Justice et justesse du soin - L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007

 

Dépenses de santé

Éthique

« À force de tirer l'hôpital vers l'entreprise, on finit par ne plus voir quelle est la fonction du soin », prévient le Comité consultatif national d'éthique dans son dernier avis.

Très sollicité en cette fin d'année, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a rendu début novembre son 101e avis (1), dans la foulée du précédent consacré au recours au test ADN dans le cadre du regroupement familial [lire notre édition du mois dernier].

Saisi en 2003 par Rose- Marie Van Lerberghe, alors directrice générale de l'AP-HP, le comité avait été appelé à se prononcer sur « les enjeux éthiques de la contrainte budgétaire sur les dépenses de santé en milieu hospitalier, notamment en matière d'arbitrage des traitements particulièrement coûteux ou des interventions très lourdes ».

Bref, comme le résume le CCNE, « sur quels critères peut-on fonder une décision équitable lorsqu'il s'agit de choisir entre deux impératifs souvent contradictoires : préserver la santé d'un individu et gérer au mieux celle d'une communauté de personnes ? »

lieu d'hospitalité

S'il ne revient pas sur la légitimité de la question, le CCNE estime qu'elle « n'est pas forcément bien posée ». Ainsi, déclare le Pr Didier Sicard, qui préside l'assemblée, « ce n'est pas en fustigeant la consommation de soins par tel ou tel groupe fragilisé par sa pathologie rare ou sa maladie éprouvante qu'on va résoudre la question. Notre obsession est de dire qu'à force de vouloir tirer la gestion de l'hôpital vers celle de l'entreprise, on finit par ne plus voir quelle est la fonction du soin. »

Certes, concède le Pr Sadek Béloucif, rapporteur de l'avis, « éthique et économique ne sont pas incompatibles » et « peuvent se nourrir l'un l'autre », mais « l'hôpital doit rester un lieu d'accueil ». Les membres du comité craignent que les économies se fassent toujours sur le dos des plus fragiles comme, par exemple, les personnes âgées et les patients de psychiatrie. Cependant, le conseil se dit conscient de l'importance d'une rationalisation des soins, pointant le risque de déboucher, à terme, sur « un rationnement des soins ».

choix de société

Pour éviter les dérives, le CCNE appelle à « réintégrer la dimension éthique et humaine dans les dépenses de santé », afin de permettre à l'hôpital de remplir l'ensemble de ses missions, et pas uniquement les plus techniques ou les plus spectaculaires. Sur le plan médical, indique-t-il, « il convient d'avancer l'idée d'une médecine sobre, par opposition à une médecine de redondance. Cette redondance qui veut se donner des allures de précaution n'est bien souvent que le masque d'une paresse intellectuelle et d'une peur d'assumer des choix courageux. »

Le caractère limité des moyens financiers dévolus au système hospitalier implique des choix de société éthiques qui doivent conduire à des prises de positions publiques. Le conseil insiste : « Il n'est ni légitime ni équitable d'en confier la responsabilité aux seuls acteurs hospitaliers, alors qu'ils concernent la société tout entière. »

1- En ligne sur http://www.ccne-ethique.fr.

TÉMOIN Dominique Friard

« Aux dépens des soins »

« Les restrictions budgétaires interviennent partout et à tous les niveaux », déplore Dominique Friard, infirmier de secteur psychiatrique au Centre de santé mentale Hélène-Chaigneau (Gap)(1).

« En ville, cela se traduit par un moindre développement des alternatives à l'hospitalisation. De même, il faut parfois attendre trois mois pour une consultation avec un psychiatre. Quant aux visites à domicile, leur rythme est très insuffisant. Dans ce contexte, il n'est pas rare que des patients se suicident. Les activités de médiation sont aussi sacrifiées et les subventions aux associations de secteur en baisse constante. Les infirmiers et travailleurs sociaux doivent maintenant chercher des sponsors pour avoir les moyens de soigner des patients.

Dans les Hautes-Alpes, l'activité jardinage est, par exemple, financée par le conseil général. Pour cela, nous devons monter des dossiers et rencontrer des partenaires potentiels. Évidemment, toutes ces démarches se font aux dépens des soins directs. »

1- Rédacteur en chef adjoint de la revue Santé mentale.