La reconquête de l'espace - L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007

 

handicap

Reportage

À l'hôpital maritime de Berck-sur-Mer, des patients frappés par la paralysie sont suivis en rééducation. Élisabeth Schneider, photographe, a partagé leur quotidien pendant dix jours.

Mon séjour à l'hôpital maritime de Berck, en août 2007, m'a propulsée au-delà du reportage photographique. Ce voyage me renvoie au souvenir d'un professeur chirurgien qui m'a confié un jour : « Dans tous ces métiers qui touchent à l'humain, la routine n'est pas la bienvenue. »

Camion-cage

Comme au cinéma, les premières images qui se présentent à moi lors de mon arrivée dans cette petite ville du Pas-de-Calais, bâtie devant les vagues, semblent tirées d'un rêve : un camion-cage du cirque Zavatta, bleu avec des fauves rugissant . D'un autre côté, la plage avec des manèges aux couleurs vives. Au-dessus, le ciel brumeux aquarelle, et devant moi, l'imposante bâtisse de briques rouges qui fait front à la mer.

Rapidement, je me suis sentie proche des patients (1). Encore plus vite, j'ai senti naître une confiance entre nous. Tous m'ont profondément émue par l'épreuve qu'ils traversent. J'ai rencontré des personnes qui, autrefois, étaient journaliste, typographe, étudiant, musicien, entrepreneur, chercheur, cadreur, assistant caméra, professeur, DRH, mère de famille... Des gens de tous les jours, un peu de nous, quoi !

Sans prévenir, au moment ou personne ne s'y attendait, chacun d'entre eux a été frappé par un AVC (accident vasculaire cérébral), une SEP (sclérose en plaques), un LIS (locked-in syndrom), une SLA (sclérose latérale amyotrophique) ou encore des maladies orphelines, comme l'ataxie de Friedrich.

Reclus 11 mois sur 12

Pour beaucoup, les patients sont originaires de Paris et sa région. Ils viennent en rééducation pour quelques semaines, particulièrement durant la période estivale, puisque l'hôpital ne ferme pas de lit. Cela leur permet de combiner rééducation fonctionnelle et repos annuel. La plupart des patients passent onze mois sur douze enfermés chez eux faute d'accessibilité sur leur lieu d'habitation, parfois seul avec des aides à domicile, parfois pris en charge par leur famille.

Architecture inadaptée

Une patiente me confie qu'elle fait face à une oppression psychologique. Pour elle, Berck représente l'unique moyen de se ressourcer et de profiter au maximum d'un bol d'oxygène, ainsi que d'un peu d'autonomie, grâce à la mise à disposition de fauteuils électriques - appelés « tondeuses à gazon » par les anciens - pour parcourir la ville, flâner le long de l'esplanade Parmentier, manger une gaufre au sucre glace à l'abri du vent berckois chez quelques commerçants encore sympathiques.

La ville de Berck ne me semble pas avoir une politique plus développée qu'ailleurs en matière d'accessibilité aux fauteuils. C'est même une désagréable surprise. Trop souvent, les personnes à mobilité réduite se mettent en danger pour accéder à certains lieux publics. Quand verrons-nous enfin dans nos villes des voies protégées, qui puissent garantir le déplacement sans risque des citoyens handicapés ?

Poing dans la figure

Il ne faut jamais oublier la vulnérabilité des patients, piégés par la perte de leur autonomie. « Le matin, lorsque je demande à être bien rasé, me confie l'un d'eux, c'est très important pour moi. Le soignant remplace, s'il le veut bien, le geste que j'ai perdu. Il devient mon bonheur, ou mon malheur, il devient ma bonne humeur ou ma mauvaise humeur... Je vais évidemment vérifier à quoi je ressemble dans les miroirs de l'ascenseur, et parfois c'est n'importe quoi... J'ai carrément des touffes pas rasées ! »

Un autre souligne l'importance accordée au parfum. « Le parfum, c'est un moment de bonheur. Grâce au voyage sensoriel que le parfum me procure, je retrouve un peu de ce bien-être si précieux. Alors, quand j'entends un aide-soignant me dire d'un air graveleux "Pourquoi tu te parfumes ? T'as l'intention d'aller draguer ?", avec un rire bien lourd... Ça me donne l'envie de lui mettre mon poing dans la figure. Malheureusement, je ne peux pas et je dois gérer mon sentiment d'impuissance. En même temps, on apprend à se blinder. On a l'habitude, à force... »

« Humanitude »

L'importance de la relation entre patients et soignants est encore plus essentielle dans ce type de structure. Les personnes atteintes de maladies neurodégénératives poussent le soignant et la structure accueillante à repenser la réflexion éthique. La question de l'intimité m'a beaucoup questionnée. J'ai été témoin de confidences bouleversantes du côté des patients comme de celui des soignants.

À peine de retour à Paris après dix jours passés au coeur de cette structure, j'ouvre un quotidien, et découvre le mot « humanitude ». Il n'existe pas dans le dictionnaire. C'est un concept inventé par le Français Yves Gineste, formateur en services de soins. Il prône une « attitude » plus « humaine » des personnels soignants vis-à-vis des personnes dépendantes.

Tendresse

Cette philosophie remet en cause la distance médicale enseignée depuis toujours [lire également « Mieux vivre » p. 46]. Yves Gineste soutient qu'un rapport plus « affectueux » aux malades serait bénéfique aux patients, mais aussi aux soignants. « La culture historique des soins est une culture du pouvoir, de brimades, estime-t-il (2). La tendresse en est exclue car les soins ont été inventés par les religieuses. »

1- Mon témoignage s'adresse à Éric, Brigitte, Idris, Michel, David, Daniel, Farida, Jocelyne, Arnaud, Stéphane, Nicole, Michael, Mathias, Ousmane, Radhija, Zoubida, José, Ahmed, Meriem, Karine, Léo (dont j'ai tant entendu parlé).

2- Propos rapportés dans Le Parisien (5 sep. 2007).

À lire également : Le Cri du silence, témoignage de Zoubida Touarigt (en ligne sur http://alis-asso.fr).