« L'HP n'évolue pas dans le sens des patients » - L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007

 

Psychiatrie

Questions à

Infirmier et auteur du livre « Bienvenue à l'hôpital psychiatrique ! », Philippe Clément dresse un bilan très critique des mutations vécues par cette institution en vingt ans.

Le métier d'infirmier en psychiatrie a-t-il beaucoup changé depuis vos débuts ?

Il a évolué, pour différentes raisons. Au niveau de la formation initiale, la spécificité des infirmiers de secteur psychiatrique (ISP) a disparu en 1992 au profit de la formation globale d'IDE. À mon sens, c'est une première erreur, car les jeunes infirmiers qui arrivent dans les services manquent de formation. Nous étions mieux préparés, sur le plan pratique, par nos très nombreux stages en psychiatrie, ainsi qu'au niveau théorique.

D'autre part, ce métier n'attire plus tellement . Les jeunes se tournent vers d'autres professions qui sont, pour un nombre d'années d'études équivalent, plus reconnues et moins difficiles. Enfin, la situation de l'hôpital psychiatrique s'est dégradée de manière générale, au niveau des murs mais aussi des conditions de travail.

Dans votre livre (1), vous paraissez nostalgique des anciens hôpitaux psychiatriques...

Je suis nostalgique en voyant l'état de l'hôpital psychiatrique aujourd'hui. Il faudrait réhabiliter « l'asile », dans le sens noble du terme. Les locaux de certains hôpitaux, comme l'EPS Esquirol, à Saint-Maurice [voir encadré parcours] sont vétustes. L'hiver, il faisait 13 à 14 degrés la nuit dans les locaux, et nous ne disposions pas de couvertures supplémentaires pour les patients.

Au sein de l'hôpital général Bichat, à Paris, les locaux du secteur psychiatrique de Maison-Blanche sont plus ou moins neufs, mais construits en dépit du bon sens : la salle de soins est à une extrémité du service, la chambre d'isolement à une autre. La salle pour fumeurs est glauque, très mal aérée, et il y règne un froid polaire en hiver. Or, les patients psychotiques fument beaucoup et les règles ne signifient pas grand-chose pour eux : on « patche » beaucoup de patients, mais ils fument avec leur patch... Le site historique du CHS de Ville-Evrard était convivial : devant chaque pavillon, il y avait un petit jardin. Ce type de construction et d'espace apaisait les patients qui ont beaucoup d'angoisses, d'inquiétudes. Ils sont nombreux à regretter la « délocalisation » des services.

Les nouveaux services de psychiatrie construits au sein des hôpitaux généraux sont sinistres. Cela fait plus propre, c'est sûr, mais les patients ont moins d'espace et sont enfermés dans leur chambre dès qu'ils sont en crise, puis immédiatement médicalisés. On ne laisse plus le temps aux patients de vivre leurs épisodes psychotiques. Quand on supprime leurs épisodes délirants, ils dépriment. Certes, ils font moins de bruit... mais je ne suis pas sûr que cette évolution aille dans leur sens. Avant, il y avait de la vie dans les services. Aujourd'hui, 17 patients sur 20 dorment à 21 heures. Si vous venez la journée, beaucoup dorment. Le matin aussi. C'est tout l'héritage de la psychiatrie institutionnelle qui est remis en question.

Et puis, la nouvelle génération d'infirmiers a tendance à mettre à distance les patients. Bien sûr, il faut une certaine distance en psychiatrie, mais les relations sont moins humaines qu'avant. On peut même dire que nous allons vers une déshumanisation du soin. Sur ce point non plus, je ne pense pas que nous allions dans le sens des patients.

Par ailleurs, les services de psychiatrie, sont saturés. Il faut parfois six mois pour avoir un rendez-vous dans un centre médico-psychologique. 50 000 lits ont été fermés en une vingtaine d'années : du coup, la durée de séjour des patients a diminué. Le problème est que nous soignons des psychoses, pathologies qui demandent du temps. Nous renvoyons des patients non stabilisés à l'extérieur de l'hôpital, tout en sachant que leur situation sociale est chaotique. Ils reviennent une semaine plus tard, et leur situation s'est à nouveau dégradée. Car beaucoup de nos grands malades sont dans l'errance, dans la rue, dans les foyers d'urgence. Au lieu de parler de la dizaine de patients dangereux, pourquoi ne parle- t-on pas des milliers de patients en danger ?

La politique de sectorisation

est-elle un succès à vos yeux ?

Au début des années 1990, il y a eu une volonté, de la part des professionnels de la psychiatrie, de réinsérer socialement les malades mentaux. Mais qu'est ce que cela veut dire, de vouloir réinsérer à tout prix des patients qui ont vécu plus de dix ans en HP pour une schizophrénie ? Certains patients venaient demander qu'on les reprenne à l'hôpital. Car dehors, ils ont peur d'être seuls face à leurs angoisses et à leurs délires. Alors beaucoup fument, s'alcoolisent, et vivent des situations traumatisantes dans la rue. Pour eux, c'est un relatif confort et une sécurité que d'être à l'HP. C'est quand même le seul endroit, aujourd'hui, où on a encore le droit d'être fou ! Enfin, il ne faut pas se leurrer. Derrière le mouvement dit de « réinsertion sociale », il y avait la volonté des pouvoirs publics de fermer des lits. C'était un calcul purement économique.

Vous paraissez inquiet, dans votre livre, quant au respect des droits des patients et de leur dignité...

La psychiatrie est une zone de non-droit. La loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux est la seule loi de privation de la liberté dans laquelle aucune autorité judiciaire n'est concernée... Je suis inquiet car cette loi ne respecte pas les principes élémentaires du droit.

Beaucoup de formulations de cette loi prêtent à confusion et laissent la porte ouverte aux dérives : ainsi, l'article L. 326-3 [du Code de la santé publique, modifié par la loi de 1990] prévoit que « lorsqu'une personne est hospitalisée sans son consentement, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en oeuvre de son traitement ». Dans certains services, les patients sont mis systématiquement en pyjama sous prétexte que la personne est hospitalisée sur demande d'un tiers (HDT). Ceci n'est pourtant pas « nécessaire à son état de santé ». Les patients sont souvent enfermés dans leur chambre, ce qui pose de vraies questions de sécurité, car les chambres n'ont pas été conçues pour cela.

De plus en plus, les patients arrivent à l'hôpital en « pré-HDT », c'est-à-dire que le certificat du deuxième médecin manque au dossier. Or, la seule exception prévue par la loi ne doit rentrer en jeu qu'en cas de « péril imminent ». L'exception s'est transformée en règle, puisque plus de la moitié des personnes qui sont hospitalisées en HDT le sont avec un seul certificat à leur arrivée à l'HP.

C'est toute la difficulté en psychiatrie : on a l'impression que la « nécessité des soins » permet tout, et que cette nécessité fait loi. Cette évolution est à inscrire dans une tendance plus globale d'augmentation du nombre des HDT, qui est elle-même liée au manque de personnel soignant. C'est un cercle vicieux !

De manière générale, on cherche moins à obtenir le consentement des patients qu'il y a une vingtaine d'années. Cette notion de « consentement » mériterait d'être redéfinie. Concernant les hospitalisations libres [article L. 326-2], le patient est censé disposer « des mêmes droits liés à l'exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades hospitalisés pour une autre cause »... ce qui n'est pas le cas. Il n'a pas le droit de téléphoner, ni d'avoir de visite, il ne peut sortir du service, ni même parfois de sa chambre, et peut être confiné en chambre d'isolement.

Enfin, les HP sont peu contrôlés. Sur le papier, la commission des hospitalisations psychiatriques (comprenant un psychiatre, un magistrat et deux personnes qualifiées) est censée visiter les établissements et examiner les situations des personnes hospitalisées sans leur consentement, afin d'éviter les abus. Dans les faits, ces personnes, quand elles viennent, passent directement à la direction signer le livre des hospitalisations d'office ou sur demande d'un tiers, mais elles ne se rendent pas dans les services...

Que pensez-vous du recours aux chambres d'isolement ?

Les patients y sont placés de plus en plus rapidement. Cela peut être nécessaire pour qu'un patient ne mette pas les autres en danger. Parfois, nous sommes confrontés à la folie et nous sommes dépassés, et on ne peut pas faire autrement qu'enfermer le patient. Mais alors, pourquoi se justifier en disant que cet enfermement est thérapeutique ? De plus en plus de professionnels de la psychiatrie nourrissent le fantasme de maîtriser la folie, ce qui mène à une surmédicalisation. On réduit de plus en plus les patients à leur pathologie. Il me semble que les paroles de Bonnafé sont à méditer : « Il s'agit moins de les soigner que de les accompagner. »

1- Bienvenue à l'hôpital psychiatrique !, éditions Les Empêcheurs de penser en rond, 2007, 15 euros.

parcours

Philippe Clément, infirmier de secteur psychiatrique

- 1982 : Auxiliaire à l'hôpital psychiatrique de Moisselles (95).

- 1988-1991 : Formation d'ISP au CHS de Ville-Évrard (93), où il exerce cinq ans.

- 1996-2002 : ISP au CH de Gonesse (95), puis au CPOA de l'hôpital Sainte-Anne (75).

- 2001 : Publie son premier livre, La Forteresse psychiatrique.

- 2002-2003 : Exerce à l'EPS Esquirol, à Saint-Maurice (94).

- 2003-2006 : Formateur au Cemea d'Aubervilliers (93), une école d'éducateurs spécialisés.

- Depuis 2007 : Mi-temps au Cemea d'Aubervilliers et mi-temps à l'EPS Maison-Blanche (hôpital Bichat, 75).