La psy, rempart contre la rue - L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007

 

le Smes de Sainte-Anne

24 heures avec

Dans et hors les murs de l'hôpital Sainte-Anne, l'équipe du Smes est un trait d'union entre la société et les victimes de l'exclusion.

Il est à peine 9 h 30, dans le service Santé mentale et exclusion sociale (Smes) de l'hôpital Sainte-Anne. Bernard Leguen, cadre infirmier, suit d'un oeil attentif les travaux manuels réalisés par une dizaine de patients dans l'atelier thérapeutique, l'une des deux unités fonctionnelles du Smes. Tandis que David(1) ponce consciencieusement une table de chevet pour ensuite la revernir, Jean et deux autres patients s'affairent à nettoyer et remettre en état un réfrigérateur. En retrait lorsque les patients parviennent à restaurer divers objets par eux-mêmes, M. Leguen n'intervient que pour débloquer une situation, en donnant un conseil. « Cet atelier est un lieu qui permet de faire connaissance avec un patient, d'observer son intégration dans un groupe, sa façon d'être partie prenante d'un projet, de comprendre le travail qu'on lui a demandé, puis de le réaliser », explique-t-il.

« Patient-ouvrier »

Non rémunérée, l'activité de l'atelier permet, au bout d'un certain nombre de séances, de réaliser une évaluation plus fine, qui vient étayer le diagnostic. Si l'évaluation est positive, il en résulte un passage aux chantiers thérapeutiques, activité rémunérée au cours de laquelle le patient devient « patient-ouvrier », tout en étant encadré par du personnel soignant. Cette progression s'inscrit dans le projet médical d'autonomisation et d'insertion sociale du patient. Il peut signer plusieurs CDD avec l'association qui gère les chantiers des patients-ouvriers. « Nous sommes là pour les rendre indépendants, pour qu'ils puissent prendre de la distance et soient correctement orientés », conclut M. Leguen.

Travail en réseau

L'équipe mobile psychiatrie-précarité, la seconde unité fonctionnelle du Smes, intervient dans les structures d'aide sociale des Ve, VIe, XIVe, XVe et XVIe arrondissements de Paris, et dans les services de psychiatrie qui leur sont rattachés. Depuis sa création, en 2000, l'équipe a mis en place un travail en réseau avec différentes structures associatives, sociales, ou humanitaires spécialisées dans la prise en charge de la précarité. Ces interventions de médiation entre le sanitaire et le social, fondées sur l'accompagnement, l'aide et le soutien, apportent une réponse adaptée aux problèmes des personnes vivant dans le plus grand dénuement.

Les liens que le Dr Alain Mercuel, Nadine Bontemps-Planeix, Céline Bicini, Christiane Végas et Sylvie Marie-Louise, les quatre infirmières du Smes, ont réussi à tisser avec les personnes qui se rendent dans ces structures se sont mis en place lentement. Car en psychiatrie, l'un des premiers paramètres à respecter est le temps. Et ceci est encore plus vrai lorsque la psychiatrie rencontre la précarité.

Les oubliés

Combien de temps faut-il pour récupérer d'une fracture psychique, et d'une suite de ruptures affectant la vie sociale, professionnelle, affective et familiale d'une personne ? « La majorité des personnes que nous voyons sont sans-abri ou anciens SDF. Certains ont vécu dix ans dans la rue, d'autres plus. Ils ont souvent tout perdu. Ils n'attendent plus grand-chose de la vie. Rentrer en relation avec ces personnes marginalisées demande du temps et du savoir-faire, explique Céline Bicini, tout en marchant vers un foyer d'hébergement. Ils ne donnent pas leur confiance facilement et se méfient d'un système qui les a rejetés, puis oubliés. »

« Autogestion »

Il n'est pas dix heures quand nous arrivons dans les locaux des Enfants du canal. Géré par la Ddass, ce foyer acueille une petite partie des ex-Enfants de Don Quichotte. M. Louis, responsable de la structure, et Henri, ancien du campement du canal Saint-Martin, nous accueillent. Henri, qui a connu plusieurs moments de rupture au cours de sa vie, est aujourd'hui un « travailleur pair », un intermédiaire entre les assistantes sociales, les infirmières et les résidents qui sont le plus en difficulté. « Nous avons mis en place un système d'autogestion avec les vingt-huit résidents. Chacun participe aux tâches ménagères, d'hygiène et, s'il le souhaite, aux activités. La vie en collectivité, pour des gens qui ont vécu isolés plusieurs années dans la rue, n'est pas facile. Beaucoup vivent seuls, quelques-uns sont en couple. »

C'est le cas de Marco et de Myriam. Avec deux autres anciens « Don Quichotte », ils ont monté Résist-Tente, une pièce de théâtre inspirée par de multiples anecdotes vécues pendant les quelques mois passés le long du canal. La pièce connaît déjà un certain succès, et ils seront sur les planches le 19 décembre à la Main d'or(2). « Nous avons tout fait nous-mêmes, explique Myriam. L'écriture, le jeu de scène, la musique, les répétitions. Tout. L'entrée est gratuite et nous faisons tourner un chapeau à la fin du spectacle. On commence à trouver une stabilité tous les quatre. »

Gainsbourg

L'un des résidents, monsieur Gimini, nous accueille dans sa chambre, tapissée d'affiches de Marilyn. Il est aussi fan de Gainsbourg, et dessine comme personne. Certaines de ses oeuvres sont affichées dans le salon. Céline s'assied près de lui et discute tranquillement de son travail, de sa santé, de son moral. L'entretien infirmier peut paraître informel, mais le plus important, c'est de garder le lien.

Pendant ce temps, dans les locaux du Smes, Sylvie Marie-Louise, qui a commencé la journée vers 6 heures du matin par une maraude au bois de Boulogne avec le Dr Mercuel, est revenue au Smes pour un entretien avec un patient qu'elle suit depuis un moment. Christiane Végas assure la permanence téléphonique et d'accueil. Elle est au téléphone avec une assistante sociale de la Péniche du coeur, structure d'hébergement de nuit accueillant des hommes, dans laquelle elle effectue une permanence infirmière une fois par semaine.

Marginalisation

Un jeune homme résident de la péniche, qui n'avait pas donné signe de vie depuis quelque temps, est revenu et n'a pas l'air d'aller bien. Christiane devrait le voir rapidement, pour voir si sa situation psychique et sociale ne s'est pas trop dégradée. La rue, avec les agressions, les vols et la dureté des conditions de vie qu'elle implique, peut être très traumatisante pour des personnes fragiles. Cette vie dans l'errance a tendance à les marginaliser un peu plus chaque jour, et les détourne des institutions ou des structures qui pourraient les aider. La population des plus démunis ne se définit pas seulement par des conditions de vie extrêmement précaires, des maladies physiques et mentales. Une partie de ces personnes a renoncé à demander de l'aide. C'est cette spécificité qui rend unique le travail effectué par les équipes mobiles de psychiatrie dans le domaine de la précarité. Elles sont le fil qui relie les personnes exclues à la société, le maillon sans lequel la chaîne est rompue.

Bibliothèque

Plus tard, en début d'après-midi, Chritiane Végas se rend au Foyer Vaugirard, où elle assure une permanence hebdomadaire. Ce foyer de 92 chambres, anciennement géré par le Centre d'action sociale de la ville de Paris (CASVP) et destiné aux travailleurs migrants, est aujourd'hui géré par l'association Aurore. Des grands travaux devraient bientôt en faire une « maison-relais ». « Une majorité de nos 62 résidents sont des anciens SDF. Ce sont des gens qui ont été complètement oubliés », explique Mme Godard, responsable du foyer. L'esprit de la nouvelle équipe est à la communication et à la création de liens entre les résidents grâce à de nouvelles activités comme la bibliothèque, qui vient d'ouvrir, ou le tennis de table. « Si on arrive à faire quelque chose, c'est aussi grâce à Chritiane », ajoute une assistante sociale du foyer.

Échanges spontanés

À l'accueil puis à la bibliothèque, Christiane parle à différents résidents, qui lui racontent leur quotidien, leur recherche de travail, leur santé. Le lien s'établit d'abord par des échanges spontanés. Elle a également rendez-vous à 15 heures pour un entretien avec Loïc. Son frère et lui ont été SDF pendant quelques années, avant de vivre ensemble au foyer. Tous deux s'alcoolisaient beaucoup. Et puis, quand son frère est mort, Loïc s'est effondré. Christiane trouve qu'il se porte mieux depuis quelque temps : « Avant, il bloquait toutes ses émotions, il parlait très peu. Dans sa chambre, il y avait plus de quatre-vingts bouteilles. Certaines vides, d'autres à moitié pleines et beaucoup de moucherons. Depuis quelques semaines, on a rangé sa chambre, et il ne boit plus que quatre à cinq bouteilles de vin blanc pétillant par jour, et parvient à maintenir sa chambre rangée. Il va même aller voir sa famille en province. Ce voyage semble le dynamiser. L'évolution prend du temps, mais sa situation s'améliore. »

Le lendemain matin, Nadine Bontemps-Planeix se rend à L'Arche d'avenir, un accueil de jour géré par l'association La Mie de pain. À peine arrivée dans cette vaste structure, elle met son badge afin d'être repérable et identifiable. « À la cafétéria, je salue le personnel bénévole que je connais bien et je serre toujours les mains des autres personnes présentes. Je connais beaucoup de monde, donc je serre beaucoup de mains. J'appelle ça ma campagne électorale ! Faire connaissance, ça commence souvent par une poignée de main. Rares sont les personnes qui viennent me voir avec une demande définie. »

Distance

Selon les périodes de l'année, il peut y avoir 600 à 1 000 passages par jour, le pic étant atteint en période de grand froid. « Que ce soit pour un café, pour se doucher, pour un soin, ou pour participer à des activités, les personnes qui viennent ici ont toutes une trajectoire de vie cassée. On entend des choses dures, parfois inimaginables, et qui peuvent être difficiles à gérer pour nous », ajoute Nadine.

En fin de matinée, l'ensemble de l'équipe de L'Arche d'Avenir se rassemble pour discuter des problèmes rencontrés ou de la situation de certaines personnes. Avec les réunions de supervision de l'équipe du Smes, ces moments dédiés à la parole sont indispensables pour que les membres de l'équipe puissent prendre une distance, vitale dans le milieu de la précarité et de la santé mentale.

1- La plupart des noms et prénoms des personnes citées ont été modifiés.

2- Contact : sdouf@yahoo.fr ou Marc (06 83 66 84 82).