois grands axes hormonaux agissent en synergie sur la croissance (voir schéma ci-dessous) :

- L'axe thyréotrope : l'hypophyse sécrète la TSH qui stimule la glande thyroïde. Celle-ci sécrète à son tour de la triodothyronine ou T3 et de la thyroxine ou T4 (1).

- L'axe somatotrope : l'hypophyse sécrète l'hormone de croissance (GH, pour growth hormone). En réalité, elle n'est pas elle-même directement responsable de la croissance : la GH stimule en effet la production hépatique de l'IGF-1 ou insulin-like growth factor-1. C'est cette substance qui va se fixer sur les cartilages de croissance et activer leur développement. L'IGF-1 ne peut cependant pas être sécrétée si elle n'est pas stimulée par la GH. C'est pourquoi cette dernière est utilisée dans le traitement de l'insuffisance hypophysaire - dans laquelle l'IGF-1 endogène est basse - de préférence à l'IGF-1 exogène dont les propriétés pharmacologiques compliquent l'utilisation thérapeutique.

- L'axe gonadotrope : l'hypophyse sécrète les gonadotrophines FSH et LH. C'est à la période pubertaire et chez l'adulte que ces deux hormones interviennent pour stimuler et maintenir chez l'adulte la production de testostérone (testicules) et celle d'oestradiol (ovaires) qui permettent la poussée de croissance et l'apparition des caractères sexuels secondaires (voir schéma).

RETARDS DE CROISSANCE

Dépistage en consultation. Quand on examine pour la première fois un enfant amené en consultation pour retard de croissance, la démarche clinique est bien codifiée :

- Mesures de la taille et du poids. Pour la taille, le geste n'est pas si simple, car l'enfant a peur de la toise que l'on abaisse, il fléchit les genoux et il faut lui expliquer cette manipulation comme un jeu ! Il est mesuré debout à partir de l'âge de 3 ans environ, pieds nus, talons joints, bras le long du corps, tête droite. Comme les parents fournissent souvent au médecin des renseignements erronés sur leur propre taille, il est utile de les mesurer aussi ! Les mensurations du nouveau-né sont parfois imprécises, surtout s'il existe une détresse vitale, par exemple en cas de grande prématurité. Pour mesurer la taille du nourrisson, il faut être deux et répéter ce geste deux fois pour plus de certitude.

- Reconstitution de la courbe de taille et de poids grâce aux indications trouvées dans le carnet de santé, où sont souvent insérés les bulletins de santé scolaires.

- Recherche d'antécédents familiaux.

- Inventaire des tailles familiales chez les ascendants et dans la fratrie, que l'on reporte sur un dessin de l'arbre généalogique.

- Aspect morphologique du visage, du cou, du tronc, des membres et des mains.

- Examen clinique des différents organes, en insistant sur l'état nutritionnel et musculaire. Ne pas oublier l'examen des amygdales : lorsqu'elles sont hypertrophiées et jointives, accompagnées de ronflements nocturnes, la croissance peut en souffrir et il faut procéder à leur ablation pour que la croissance reprenne.

- Le cadre familial et scolaire, les habitudes alimentaires, l'activité physique et la pratique sportive, le caractère et l'état psychoaffectif sont abordés en fin de consultation.

Une fois cette étape réalisée, il faut envisager la croissance selon l'âge où l'enfant est examiné pour la première fois.

Période néonatale et du nourrisson. L'examen systématique des nouveau-nés dans les maternités permet aux pédiatres de détecter nombre de syndromes d'origine génétique avec une petite taille de naissance. Ils sont souvent adressés en consultation de génétique.

Les coordonnées de naissance et la durée de la gestation sont notées dans le carnet de santé. À terme (39 à 41 semaines), la taille moyenne des garçons, en France, est de 51 cm, tandis que celle des filles est de 50,5 cm. Un nouveau-né peut être prématuré (naissance avant 38 semaines de grossesse) et avoir un poids et/ou une taille de naissance ne correspondant pas au stade de la gestation : on dit alors qu'il est hypotrophe ou encore atteint de retard de croissance intra- utérin (RCIU).

L'étiologie du RCIU est variée. Les causes vasculaires placentaires et l'hypertension artérielle gravidique représentent 30 % des cas ; les intoxications exogènes, liées au tabagisme et/ou l'éthylisme (foetopathie de mère éthylique) ou encore aux drogues représentent aussi 30 % des cas. Dans 15 % à 20 % des RCIU, interviennent la gémellarité, l'hérédité, les syndromes génétiques, les infections et les embryofoetopathies. Enfin, 20 % des RCIU environ restent de cause inconnue.

Ces dernières années, le RCIU, qui concerne 2,5 à 5 % des naissances, a donné lieu à de nombreuses recherches. Il est essentiel de suivre la croissance de ces nouveau-nés à risque après la sortie de la maternité. Si la plupart rattrapent spontanément leur retard dans les deux premières années, environ 10 à 15 % d'entre eux, après le rattrapage statural initial, voient leur courbe de croissance s'infléchir et passer dans le couloir inférieur à - 2 DS. Cliniquement, ils ont un visage triangulaire, un petit menton, parfois une clinodactylie du 5e doigt (il est incurvé en dedans). Ces enfants sont à la limite de la maigreur et ont un petit appétit. L'âge osseux n'est pas retardé chez ces enfants, ce qui n'est pas favorable pour le pronostic de taille. Depuis 1997, ils peuvent, à certaines conditions, être traités avec succès par l'hormone de croissance.

Si le nourrisson a des coordonnées de naissance normales, le ralentissement de la croissance est souvent dû à une cause nutritionnelle. En cas de diarrhée chronique, les deux causes les plus fréquentes sont l'intolérance aux protéines du lait de vache et l'intolérance au gluten, aussi appelée maladie coeliaque.

Le dépistage de l'hypothyroïdie congénitale étant réalisé à la naissance, cette étiologie est maintenant écartée en France. Mais ce dépistage n'est pas fait dans tous les pays : la persistance de l'ictère physiologique, la fontanelle largement ouverte, la macroglossie, l'hypotonie, la tendance à dormir pendant les tétées, les troubles alimentaires, la constipation sont des signes d'alerte. La taille de naissance est normale et l'infléchissement de la courbe de croissance contraste avec une prise pondérale normale. C'est ici que les radiographies du genou et de la cheville sont importantes puisqu'elles montrent l'absence des points de Béclard (absence des points épiphysaires fémoral inférieur, tibial supérieur et cuboïde). À la naissance, il n'existe pas de point carpien : on dit que « le poignet est vide ».

Période de l'enfance. Elle dure de l'âge de 2 ans jusqu'à l'âge de 8 à 10 ans chez les filles, selon la date de survenue de la puberté, et jusqu'à 12 ans chez les garçons. La croissance est régulière pendant cette longue période où l'enfant grandit régulièrement de 5 à 6 cm par an, avant le ralentissement prépubertaire. C'est à partir de l'âge de 6 ans, date de l'entrée à l'école, que le retentissement psychologique du retard de croissance se fait sentir et amène la famille à demander un avis médical.

Insuffisance hypophysaire. C'est la période où sont dépistées nombre de maladies à retentissement endocrinien, en particulier l'insuffisance hypophysaire (voir tableau p. IX et schéma). Elle peut se manifester dès la période néonatale quand un nouveau-né à terme présente des hypoglycémies « inexpliquées ». La taille de naissance varie de 48 à 50 cm. Parfois, les garçons ont un pénis de petite taille.

Chez l'enfant plus grand, les signes cliniques sont évocateurs. Outre la cassure de la courbe de croissance, accompagnée de l'accentuation du retard de la maturation osseuse, l'examen clinique montre que le front est bombé, l'ensellure nasale est prononcée, le panicule adipeux périombilical est augmenté, la voix est aiguë, les masses musculaires sont peu développées : le diagnostic peut être porté cliniquement. L'examen radiologique en IRM de la région hypophysaire révèle souvent une interruption de la tige hypophysaire, parfois aussi une tumeur, comme le craniopharyngiome. Le dosage de la GH montre un déficit, ce qui explique la baisse de l'IGF-1 (voir schéma). Le traitement par l'hormone de croissance est efficace et permet d'atteindre une taille normale, proche de la taille cible génétique, au moins dans les formes non tumorales.

Maladies osseuses constitutionnelles. Nombre de syndromes génétiques retentissant sur la croissance sont dépistés à cette période, en particulier les maladies osseuses constitutionnelles qui représentent une étiologie particulière. Les causes les plus fréquentes sont l'hypochondroplasie et la dyschondrostéose, qui touchent les deux sexes et sont d'autant plus trompeuses qu'elles ne s'accompagnent pas de signes dysmorphiques. Le gène responsable a été trouvé. Il est remarquable que, dans ce vaste groupe d'affections osseuses, l'âge osseux ne soit pas retardé : c'est un élément d'alerte. Les radiographies du squelette sont importantes, non seulement chez l'enfant, mais aussi chez les parents et les autres enfants de la fratrie en raison du caractère parfois héréditaire de ces affections. Si le père et/ou la mère ont une taille à - 2 DS et que l'enfant infléchit sa courbe de croissance, il faut prendre un avis spécialisé. La sécrétion d'hormone de croissance est normale et on s'oriente vers des mécanismes de résistance des cartilages de croissance à l'IGF-1.

Pour dépister ces maladies osseuses, les radiologues d'enfants ont proposé de réaliser, outre la radio de la main, un cliché de l'avant-bras de face, un cliché du bassin de face, un cliché de la colonne lombaire de face, et enfin un cliché du tibia. Avec ces radios, on détecte la plupart des maladies osseuses constitutionnelles.

Petites tailles familiales. Il faut distinguer les maladies osseuses à caractère héréditaire et les petites tailles familiales. De quoi s'agit-il ? Dans ces familles, les tailles se situent à la limite inférieure de la normale, mais ne sont pas inférieures à - 2 DS. Le squelette est normal radiologiquement, ainsi que la sécrétion d'hormone de croissance. Dans certains cas, des anomalies du système des IGF-1 ont été détectées. Comme plusieurs générations sont touchées par cette petite taille, on peut concevoir qu'un ou des gènes sont en cause et ce cadre sera certainement démembré quand les chercheurs découvriront des anomalies précises.

Retard constitutionnel de croissance. Outre ces petites tailles familiales, la cause des petites tailles la plus fréquente en consultation est le retard constitutionnel de croissance, plus fréquents chez les garçons. La croissance des enfants touchés est en dessous de la moyenne et le retard de maturation osseuse est de deux à trois ans.

Cependant, après le positionnement dans leur couloir, la croissance est régulière et la maturation osseuse se poursuit sur la même ligne. L'examen clinique est rassurant, d'autant que l'état nutritionnel et le développement musculaire sont normaux. Le caractère héréditaire est marqué, ce qui renforce le diagnostic. Évidemment, ce n'est pas une situation confortable, d'autant que la puberté est différée à cause du retard de maturation osseuse : en fait, c'est dans cette situation que le terme d'âge osseux trouve toute sa justification. Mais ces enfants sont normaux et, grâce à leur capital osseux, ils atteindront une taille adulte normale, mais plus tardivement que d'habitude. Les garçons peuvent grandir après 20 ans. Le dosage de l'hormone de croissance est normal.

Syndrome de Turner. Touchant à la naissance 1 fille sur 2 500, c'est l'une des plus fréquentes anomalies chromosomiques humaines. Le syndrome peut être découvert en anténatal à l'échographie foetale quand on observe un hygroma de la nuque, un anasarque foetoplacentaire, une cardiopathie. À la naissance, la taille est en moyenne de 47 cm avec un poids normal correspondant à un RCIU asymétrique. Dans la petite enfance, la cassure de la taille survient en général entre la naissance et 3 ans ; cependant, des cassures tardives et trompeuses vers 10 ans sont rarement observées.

Malgré tout, la présentation de ces petites filles est particulière, avec une morphologie trapue, une implantation basse des oreilles, une brièveté du cou, un thorax dit en bouclier (bombant), une microthélie très caractéristique (aréoles mammaires étroites). On observe de nombreux grains de beauté. Les malformations cardiaques sont inconstantes, la plus fréquente étant la coarctation de l'aorte. Quand on a un doute, il est facile de réaliser une échographie pelvienne qui montre un utérus normal et une absence d'ovaires ou des structures hypoplasiques qui expliquent le retard ou l'absence de puberté. Le caryotype confirme le diagnostic. Le traitement par l'hormone de croissance, commencé à l'âge de 3 ans, a permis à ces jeunes femmes, dont la taille spontanée est en moyenne d'1 m 42 en France, de gagner 10 cm, parfois plus, surtout si leurs parents sont grands. Elles ont une intelligence normale et sont maintenant parfaitement insérées dans la société.

Le célèbre adage « toute petite taille inexpliquée chez la petite fille impose la réalisation d'un caryotype » reste vrai.

Origine psychoaffective. Le retard de croissance d'origine psychoaffective mérite d'être mentionné, car il n'est pas exceptionnel. La cassure de la courbe de croissance a généralement lieu avant 5 ans et elle est particulièrement marquée, évoquant une insuffisance hypophysaire : mais les signes cliniques manquent et le dosage de l'hormone de croissance est normal. Ces enfants sont tristes, mais plus gais en dehors de leur milieu familial. C'est un diagnostic difficile, car il n'existe pas d'examen complémentaire capable d'éliminer une cause organique et la seule façon de l'établir est le retrait temporaire du milieu familial, qui s'accompagne d'un rattrapage spontané et spectaculaire de la croissance.

En fait, cette « maladie » fait partie des sévices à enfants au même titre que les sévices corporels ; de ce fait, il faut faire un signalement au juge des enfants, qui autorise le retrait du milieu familial. La cause est un rejet de l'enfant par un ou les parents, alors que les autres enfants de la fratrie grandissent normalement. L'origine de l'arrêt de la croissance se situe dans le cerveau par des mécanismes neuroendocriniens affectant la commande centrale hypothalamique (voir schéma), alors que l'état nutritionnel est normal.

Syndrome de Cushing. Cause rare d'arrêt de croissance, le syndrome de Cushing peut aussi se manifester en période pubertaire. Le contraste entre l'obésité tronculaire, l'aspect érythrosique du visage et le retard de croissance est généralement marqué. Le diagnostic dépend du dosage des hormones surrénaliennes dans le sang et du cortisol libre urinaire qui est très élevé.

Traitement par hormone de croissance. On dispose depuis 1987 de l'hormone de croissance biosynthétique. Les affections traitées par l'hormone de croissance et qui bénéficient d'une prise en charge à 100 % figurent dans le tableau ci-dessous. On constate que la petite taille n'est pas toujours présente dans le syndrome de Prader-Willi. Mais dans ce dernier, il s'agit d'un trouble hypothalamique de la régulation de la sécrétion de GH : c'est de l'hypothalamus que partent les commandes des stimulines hypophysaires, en particulier le facteur de relâche de l'hormone de croissance. Cela explique pourquoi certains sujets atteints de ce syndrome grandissent mal. La GH a des effets métaboliques qui s'expriment particulièrement chez eux : leur obésité, qui est aussi d'origine hypothalamique, diminue avec le traitement, car la GH est une hormone lipolytique.

Dans l'insuffisance rénale, la petite taille est aussi améliorée grâce aux effets métaboliques de la GH. Enfin, dans le syndrome de Turner et dans le retard de croissance intra-utérin, il existe une résistance à l'effet de l'IGF-1 sur les cartilages de croissance. L'administration d'hormone de croissance a pour but de vaincre cette résistance ; d'ailleurs, on donne de plus fortes doses de GH dans ces deux maladies que dans le déficit hypophysaire, où le traitement est substitutif.

Ce traitement est simple à réaliser avec des stylos injecteurs, semblables à ceux que l'on emploie chez les diabétiques. Il est administré par les parents, par l'enfant lui-même ou par une infirmière en cas de difficultés sociales, particulièrement chez le très jeune enfant.

BILAN

Après vingt ans d'utilisation de la GH synthétique, on y voit un peu plus clair. Les effets secondaires sont rares et bénins, comme les céphalées, qui cèdent à l'arrêt transitoire de l'hormone. Les sujets atteints d'insuffisance hypophysaire, dont la taille n'atteignait qu'1 m 10 à 1 m 30, ont maintenant des tailles normales. Les progrès réalisés contre le syndrome de Turner sont eux aussi encourageants. Mais l'histoire de cette hormone ne s'achève pas là, et d'autres affections, comme les maladies osseuses, sont candidates à ce traitement.

1- Lire « Les goitres de l'adulte », L'Infirmière magazine n° 226, avril 2007, pp. III-IX.

2- Auteur d'Endocrinologie périnatale, Doin, 2005.

Rôle infirmier

Comment grandit un enfant, comment savoir si « tout va bien se passer » ? L'infirmière est souvent amenée à intervenir dans le domaine de la croissance, que ce soit à l'hôpital, en consultation de PMI, en santé scolaire ou en exercice libéral, par exemple à l'occasion de visites à domicile où elle peut remarquer qu'un enfant ne grandit pas bien. Les consultations de croissance sont maintenant répandues : c'est de cette expérience que nous traitons ici.

Le trajet des hormones

De l'hypothalamus partent des messages transmis par les facteurs de relâche (RF) des hormones impliquées dans la croissance qui sont sécrétées par les cellules de l'anté-hypophyse. Celle-ci envoie à son tour des messages hormonaux (les stimulines) aux cartilages de croissance (squelette osseux) et aux glandes cibles :

- TSH ou thyroid stimulating hormone (thyroïde) ;

- GH (growth hormone) qui agit pour stimuler la sécrétion hépatique de l'IGF-1, cette dernière constituant le vrai facteur de croissance. En thérapeutique des déficits en GH, cette dernière n'agit que grâce à la production de l'IGF-1 ;

- FSH et LH ou gonadostimulines : elles assurent la production des hormones sexuelles à la puberté et chez l'adulte.

Des causes complexes

Les retards de croissance recouvrent tout le champ de la pédiatrie.

Toutes les maladies organiques chroniques retentissent sur la croissance : affections digestives, hépatiques, rénales, cardiaques, respiratoires... Dans certains pays, les carences nutritionnelles représentent la cause la plus fréquente. La malnutrition chez la femme enceinte retentit sur la croissance foetale, aggravant le pronostic de taille de l'enfant malnutri. En ajoutant à cette liste les facteurs psychoaffectifs, on se rend compte de la complexité du problème.

Examens en hôpital de jour

La plupart des retards de croissance peuvent être investigués lors d'une hospitalisation de jour, pendant laquelle l'infirmière réalise un dosage d'hormone de croissance et des autres hormones impliquées dans la croissance. Les prélèvements de sang à visée métabolique sont demandés. Les clichés osseux de débrouillage et une IRM de la région hypophysaire peuvent être aussi programmés, ainsi que des prélèvements à visée génétique. Cette approche permet de grandement simplifier l'exploration des retards de croissance et d'améliorer la rapidité du diagnostic.

Et la puberté ?

Les retards pubertaires ne pourront être approfondis ici car ce sujet mériterait de nombreux développements. Il faut cependant retenir que :

- Tout retard osseux à l'âge normal de la puberté va retarder l'entrée dans cette période, comme nous l'avons vu à propos du retard constitutionnel de croissance, qui s'accompagne d'une puberté différée ;

- Les hormones sexuelles sont indispensables à l'apparition du pic de croissance ;

- L'insuffisance hypophysaire peut se révéler à l'adolescence quand elle est d'origine tumorale (craniopharyngiome en particulier), entraînant une insuffisance de l'ensemble des stimulines hypophysaires : GH, LH-FSH et TSH en particulier.