La médecine au coeur de l'usine

C'est calme, ce matin ! », s'exclame le docteur Véronique Loiez. Chef du service de santé au travail du site Snecma(1) d'Evry-Corbeil (Essonne), elle travaille en étroite collaboration avec cinq infirmiers, un ergonome et deux médecins. C'est son équipe qui assure les visites d'embauche, et qui reçoit les salariés pour les visites périodiques. « Nous connaissons chacune des personnes travaillant sur le site, explique un soignant. Nous savons si chacune est en relation avec des risques spécifiques : produits chimiques, radiations ionisantes, etc. » L'usine emploie 3 500 salariés, ce qui laisse mesurer l'ampleur de la tâche.

univers gigantesque

Vaste de 80 000 m2, ce site d'usinage aéronautique est le plus grand d'Europe. Ici, on façonne et on assemble des pièces de moteurs d'avions, civils comme militaires. Par exemple, l'Airbus A380. À travers la France, les autres sites de Snecma sont répartis entre Villaroche, Gennevilliers, Le Creusot, Istres, Vernon, et Kourou en Guyane. À Corbeil-Essonnes, le service de santé au travail est situé à quelques dizaines de mètres des ateliers.

Dans cet univers gigantesque, où les salariés se déplacent parfois sur des tricycles, les infirmiers préparent et réalisent les audiogrammes, les EFR, l'ergovision. Et parfois, prodiguent les premiers soins : « Une compétence en médecine d'urgence est indispensable sur un gros site industriel, souligne le docteur Sébastien Leroy. Nous gérons aussi les urgences classiques : douleurs abdominales aiguës, infarctus, etc. Nous travaillons en étroite relation avec le Samu et les hôpitaux les plus proches », poursuit-il.

plus humain qu'à l'hôpital

Les trois infirmiers présents ce jour-là travaillent de longue date sur le site. Avant d'arriver, ils venaient de l'AP-HP. Martine Madadi et Éliane Devif, par exemple, ont travaillé en pédiatrie. « L'intérêt en entreprise, confesse cette dernière, ce sont les rapports que nous entretenons avec les salariés. Ici, nous avons le temps de mieux connaître les gens, alors qu'à l'hôpital, ils ne font que passer. En structure hospitalière, les examens sont souvent répétitifs, nous avons aussi une approche de la médecine qui est beaucoup plus variée et humaine ! »

Sur le site de production, le quotidien des infirmiers est parfois rythmé par la pratique des premiers soins, en rapport direct avec les machines-outils utilisées et les matériaux. « Nous soignons des coupures, de petites plaies ou des projections au niveau des yeux », confie Éliane Devif. Copeaux de métal, limaille d'acier... il n'est pas rare de voir des salariés solliciter le service de santé, pour des incidents « qu'il ne faut jamais laisser traîner », précise Éliane. Les accidents liés à l'utilisation de produits chimiques surviennent de façon occasionnelle.

centraliser les données

« Nous avons édité une fiche par produit, avec la composition et l'attitude à adopter concernant la toxicologie du produit, pour les aspects préventifs, mais aussi la conduite à tenir en cas d'accident », rappelle un soignant. Avant chaque visite, les infirmiers du service réalisent les différents examens médicaux, qui seront utiles durant l'entretien. Tout l'historique de santé de chaque salarié est dans son dossier. « Nous rentrons aussi la moindre pathologie, le moindre accident du travail », explique Martine Madadi. Toutes ces données sont centralisées sur ordinateur et permettent de recouper les informations lors d'examens.

Cet important travail administratif fait également partie de l'activité des infirmiers. « Au service de santé au travail de Snecma, depuis six ou sept ans, nous utilisons le logiciel Chimede, avec de temps en temps des stages de reprise en main lorsqu'il s'agit d'utiliser la nouvelle version, explique une infirmière. Nous avons également des formations aux nouvelles techniques de soins en cas d'urgence. Des stages que nous réalisons tous les deux ans, pour une remise à niveau indispensable. »

poste avancé de nuit

Une fois par semaine, le service reçoit un cardiologue et un ophtalmologue pour des examens préventifs. « L'ophtalmologue permet de suivre des salariés faisant de la soudure ou utilisant du laser. Il intervient aussi pour réaliser des lunettes professionnelles adaptées à la vue du compagnon qui les utilise », explique un cadre de l'équipe.

La prévention occupe une large part du rôle infirmier. Chaque année, des campagnes sont lancées au sein de l'entreprise. Elles permettent de sensibiliser les salariés qui ont des conduites à risques. « La dernière concernait le coeur et tous les problèmes de santé qui y sont liés », explique le docteur Véronique Loiez. À cette occasion, Snecma a édité une brochure intitulée À tout coeur. Ce document décrit succinctement l'activité cardiaque, et met en lumière toutes les pathologies, et les facteurs de risques concernant les maladies cardio-vasculaires.

nuisances sonores

Lorsque des salariés doivent se rendre en mission à l'étranger, le service de santé au travail valide aussi les carnets de santé de son personnel. « Lorsque certains commerciaux ou techniciens sont appelés à voyager, nous effectuons tout le suivi sanitaire lié à leur destination, comme des vaccinations, ou la prise d'antipaludéens », explique l'un des médecins du centre.

Comme dans beaucoup d'autres entreprises, l'équipe médicale a mis l'accent sur la réduction des risques liés au bruit, mais aussi au mauvais positionnement d'un salarié sur son poste de travail. Une étude a été réalisée avec le concours des salariés et de l'ergonome qui travaille au sein du service. Des postes de travail ont été cloisonnés et équipés de tables adaptées pour les salariés qui façonnent des pièces. Chaque compagnon s'est approprié son box de travail, qu'il a lui-même personnalisé. L'infirmerie, située dans l'usine, est aussi un poste clé du site lorsque le service de santé au travail ferme ses portes en fin d'après-midi. Durant les heures de nuit, ce poste médical avancé est ouvert. Dotée d'une salle d'examens et d'une salle de soins, l'infirmerie permet aux salariés de bénéficier de premiers soins, en cas de nécessité.

« ambiances nocturnes »

Le travail de nuit est souvent dur. « Parfois, il s'agit d'une simple céphalée ou d'un temps de parole pour évacuer le stress, confie Khalifa Benaïssa, infirmier depuis seize ans à Snecma et qui connaît bien ces ambiances nocturnes. Nous réalisons aussi de petites chirurgies, lorsque le personnel se blesse en usinant une pièce. » Une présence rassurante pour les salariés, une présence indispensable.