Le psychodrame - L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007

 

Addictions

Thérapeutiques

En proposant au patient de jouer, cette forme de psychothérapie facilite la prise en charge des personnes toxicomanes.

Au cours d'un psychodrame analytique, l'équipe médicale propose à un patient de jouer des scènes, réelles ou imaginaires. L'une des règles de base de cette forme de psychothérapie spécifique est le « faire-semblant ». Le but est de favoriser l'émergence des conflits psychiques sur une autre scène que celle de la réalité, et d'induire le déclenchement d'un véritable processus analytique.

utiliser le corps

Pour cela, deux moyens sont utilisés : l'agir et la projection. L'agir est massif chez les patients usagers de drogue, au contraire de la parole. D'où l'intérêt d'utiliser le corps dans un jeu dramatique pour mobiliser la personne sur le plan psychologique. En mettant en scène ses difficultés, le patient va développer une meilleure connaissance de son monde intérieur.

La projection de différentes parties d'eux-mêmes sur les autres participants permet un transfert diffracté sur les différents thérapeutes. La dimension groupale, avec sa fonction contenante, permet la mobilisation d'identifications simultanées sur les membres de l'équipe, et leur élaboration symbolique.

séances en trois temps

Au centre spécialisé de soins aux toxicomanes (CSST) Boucebci, rattaché à l'hôpital Avicenne de Bobigny (1), le groupe est constitué de deux psychologues, d'un infirmier, d'un psychiatre, d'un médecin et de stagiaires. Il accueille plusieurs patients individuellement, en séances hebdomadaires de trente minutes.

Le cadre du psychodrame est constitué du patient et de membres de l'équipe, répartis entre un meneur de jeu et des cothérapeutes. Lors du premier temps de la séance, le patient et le meneur de jeu construisent la scène qui va être jouée, tandis que les cothérapeutes sont silencieux. Le deuxième temps est celui du jeu. Les rôles ont été distribués aux cothérapeutes par le patient. Le meneur est le seul à ne pas jouer, mais il décide de l'utilisation de tel ou tel outil du psychodrame (inversion de rôles, envoi d'un double), voire de l'arrêt de la scène. Enfin, le troisième temps consiste en un entretien entre le patient et le meneur de jeu ; les cothérapeutes sont présents mais ne parlent pas. C'est le temps de l'interprétation et des commentaires.

scènes vécues

Deux autres temps suivent, mais ne s'inscrivent pas dans la même dynamique, car le patient n'en fait pas partie. Il y a un temps de discussion après la séance entre les cothérapeutes et le meneur de jeu, puis un temps de supervision du groupe de thérapeutes du psychodrame une fois par mois, par un psychanalyste extérieur.

Les scènes proposées par des patients toxicomanes sont souvent tirées de leur vécu. Par exemple, un patient peut choisir de jouer le rôle d'un dealer, présenté comme tout-puissant face à un consommateur de drogue extrêmement vulnérable. Les thèmes de jeu peuvent aussi faire apparaître des conflits familiaux, des tensions entre l'intérieur et l'extérieur du foyer...

maîtrise illusoire

Les patients toxicomanes reproduisent de façon compulsive l'acte illusoire de maîtrise d'un objet ou d'autrui, tel un bébé qui saurait contrôler la présence et l'absence de sa mère auprès de lui. Lorsque les patients viennent au centre de soins, ils reconnaissent l'objet dont ils sont dépendants. Ils souhaitent s'en détacher pour cesser de souffrir. Mais si l'on se détache d'un objet, peut-on s'attacher à un autre objet au risque de subir un nouvel abandon, écho d'un vécu similaire durant l'enfance ? La problématique du manque est au coeur de la question.

prises de conscience

Le groupe et la mise en scène s'avèrent utiles pour des patients inhibés qui ont du mal à laisser émerger leurs émotions, leurs sentiments. Le jeu, le faire-semblant, par le corps et les mots, stimulent l'imagination et peuvent générer des prises de conscience, contenues au sein d'un cadre étayant. Le lien à l'autre n'est plus un danger, et la parole devient possible. Ainsi, une étape est franchie vers la thérapie individuelle en face-à-face.

1- Les deux auteurs appartiennent au service du professeur Moro.